Texte extrait du livre « La démocratie des crédules », de Gérald Bronner, PUF, 2013.

 

La « vague de suicides » chez France Télécom

 

Les années médiatiques 2009 et 2010 ont été marquées par la question de la « vague des suicides » chez France Télécom. L'affaire est si connue qu'il pourrait paraître superflu d'y revenir. Cependant, elle démarre avec un fait méconnu : la fondation en 2006, par un membre des syndicats CGC-Unsa et Sud, de l'Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom. Il faut deux ans à cet Observatoire pour commencer un décompte sérieux des suicides dans l'entreprise, inauguré avec la disparition en février 2008 d'un technicien qui met fin à ses jours après quatre mois d'arrêt maladie. Le premier article notable sur cette affaire est daté du 19 mai 2009 dans les pages de France Soir. L'emballement médiatique démarre au cours de l'été 2009. Le 13 juillet, un salarié de cette entreprise, cadre de 51 ans, met fin à ses jours en laissant une lettre ne laissant guère de doute sur les raisons de son acte : la vie dans son entreprise lui était devenue difficile, il y évoque une « urgence permanente » et une « surcharge de travail ». Un autre, employé d'un service commercial à Saint-Lô, s'est entaillé les veines sur son lieu de travail le 29 juin. Ces faits avaient de quoi susciter l'attention de la presse et laisser supposer qu'il existait un lien entre l'atmosphère sociale dans cette entreprise et ces actes de mort volontaire. L'un d'eux est d'ailleurs qualifié, un an plus tard, d'« accident de service », c'est-à-dire reconnu comme accident du travail par la direction de France Télécom, ce qui revenait à admettre juridiquement une part de responsabilité dans ce décès. Bien avant cela, à propos de ce décès, l'Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom avait déclaré[1] : « Qui osera dire maintenant que cette trop longue liste noire n'est pas le résultat d'une situation dramatique dans l'entreprise ? »

Cette association, comme le fait remarquer Alain Rabatel[2], a largement contribué à médiatiser la crise des suicides chez France Télécom. Elle a joué le rôle de « lanceur d'alerte », comme le CRIIRAD dans la malheureuse affaire de la plage radioactive de Camargue. Dès lors, ce sont des centaines d'articles, de reportages radiophoniques et télévisés qui se saisissent de tout nouveau suicide, dans l'urgence à suivre une affaire qui inspire un sentiment d'indignation à l'opinion publique. Même lorsque le suicide n'a probablement que peu de rapport avec la vie de l'entreprise, comme dans le cas de ce jeune homme de 28 ans qui laisse une longue lettre où il évoque ses déboires sentimentaux avec son amie à qui il a tenté de téléphoner le jour du drame[3], c'est la piste France Télécom qui est évoquée. Dans cette même lettre, il évoque certes son désarroi professionnel, se déclarant « désemparé » et « en colère » contre son chef et ses collègues mais parce qu'ils ne « répondent pas quand on a besoin d'eux ». Cela n'empêche pas un délégué Sud-PTT de déclarer : « C'est un problème global. Il n'y a peut-être pas qu'une seule cause, mais à 90 %, c'est un problème d'entreprise ».

Cette déferlante médiatique organise une visibilité exacerbée de chaque nouveau suicide chez France Télécom, insinuant ainsi qu'il se passe quelque chose qui, non seulement mérite l'attention et le commentaire, mais encore l'indignation. Le graphique qui suit présente le nombre de suicides chez France Télécom durant la période où le traitement médiatique a été le plus intense (on dénombre pour 2009 19 suicides et pour 2010, 26).

 

Il y a quelque chose de macabre à décompter les morts de cette façon, en particulier lorsqu'ils relèvent du suicide, et c'est un exercice dont on se passerait volontiers s'il n'était absolument nécessaire à la compréhension de cet emballement médiatique. C'est un exercice qui a d'ailleurs été réalisé par l'Observatoire du stress lui-même et ce sont ses chiffres que le graphique présente. Mais comment les médias se sont saisis de ce phénomène tragique et apparemment mystérieux d'une « vague de suicides » dans une entreprise ? Pour répondre à cette question, j'ai consulté 421 articles issus de la grande presse nationale, de la presse quotidienne régionale et des grands mensuels ou hebdomadaires[4].

