A l’approche de la mort

Par Benjamin Lisan

L’immortalité « est une des illusions que l’humanité entretient le plus opiniâtrement depuis son origine. Elle a pris les formes mystiques les plus diverses, attestant la lutte désespérée que nous menions, faute de nous résigner à l’inexorable, et dont semble très hypothétique une survie, une résurrection, une métempsycose, une immortalité de l’âme, ou un retour éternel. », Ernest Kahane, Dictionnaire Rationaliste.

Toutes les civilisations ont eu, chacune, une vision ou une conception de la mort.

Thanatologie, étude de l’approche de la mort et de la mort

L’étude de la thanatologie date d’une vingtaine d’années, depuis qu’on maintient en vie artificielle un individu en coma profond pendant des semaines et même des mois.

Dans cet état proche de la mort, on distingue la mort clinique de la mort cérébrale (voir ces définitions plus loin).

Actuellement, on considère qu’il y a mort cérébrale, lorsque le cerveau n’est plus irrigué et que l’encéphalogramme est plat [1] (voir définition ci-après).

 

Définitions de la mort [2]

 

Coma stade 4 ou coma dépassé : la vie n'est maintenue que par des moyens artificiels. L'électroencéphalogramme montre un rythme plus ou moins ralenti. Au pire, il est plat. C'est un élément primordial pour la surveillance d'un coma prolongé.

 

Mort clinique 

lorsqu'il n'y a plus de signe de vie, lorsque les tests cliniques effectués (et répétés plusieurs fois) pour vérifier la mort d'une personne montrent que, simultanément, le patient n'a plus d'activité musculaire spontanée, n'a plus de réflexe (pas de réaction à la douleur par exemple), et ne respire plus. Souvent, l'électroencéphalogramme est plat, ce qui veut dire que le cerveau ne donne aucun signe d'activité. Il existe cependant des cas où des patients arrivés à ce point reviennent soudain à la vie, sans qu'on puisse savoir pourquoi.

 

Mort cérébrale

1) état de défaillance complète et irréversible du cerveau et tronc cérébral. En cas de destruction complète du tronc cérébral, l’électroencéphalogramme révèle un tracé plat et la mesure du débit sanguin démontre un arrêt circulatoire supra- et infratentoriel, tout comme lors de lésions hémisphériques.

2) quand un malade est en stade de coma dépassé et que son cerveau ne fonctionne plus. Comme le cerveau (le système nerveux) contrôle toutes les fonctions vitales, le patient n’est alors plus capable de respirer tout seul.

2) Pour constater une mort cérébrale, il faut une durée d'observation :

a) de 6 heures chez les adultes et les enfants de plus de 2 ans, [...],

b) de 24 heures chez les enfants de moins de 2 ans [...],

c) d’au moins 48 heures chez les adultes et les enfants, lorsque l’origine du coma est inconnue et que les examens métaboliques ou toxicologiques ne peuvent être effectués, ainsi que chez tous les patients qui ne peuvent être classés sous  a) et b).

 

Le docteur Raymond Moody [3], auteur du best seller « La vie après la vie», a très bien relaté dans son livre les derniers instants avant la mort.

Différentes visions de la mort

Dans un autre ouvrage, R. Moody et une psychologue suisse, Elisabeth Kuber- Ross [4], ont tenté de démontrer l’existence d’une vie après la mort. Pour les adeptes du New Age et des religions monothéistes, il y aurait une « vie après la mort », ce qui n’a jamais été prouvé scientifiquement.

Pour le chrétien, «ce n’est pas la mort qui vient nous chercher, c’est le bon Dieu »,  et selon sainte Thérèse de l’enfant Jésus, « la mort de tout homme est une rencontre du mourant. le Père envoie son fils à la rencontre du mourant », ces propos irrationnels, écrits de main d’homme, sont toujours d’actualité pour les abbés Paul Préaux .[5] et Michel Aupetit [6].

