Editorial

 

Le mot du président.

 

Décembre 2006.

 

L’appréhension et le traitement des céphalées de tension en France

 

Dans le milieu médical en France, on admet que les céphalées de tension proviendraient de l’incapacité de certaines personnes à gérer leurs stress. Les médecins et chercheurs, constatent, en général, à l’examen clinique et neurologique du patient que tout est normal. On ne détecte rien au niveau biologique. Bien que les médecins reconnaissent ce mal comme un mal encore inexpliqué par la science [1], une majorité d’entre eux pensent que les céphalées de leurs patients sont modérées, même si ces personnes semblent pourtant réellement souffrir et malgré la gêne intellectuelle professionnelle et sociale handicapante ressentie par ces patients.     

Dès que le diagnostic de céphalées de tension est posé, le médecin prescrit des antidépresseurs et des anxiolytiques, visant à apaiser la souffrance morale du patient, voire des analgésiques pour calmer la douleur. Puis le patient est livré à lui-même, même si ses céphalées ne diminuent pas, et bien qu’il reste toujours handicapé professionnellement et socialement. Nombreux sont les médecins pensant qu’il suffirait à ces personnes souffrantes de vouloir réellement s’en sortir, de prendre la vie du bon côté, de sortir, de faire du sport, et/ou de suivre, avec une volonté sincère, des techniques et thérapies de gestion de stress, pour résoudre leur problème. Pour eux, si ces traitements de gestion du stress ne suffisent pas, alors des antidépresseurs couplés aux anxiolytiques viendront à bout du mal. 

D’une manière générale, au 21° siècle, en France, le problème reste toujours peu connu et n’est pas suffisamment pris au sérieux. Peu de médecins sont formés à traiter les céphalées de tension, en particulier grâce aux psychothérapies [2]. 

Jamais aucune psychothérapie n’est proposée, alors qu’ils existent pourtant des psychothérapeutes (rares, il est vrai), spécialisés dans les céphalées en France [3].

Et si le patient veut suivre une psychothérapie pour ces céphalées, celle-ci ne sera pas malheureusement pas remboursée par la Sécurité sociale, à moins que le psychothérapeute soit aussi psychiatre, ce qui est devenu rare en France. Par ailleurs à cause de ses difficultés à conserver un emploi, le patient ne peut le plus souvent pas se payer cette psychothérapie. Aucun aménagement (tels psychologues formés aux céphalées de tension, propositions d’emplois aménagés …) n’est prévu à l’ANPE.

 

L’histoire du patient n’est systématiquement pas prise en compte, en France, dans le traitement des céphalées [4].

 

Cette histoire est pourtant très importante dans la psychogenèse des céphalées de tension du patient.

 

Souvent le début des céphalées de tension est lié à un événement ou une accumulation d’évènements précis souvent importants ou graves, que le psychothérapeute peut retrouver ou repérer, au cours d’une sorte d’enquête policière.

Le patient, dans son histoire, a pu connaître des épisodes où son intégrité psychique et morale a pu être menacé, du fait d’épisodes d’abandons et ou de précarisations affectifs graves (par exemple, suite à un deuil), de maltraitances, une enfance

marquée par une préférence parentale entre membres d’une même fratrie, par des non-dits, par des mystères familiaux, des épisodes d'humiliation, d’exclusion, d’infériorisation, de rabaissement, de rejet, d’un désir blesser (devant tout le monde), de dévalorisation et de culpabilisation systématiques, de domination ou de pression morale hostile, provenant de proches menaçants et hostiles (parents, frères, sœurs, autorités « morales » …). Tous ces épisodes sont générateurs de souffrance. Du fait de son caractère à nouveau dévalorisant, menaçant, fragilisant etc…, un incident significatif ultérieur peut rappeler des traumas ou blessures passés et déclencher à partir de ce moment des céphalées …

 

Le plus souvent il n’y a pas d’écoute ou de vraie considération du médecin pour son patient et son histoire. C’est tout juste s’il ne considère pas, dans certains cas, son patient comme un casse-pieds.

