Extrait du livre de Michel de Pracontal, L’imposture scientifique en dix leçons, sur la théorie synergétique.

 

Le vide est plein d'énergie

 

Vous avez bien lu : à l'heure du super à 5 francs et des cen­trales nucléaires qui poussent comme des champignons, il existe une énergie gratuite, inépuisable et moins épuisante que celle du désespoir : l'énergie du vide. Du reste, la chose est connue depuis longtemps. Dès novembre 1975, Renaud de la Taille divulguait ces faits capitaux dans la revue Science et Vie 7. Je cite quelques extraits de son article

« Alors que le premier générateur synergétique vient de fonc­tionner, la science officielle continue à ignorer les travaux du Pr Vallée. Ceci est d'autant plus grave que ces travaux mènent à l'indépendance énergétique... »

« ... La synergétique a été mise à l'essai cet été en Belgique... Pour la première fois, un amplificateur de puissance a fonc­tionné avec pour seul apport extérieur d'énergie l'univers qui nous entoure et appartient à tous. Le générateur... a restitué le quadruple de la puissance qu'on lui avait donnée, ce qui cons­titue à soi seul un résultat déconcertant, et tout à fait inexpli­cable dans le cadre des théories anciennes de la physique. »

Non moins déconcertante est l'explication de ce résultat « Cette énergie supplémentaire apparemment venue de nulle part vient confirmer de manière indéniable la théorie synergétique du Pr Vallée dont l'hypothèse de base est la suivante les espaces interatomiques, interstellaires et intergalactiques de l'univers, habituellement considérés comme vides, sont en réalité le siège d'une activité électromagnétique intense, et non matérielle, à répartition continue, et qui résulte de la

7. Renaud de la Taille, « Qui osera réfuter la synergétique ? », Science et Vie, 698, novembre 1975.

 

superposition d'ondes élémentaires distinctes se prof dans toutes les directions à des vitesses généralement peu différentes entre elles... La structure de l'espace est énergétique La matière peut donc échanger de l'énergie avec l'espace … Qui plus est, cette énergie est sans limite, et l'appareil qui, permet de la capter est relativement simple. »

Il est possible que tout cela vous paraisse assez obscur. Mais si l'on fait abstraction du charabia qui l'enveloppe, le message est assez clair : ce qu'on appelle le vide n'est pas le vide ; il est rempli d'ondes qui se baladent dans tous les sens portant une énergie inépuisable que l'on peut capter assez facilement. Par conséquent, ne pas exploiter cette énergie gratuite est un véritable crime qui ne s'explique que par un complot de la science officielle.

Sur le plan scientifique, il n'y a pas grand-chose à la « théorie synergétique ». Son auteur, René Louis Vallée ancien ingénieur du CEA, ne fait que resservir une énième théorie du mouvement perpétuel. Vallée prétend avoir découvert « l'origine électromagnétique des phénomènes d'interaction nucléaire, liés à ceux de la gravitation ». Il revendique découverte de l'origine électromagnétique des hémorroïdes que ça ne changerait pas grand-chose. Il ne suffit pas d'aligner bout à bout des termes scientifiques et des formules pour faire une théorie physique.

En 1976, des physiciens de l'université Paris-VII essayent de vérifier expérimentalement une prédiction de la théorie synergétique. Le résultat fut négatif. L'expérience a été présentée dans La Recherche 8, assortie d'un comment Jean-Marc Lévy-Leblond dont je cite ce passage : « Les écrits (de Vallée) ressemblent à la physique comme à la calligraphie ces graphismes de Steinberg qui, mimant de loin une é parfaitement conventionnelle, se révèlent de près n'être que d'insignifiants tracés. »

Autrement dit, Vallée dessine des gribouillis mais prétend que c'est de l'écriture. Reste que le vide sémantique de son discours est plein d'une virulente énergie polémique. Vallée n'a pas de mots assez durs pour stigmatiser le capitalisme mondial dont les « gardes fidèles à la solde de la haute finance »

8. M. Kovacs et Jean-Marc Lévy-Leblond, « La théorie synergétique », La Recherche, n° 69, juillet-août 1976.

 

bloquent « toutes les voies du progrès scientifique ». Il flé­trit « la dangereuse ignorance des responsables de la Science officielle mis en place, pour la plupart, par des puissances occultes politico-religieuses parmi lesquelles, en bonne posi­tion, se trouve l'Organisation Sioniste Mondiale (sic)9 ». Il fustige l'obscurantisme d'une caste scientifique qui, par vil intérêt, dresse un mur de silence autour de la théorie synergétique.

Vallée représente un cas-limite. Sa dénonciation de la science officielle aboutit à une vision du monde où les choses ne peu­vent s'expliquer qu'en termes de complots démoniaques et de conjuration de la contre-vérité. Les références religieuses sont d'ailleurs fréquentes dans les propos de Vallée, qui parle de « millions d'hommes sacrifiés au Veau d'or », ou d'un « refus qui remonte, comme la bête de l'Apocalypse, des profondeurs de l'inconscient collectif ». Ce discours qui se mure dans la forteresse vide de ses certitudes soulève le problème de la fron­tière parfois floue entre l'imposture et la folie. Il n'est pas dan­gereux de parler tout seul, sauf si on ne sait pas qu'on parle tout seul.

 

9. René-Louis Vallée, note adressée à M. Jacques Chirac, Premier ministre, 21 mai 1986.

 

La science, une nouvelle Eglise ?

Au-delà de son aspect délirant, le discours de Vallée tou­che un problème réel : celui du rôle idéologique et politique de la science. [ …]

 

Source : Michel de Pracontal, L’imposture scientifique en dix leçons, Coll. Sciences et sociétés, Editions La Découverte, 1986.