Face à cette énigme, trois propositions entrent en concurrence sur le marché cognitif. La théorie 1 est celle du management meurtrier. Elle explique que les managers de France Télécom ont en particulier reçu pour mission d'« encourager » les fonctionnaires à partir de leur plein gré et à exercer sur tous une pression à la rentabilité et à la mobilité qui fragilise psychologiquement les salariés et poussent certains à commettre l'irréparable.

Les suicides chez France Télécom (années 2009-2010)

 

 

La théorie 2 considère que le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel, et que si le stress professionnel peut éclairer certains de ces suicides, il reste un éclairage trop partiel pour rendre compte de cette « vague de suicides ». La théorie 3 conteste simple­ment l'idée qu'il y ait un fait remarquable d'un point de vue statistique. En d'autres termes, on ne se suicide pas plus à France Télécom qu'ailleurs, et pas plus dans cette entreprise aujourd'hui qu'il y a dix ans.

Le décompte des thèses défendues par les médias, quelle que soit leur sensibilité politique, est éloquent. Si l'on exclut du calcul les 87 articles des 421 considérés qui sont uniquement descriptifs et ne défendent pas une interprétation, on obtient les résultats suivants.

Les thèses défendues dans les médias
sur la « vague de suicides » chez France Télécom

 

Théorie 1

Théorie 2

Théorie 3

Nombre
d'articles

(90,1 °/o )

(7,8 %)

(2,1 %)

 

La théorie du management meurtrier, défendue par 90,1 % des articles (soit 301), se taille une part oligopo­listique du marché cognitif. La théorie 2, quant à elle, est défendue dans 7,8 % des cas (26 articles). Elle apparaît principalement au début de l'affaire, à l'été 2009, défen­due parfois même par la voix de certains syndicalistes. Mais dès la mi-septembre, elle tend à disparaître pour être ensevelie sous le monocausalisme de la théorie 1.

 Quant à la théorie 3, elle suscite une polémique qui naît le 20 octobre 2009 mais retombe très vite, comme si les arguments avancés ne parvenaient pas à influencer l'interprétation majoritaire, ce qui constitue un élément de l'analyse. Mais auparavant, examinons la nature des arguments techniques qui ont alimenté cette querelle statistique.

 

Une polémique statistique vite oubliée

 

Le 20 octobre 2005, paraît dans La Croix un article de René Padieu, inspecteur général honoraire de l'Insee et président de la commission de déontologie de la Société française de statistique. Sa thèse est très simple. Je la résume comme suit. En 2007 (cela varie peu d'une année à l'autre), on avait pour la population d'âge actif (20 à 60 ans) un taux de 19,6 suicides pour 100 000. Vingt-quatre suicides en dix-neuf mois, cela fait 15 sur une année. L'entreprise compte à peu près 100 000 employés. Conclusion : on se suicide plutôt moins chez France Télécom qu'ailleurs. Il n'y a pas de « vague de suicides ».

Le même jour, la réaction, très vive, vient curieusement, non d'experts identifiés, mais de quatre syndicats... de l'Insee, qui jugent l'analyse de Padieu « indigne »[5] tandis que la CFE-CGC de France Télécom dénonce une « comptabilité macabre » — ce qui est assez piquant si l'on se souvient que ce syndicat est à l'origine du décompte des suicides chez France Télécom par l'intermédiaire de l'Observatoire du stress. L'analyse des syndicats de l'Insee n'est guère développée, et tient à peu près à ceci : il n'est pas pertinent de comparer le nombre de suicides chez France Télécom à ceux de la population active, car celle-ci comprend notamment des chômeurs qui se suicident plus que les autres. Réciproquement, expliquent-ils, la population de ceux qui se sont suicidés à France Télécom a des spécificités : elle est composée principalement d'hommes de plus de cinquante ans.