L’expérience à l’extrémité ou aux frontière de la vie (NDE) 

En étudiant les témoignages d’accidentés ayant subi de profonds traumatismes et des comas, on observe qu’ils décrivent tous des phénomènes troublants de sortie de son corps, de tunnel de lumière que l’on remonterait vers une sorte « d’au-delà », où l’on rencontrerait, pour certains, des personnes connues et défuntes. Toutes ces études n’apportent aucune preuve convaincante de cette existence de vie post mortem.

Victime d'un terrible accident de scooter, en 2001, le journaliste Dominique Bromberger est resté plus de trois semaines dans le coma. Il a gardé et écrit le souvenir précis et poétique de rêves et d'hallucinations qui ont accompagné son comas. Ses proches l’ont assisté durant son coma et on entendu ses paroles prononcées durant son coma (dont il n’avait aucun souvenir à son réveil). Avec cette expérience, il a aquis la conviction que le coma est aucunement une absence de conscience, comme on l’a souvent affirmé [7].

Un mécanisme peut intervenir dans les derniers instants du patient, lié à la croyance du patient dans « l’Autre monde ». Un catholique verra, par exemple, par un mécanisme inconscient, la Vierge Marie, Jésus ou Saint. Mais il y a peu de chance qu’il voie Shiva ou Bouddha, s’il n’a pas de connaissance de l’hindouisme ou du bouddhisme. Selon ses croyances et ses attentes, il imaginera un « Autre monde », un paradis, où il pourra éventuellement retrouver ses amis et proches disparus [8].

Pour les adeptes du New Age, les expériences après la mort (ou NDE, abréviation de « near death experiences ») ne sont pas des expériences vécues après la mort (un processus irréversible), mais plus exactement des expériences au seuil de la mort ou d’un coma. Ces témoignages proviennent de personnes tirées d’un état de mort clinique apparente et qui ont pu être réanimées.  Dans leur description, elles croient voir la scène de leur mort selon leurs croyances, elles se sentent souvent aspirées dans un tunnel ou un gouffre qui débouche dans un espace lumineux où elles rencontrent les proches défunts.

La conscience spatiale du moi et celle de notre corps sont confrontées à des considérations philosophiques importantes, ainsi qu’à plusieurs phénomènes, dont peut-être le plus connu est "l'expérience de sortie du corps" (OBE) pendant lequel la perspective visuelle et notre conscience du moi sont ressenties comme extérieures à l’emplacement où nous localisons habituellement notre corps.

Ces expériences OBE (de « décorporation ») ont été ressenties par des personnes, aux frontières de la mort, lorsque leur cerveau était confronté à un état de détresse vital (manque d’oxygénation, perturbations métaboliques …).

Lors d’expériences psychiques aux frontières de la mort (N.D.E.), des personnes ont aussi ressenti l’impression d’être happées dans un tunnel de lumière, et témoignent parfois avoir rencontré des personnes décédées. En fait, ces expériences « NDE » sont très diverses.

Pour certains, le "tunnel" débouche sur une lumière brillante ou aveuglante. D’autres rencontrent des saints, le Christ, des anges, etc. … Dans certains cas, le témoin décrit la vision du défilement de sa vie, devant ses yeux. Certains constateraient que cette expérience est si merveilleuse, si agréable qu’ils ne veulent plus « retourner dans leur corps ». Cette expérience peut éventuellement changer la conception et la perception de la mort, et changer la vie de certaines personnes.

Il existe aussi de nombreux rapports, faisant état de NDE désagréables, impliquant des tortures par des elfes, des géants, des démons, etc. … [1].

Selon Raymond Moody et Elisabeth Kübler-Ross, ces NDE surviennent pour environ 30% des personnes ayant « frôlé la mort » et ayant été en réanimation.

Selon un article sur les NDE paru dans la revue médicale américaine The Lancet, du 15 décembre 2001 [9], 8 à 12 pour cent de 344 patients réanimés après un arrêt du cœur avaient vécu des NDE et environ 18 % d’entre eux s'étaient souvenus, en partie, de ce qui leur était arrivé durant la phase où ils étaient en danger.