Enfin, l’image véhiculée au sein du corps médical est aussi celles de céphalées de tension toujours modérées. Pourtant, elles ne sont pas en fait modérées, quand celles-ci provoquent des handicaps professionnels sérieux, des pertes de mémoires, de fortes difficultés de concentration et des nausées [5].

 

Cette idée reçue tenace provient du fait que les céphalées de tension chroniques particulièrement invalidantes  sont excessivement rares. D’après notre propre expérience, celles-ci ne se rencontreraient que dans 1 à 10% des cas de patients souffrant de céphalées de tension. Et donc ces derniers cas peuvent largement passer inaperçus parmi une vaste population de patients consultant pour des céphalées de tension en général modérées.

Par ailleurs, il y existe aussi un vrai placebo durant la séance, dès le patient trouve enfin une vraie écoute et une vraie considération auprès d’un médecin compatissant ou prenant le temps de l’entendre, … les céphalées de tension diminuant le plus souvent alors. Mais cette prometteuse embellie en général ne dure que le temps la séance et les céphalées reprennent  rapidement « possession de leur proie » après la séance [6]. 

Enfin, le patient fait à tout instant des efforts intellectuels pour rester clair. Tout cela peut dérouter le médecin sur la réalité du handicap intellectuel allégué par le patient et le conduira alors à croire que les céphalées du patient restent toujours modérées et que le patient est malgré tout un peu hypocondriaque.

 

Ce que nous voulons changer avec notre association

 

Trop souvent colle aux personnes souffrantes, l’étiquette de personnes hypocondriaque, pénibles etc… alors que leurs attentes sont pourtant légitimes et leur souffrance et leur handicap réels.  Les céphalées les accablent pendant des périodes très longues, les empêchant le plus souvent d'accomplir des tâches essentielles et d’affronter des rapports de forces, utiles à leur réussite professionnelle.

Se basant sur une analyse superficielle, on affirmera alors que leurs difficultés à affronter les rapports de force proviennent de leur manque de confiance en eux.

S’ils ne travaillent pas ou travaillent mal, alors on les considérera comme paresseux ou incapables. Mais en réalité, c’est parce qu’ils sont bloqués et handicapés par leurs céphalées, parce qu’ils souvent trop dur et épuisant de passer des heures à lutter sans cesse contre ses céphalées, lors d’activités diverses. Ces personnes sont réellement désespérées d’être aussi handicapées, frustrés de ne pouvoir rien faire. Et si par chance, la crise passe, alors ils retrouveront toute leur force et toute leur assurance.

On affirme encore qu’ils seraient de grands anxieux. Mais ces « grands anxieux » n’ont pas de sueurs froides, d’angoisses ou de tachycardies. S’il y a réel stress, ce stress est intérieur, souvent invisible même à la conscience du patient. 

S’ils sont dépressifs, alors on affirmera enfin que leur « dépression » est la cause de leurs céphalées (et non le contraire).  Et si des céphalées permanentes les épuisent … alors cette fatigue anormale sera mise sur le compte de leur état « dépressif ».

 

Cette ambiance sociale dévalorisante à leur égard ne fait que renforcer et perpétuer le cercle vicieux des céphalées de tension, dans lequel ils sont enfermés.

C’est cette image le plus souvent négative et dévalorisante de ces malades que nous voulons changer dans les mentalités, dans la société et auprès des médecins.

 

C’est une des raisons du « défi pour les céphalées de tension » que nous avons lancé et que tous peuvent consulter dans la page d’accueil du site de l’association.

 

Enfin, nous voulons, par ailleurs, que toute psychothérapie entreprise par le patient pour le traitement de ses céphalées de tension chroniques, lorsqu’elles sont particulièrement incapacitantes, soit prise charge par la Sécurité sociale, surtout quand la personne, du fait de ses céphalées de tension, n’a peu ou pas de revenus ou quand il est en situation de grande précarité (psychologique etc. …). Cette psychothérapie peut aider utilement le patient à se sortir d’une situation relationnelle inextricable par rapport à laquelle il n’a pas suffisamment de recul et dans laquelle il est pris comme dans de la glue.