 

Un article du journal Libération enfonce le clou. Paru le 23 octobre sous la plume de Luc Peillon, il prétend faire de la « désintoxication » sous le titre : « France Télécom, la statistique qui veut tuer le débat ». Son argument est plus précis. Il reprend celui des syndicats mais y ajoute qu'il faudrait, pour bien faire, se fonder sur des statistiques portant précisément sur les suicides professionnels. Il reconnaît que celles-ci n'existent pas, mais prétend que l'on peut extrapoler les résultats d'une enquête menée en 2003 en Basse-Normandie, qui montre que les suicides professionnels atteindraient 1,6/100 000 par an. Or, affirme-t-il encore, on peut être assuré que sur les 25 suicides dont on parle à France Télécom à ce moment-là, 11 peuvent être rapportés à des causes professionnelles. Donc, conclut-il, si le taux de suicides professionnels est de 6/100 000 par an dans cette entreprise, il est « quatre fois supérieur à la normale ».

 

Comme le tableau précédent le montre (« Les thèses défendues dans les médias »), cette polémique n'a guère été relayée, sans doute parce qu'elle ne paraît pas avoir été considérée comme une alternative narrative crédible. Le point de vue médiatique semble établi, et très vite. Son acmé se situe sans doute lors de la diffusion, en septembre 2010, d'un reportage de l'émission de France 2 « Envoyé spécial », qui défend inconditionnellement la thèse du management meurtrier. Il rend public, entre autres arguments, un document de management interne à l'entreprise[6] présentant une « courbe du deuil » qui figure, de façon plutôt caricaturale d'ailleurs, les paliers de l'acceptation du changement. La notion de deuil est ici présente pour suggérer l'idée de l'abandon des habitudes et des positions, mais les journalistes affectent de croire, jouant sur la polysémie du terme « deuil », qu'il y a bien quelque chose de mortifère dans ces intentions... Lors de l'interview qui suit la diffusion de ce reportage à charge, Bernard Nicolas, le réalisateur du film, n'a pas d'hésitation : à la question de savoir ce qui peut expliquer les suicides chez France Télécom, il répond que le management est responsable. À aucun moment une thèse alternative n'a été évoquée, ni par le réalisateur, ni par les personnes qui l'interviewaient.

 

Les anomalies de la théorie du management meurtrier

 

Cette thèse du management meurtrier est devenue si naturelle dans l'esprit de tous que peu semblent avoir constaté, ou osé constater (sans doute de peur d'être renvoyés à l'« indignité »), qu'elle comportait beaucoup d'anomalies. D'abord, il n'est peut-être pas si certain que les analyses de René Padieu soient absurdes, car la violence de la réponse a sans doute caché la fragilité des arguments qu'on lui opposait. L'argumentaire du « désintoxiqueur » Luc Peillon est, en effet, problématique.

Premièrement, il paraît évident que l'extrapolation qu'il propose est à tout le moins audacieuse, ce qu'il feint de reconnaître en oubliant quelques lignes plus loin sa prudence pour asséner une conclusion qui prétend mettre en pièces les analyses de Padieu. Audacieuse, cette extrapolation l'est parce qu'elle ne porte pas sur une région qui peut prétendre à la représentativité nationale et parce qu'elle a été réalisée en 2003, six ans avant les faits qui nous occupent. Deuxièmement, parce que la visibilité sociale donnée aux suicides chez France Télécom change évidemment la possibilité d'interpréter ces suicides comme étant d'origine professionnelle ou non, et que ceux décédés pour les mêmes raisons en 2003 dans la région Basse-Normandie, dans un tout autre contexte social et médiatique, n'ont sans aucun doute pas pu être identifiés aussi « facilement » comme tels. Cet argument pourrait paraître spécieux si, troisièmement, et c'est là le plus grave, la comparaison ne portait pas sur des populations extrêmement faibles quantitativement. En fait, le différentiel annuel que Peillon croit pouvoir convoquer comme un argument (« quatre fois supérieur à la normale ») est de 4 individus sur 100 000 : une population si réduite interdit de tirer des conclusions causales et, par dessus tout, les approximations audacieuses. Quatrièmement, comme le fait justement remarquer François Vatin[7], s'il y a plus de « suicides de travail » à France Télécom alors que le taux de suicide n'y est pas plus fort que le taux de suicide national, c'est qu'il y a moins de suicides « personnels » dans cette entreprise ! Ce qui est bien mystérieux...