Pour Raymond Moody et Elisabeth Kübler-Ross, qui ont popularisé les NDE auprès du grand public, ces NDE seraient la preuve de la persistance de la conscience d’une personne, après sa mort clinique.

Le Professeur Olaf Blanke, neurologue du Service de neurologie de l'Hôpital de Genève, a étudié le gyrus cingulaire qui est  une structure du cerveau, nous permettant à tout moment de savoir où sont nos membres. Selon ce professeur, qui a fait paraître le résultat de ses études dans la revue Nature [10], sous l'effet des stimulations électriques, les patients ont eux aussi affirmé avoir l'étrange impression d'être couchés à côté d'eux-mêmes, voire d'être menacés par leurs propres mains. [11] … bref ces derniers relateraient des expériences proches des NDE.

Les cas où le patient se vit à l’extérieur de son lit est un phénomène bien connu et répertorié, en particulier dans les crises épileptiques temporo-insulaires [12].

Selon Susan Blackmore, chercheuse de l'Université de Bristol, les expériences que Moody décrit comme typiques des NDE, peuvent être dues aux états cérébraux liés au stress, à sa « détresse », et déclenchés par l'arrêt du cœur et à l'anesthésie [13] [14].

S. Blackmore attribue les sentiments de paix extrême relatés par certains patients, à l’émission d'endorphines en réponse à la situation de détresse ou de stress extrême du cerveau. Le bourdonnement ou le son de sonnerie sont attribués, selon elle, à une anoxie cérébrale [15]. 

Le Docteur Karl Jansen aurait aussi reproduit des NDE avec de la kétamine, un anesthésique dissociatif  à effet rapide et hallucinogène [16]. Durant l'anesthésie par kétamine, une conscience « dissociée » et « extérieure à son corps » est obtenue, différant totalement de l’état « d'inconscience » produits par les anesthésiques conventionnels.

Selon le docteur Jansen, la kétamine peut reproduire toutes les particularités principales de la NDE, incluant le voyage à travers un tunnel sombre vers la lumière, le sentiment que l'on est mort et qu’on peut converser intimement avec Dieu, les hallucinations, les expériences de sorties du corps, la perception de bruits étranges.

Certaines personnes se rappellent avoir vu leur propre corps entouré de docteurs et d’infirmières, comme si leur point de vue était situé près du plafond. Ils se rappellent même des conversations tenues par ces derniers, tandis qu'ils étaient "inconscients". Ils sentaient comme si leur esprit ou âme avait quitté leur corps et l'observait d'un point surélevé.

Mais ces dernières « visions » ou souvenirs sont-ils réels ?

Il est possible qu'une personne perçue comme inconsciente par l’équipe médicale ou scientifique perçoive et entende malgré tout ce qui se dit dans la pièce (cf. témoignage de Dominque Bromberger, vu plus haut).

Il se peut aussi que les souvenirs de l’expérience soient composés d’un mélange de conversations entendues par le patient après le réveil, de proches parlant de ce qui était arrivé tandis qu’il frôlait la mort, et de souvenirs de données inconsciemment entendues et enregistrées tandis qu’il était inconscient.

« L'ensemble des études qui me sont connues, et qui tentent d'analyser sur le plan neurobiologique le phénomène NDE, pointent vers un fonctionnement altéré de l'hippocampe, structure carrefour des processus de mémorisation et de remémoration. Certains auteurs suggèrent une forme particulière de récepteur NMDA (probablement en cause dans les expériences utilisant la kétamine), mais je n'ai trouvé aucune étude sérieuse permettant d'argumenter cette hypothèse » [17].

Plusieurs auteurs, dont Greyson, ont insisté sur la personnalité des personnes rapportant des NDE, souvent enclines au mysticisme voire présentant des états limites de la schizophrénie.

En conclusion, dans l’état actuel de nos connaissances, les NDE semblent explicables dans le cadre d’hypothèses neurochimiques et neurobiologiques connues. Il n’est donc pas besoin de faire appel à d’autres hypothèses plus controversées [18].