 

Ultérieurement, nous souhaiterons que l’histoire et la psychogenèse des céphalées de tension des patients soient bien mieux étudiés _ par exemple, grâce au questionnaire comportant plus de 80 questions et que vous trouverez sur le site dans la page « Etudes et Recherche » du site Internet de notre association. Nous souhaitons aussi qu’une base de données de l’histoire des patients puisse être constituée, avec l’accord des patients.

 

Certains médecins ou psychologues pensent que les céphalées prendraient leur source dans un conflit entre le sur-moi et une frustration d’échec, générant du ressentiment et de la rancune, que l’on voudrait alors refouler. D’autres pensent à une auto-culpabilisation. On endosserait souvent une faute non commise. Nous pensons, pour notre part, qu’il y a autant de causes de céphalées de tension qu’il y a d’individus et que le problème est complexe.

Comme les céphalées de tension sont souvent le signal d’alerte d’une souffrance ou d’une détresse cérébrale [7], nous émettons alors l’hypothèse qu’elle pourrait être aussi un signal d’alerte (d’alarme) général concernant toute menace importante pour le cerveau, physique ou psychique.

 

Par ailleurs, dans le cas de certains patients souffrant de céphalées de tension chroniques particulièrement invalidantes, il semblerait avoir été observées de « fortes sensibilités réflexes à des facteurs psychiques ». Certains ont connu dans le passé, et leur enfance, des épisodes tétaniques ou spasmophiliques. Et nous nous sommes demandés s’il n’existe pas des profils de personnes plus prédisposés, plus sensibles « dès le départ », aux céphalées de tension que d’autres.

S’il ne pouvait exister, dans certains cas, de fortes sensibilités aux conditions initiales mettant tout de suite aux « taquet » (en butée) ce signal d’alarme (de petits stress générant de fortes céphalées chez certaines personnes).

 

Ce sont quelque uns des axes de recherches que nous souhaiterions étudier avec les médecins au sein de notre association.

 

Benjamin Lisan

Président provisoire,

Paris, le 1 décembre 2006.



[1] Marie-Paule Lagrange, Maux de tête chroniques: Comment les soigner (migraine, céphalées de tension, céphalées chroniques par abus médicamenteux), témoignages, pathologie et techniques adaptées, Editions Ellébore, 2004, page 155.

[2] On constate ce manque de formation lorsque, par exemple, des psychiatres confondent, migraines et céphalées de tension, affirment à un patient (connaissant son problème depuis 10 ans) que son problème est d’origine ophtalmique ou encore quand un médecin psychiatre prescrit de l’aspirine pour des céphalées de tension.

[3] Influencée par la « psychiatrie athéorique médicamenteuse » américaine, notre médecine est devenue une médecine presse-bouton chimique, ne résolvant rien au niveau des céphalées de tension chroniques (c’est ce qui est le plus grave), mais coûtant bien moins cher qu’une vraie psychothérapie.

[4] Y compris lors d’expérimentations médicales destinées à tester une nouvelle thérapie des céphalées de tension.

[5] Certains médecins admettent le caractère incapacitant de ces céphalées, mais continuent à affirmer qu’elles restent modérées, ne voyant pas la contradiction entre leurs deux affirmations. Par exemple, il est dit que "Cette variante des céphalées de tension [les céphalées de tension chroniques] est beaucoup plus incapacitante. Dans ces deux cas, les céphalées sont d’ordinaire légères ou modérées ….", Aide-mémoire N°277 Céphalées, Mars 2004, (OMS), http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs277/fr/ . Ou encore, il est dit que  "ces céphalées sont souvent d’intensité modérée [ …]. Mais chez certaines personnes, elles peuvent prendre des proportions plus gênantes et devenir quasi-permanentes … ". Dr Chantal Guéniot, http://www.doctissimo.fr/html/sante/mag_2001/mag0629/sa_4039_cephalees.htm

[6] Marie-Paule Lagrange, ibid, page 154.

[7] Il arrive que les maux de tête signalant une tumeur au cerveau, une encéphalites grave, une rupture d’anévrisme, des caillots sanguins, un défaut d’oxygénation cérébrale ou d’hypoxie (mal aiguë des montagnes, intoxication au monoxyde de carbone …) se présentent sous la forme de céphalées de tension