Les rêves peuvent souvent être le révélateur de traumatismes, d’angoisses ou même peuvent avoir un rôle compensateur. Il ne serait pas dénué de tout fondement de supposer la survenue de dérèglements de l’émission de certaines drogues ou molécules naturelles du cerveau comme les endomorphines, au sein du cerveau, lorsque celui-ci est mal oxygéné. On sait qu’une mauvaise oxygénation du cerveau, par exemple liée à de dangereux exercices psychiques ou spirituels de rétention de la respiration, peuvent provoquer des états hallucinatoires graves, parfois mortels [19]. Ensuite, un mécanisme peut intervenir, lié à la croyance du patient en un autre monde. Selon ses croyances, il rêvera d’un autre monde, d’un paradis, d’une réincarnation où il retrouvera ses proches disparus ou vivants.

C’était la technique de Pythagore pour se réincarner, c’est celle des chamanes et de nombreux gourous.



[1]  [1] Voir Article “NDE”, sur le site « Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal »  éditeur de la revue « Skeptical Inquirer » http://www.csicop.org

[2] Source : a) Swisstransplant : Organisme de coordination des dons et des transplantations d'organe, en Suisse, b) Centre de Vulgarisation de la Connaissance, Cité des sciences, 2002.

[3] Raymond Moody, Lumières nouvelles sur la vie après la vie, Robert Laffont, 1977.

Raymond A. Moody, Ph.D, M.D., Life after loss. Version française : la vie après la vie, Ed. J’ai lu, 1980.

[4] Elysabeth Kubert-Ross, On Death and Dying, Scribner Book Company, 1969 , réédité en juin 1997. Version française Vivre avec la mort et les mourants, Rocher, Paris et Tricorne, Genève.

[5] Paul Préaux, Famille Chrétienne, janvier 2004.

[6] Michel Aupetit, La mort et après, Editions Salvator, 2003.

[7] Domique Bromberger, Un aller-retour, Robert Laffont, 2004.

[8] Jean Haechler, Naître, vivre et passer, la mort démythifiée, Editions L’Harmattan, 2004.

[9] Lancet, 15 décembre 2001, Volume 357, Number 9294.

[10] Blanke O, Ortigue S, Landis T, Seeck M. (2002) Stimulating illusory own-body perceptions. Nature 419: 269-270.

[11] Le professeur Olaf Blanké a démontré l'activation sélective de la jonction temporo-parietale (TPJ), 330-400 ms, après le début de stimulus, par la stimulation magnétique trans-crânien (TMS), de volontaires en bonne santé qui généralement ont rapportés [éprouvées] des OBEs spontanés. 

[12] Blackmore, Susan J., Dying to Live: Near-death Experiences, (Buffalo, N.Y. : Prometheus Books, 1993).

[13] Near-Death Experiences: In or out of the body? by Susan Blackmore, Skeptical Inquirer 1991, 16, 34-45.

[14] Blackmore, Susan J., Dying to Live: Near-death Experiences, Prometheus Books, Buffalo, N.Y.,  1993.

[15] Near-Death Experiences: In or out of the body? by Susan Blackmore, ibid.

[16] Jansen, Karl. Ketamine: Dreams and Realities, The Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies, 2001.

[17] Courrier de Hervé Chneiweiss, Responsable de l'équipe de Neuro-Oncologie Moléculaire et Cellulaire Inserm U114, Collège de France, PARIS, e-mail : herve.chneiweiss@college-de-France.fr , à l’auteur Benjamin Lisan.

[18] Blanke O, Ortigue S, Landis T, Seeck M. (2002) Stimulating illusory own-body perceptions. Nature 419: 269-270. Voir aussi Commentaires / Éditorial : Lancet Neurology 2002, 1; 400.; Trends in Cognitive Neuroscience 2003, 5; 104-106.[5] Near-Death Experiences: In or out of the body? by Susan Blackmore, Skeptical Inquirer 1991, 16, 34-45.

[19] C’était la technique de Pythagore, pour se réincarner. C’est celle des chamane, de moines bouddhiste ou d’ascètes indiens ou de gourous.