La vérité est que l'on ne peut pas interpréter statistiquement cette thèse, ni réellement inférer de corrélation et encore moins de lien de causalité. C'est ce que confessent paradoxalement les syndicats de l'Insee lorsqu'ils reprochent son interprétation à René Padieu, qui se montre trop aventureux à leur goût. Mais on se demande à quoi ils peuvent bien, eux, comparer ces taux de suicides chez France Télécom pour considérer le management coupable, attendu que les chiffres qu'il faudrait pouvoir convoquer n'existent pas ou qu'en tout cas, ils ne les mentionnent pas. Ce qui paraît évident, c'est que leur désir de faire dire des choses à ces sinistres événements contamine l'aptitude que devraient avoir journalistes et scientifiques à suspendre leur juge­ment lorsque nécessaire[8].

Tous ceux qui connaissent un peu la question du sui­cide (et le sociologue Émile Durkheim l'avait signalé dans son étude inaugurale[9]) savent bien que les rapports qui la lient au stress sont au moins paradoxaux et sou­vent contre-intuitifs. C'est ce que rappelle notamment Viviane Kovess Masfety, de l'École des hautes études en santé publique :

Le suicide est un phénomène qui frappe les esprits mais obéit à des lois bien plus compliquées que la quantité de stress : le suicide, qui diminue en période de guerre où les personnes sont très stressées, a augmenté dans les deux pays d'Europe dont l'économie se portait le mieux : en Irlande et au Luxembourg[10].

Du stress, il semble évident que certains salariés de France Télécom en ont subi. Le seul exemple de Vincent Talouit[11], cadre qui s'est retrouvé harcelé verba­lement de façon permanente pour terminer sans bureau, l'entrée de son lieu de travail après déménagement de son service lui étant interdite par les vigiles, suffit à montrer que certaines des méthodes managériales en cours dans cette entreprise étaient, le mot n'est pas trop fort cette fois, indignes. Mais juger immorales certaines techniques de management ayant lieu dans le monde de l'entreprise et en inférer qu'elles sont responsables de la décision tragique que certains individus prennent de mettre fin à leurs jours, constituent deux opérations bien distinctes.

Le débat qui aurait dû avoir lieu et qui a réellement été « tué », pour reprendre les mots du titre de l'arti­cle de Peillon, est celui de savoir si cette « vague » de suicides était un fait objectif ou, au contraire, un fait de croyance, et cela n'a rien à voir avec l'approbation qu'on pourrait donner à quelques techniques révoltan­tes de management. Il est regrettable que ce débat ait été « tué » car il aurait permis de faire prendre conscience aux esprits raisonnables que certains chiffres contrai­gnaient à suspendre le jugement, comme nous l'avons vu, et que d'autres faits fragilisaient plus encore la théo­rie du management meurtrier.

Cette théorie prend pour argument le phénomène mondial de libéralisation du secteur des Télécom, qui a obligé l'entreprise, détenue au préalable par l'État, à faire face à une concurrence sévère. Pour s'adapter, France Télécom a notamment mis en place le plan Next visant à supprimer 22 000 postes entre 2005 et 2008. Dans la narration proposée par les médias et la plupart des commentateurs de ces faits de suicides, ce plan joue un rôle important : c'est lui qui a incité certains managers à utiliser des méthodes sordides pour remplir les objectifs fixés par la direction. Si Next était bien la cause de ces suicides, les chiffres devraient marquer une inflexion à partir du moment où il a été mis en œuvre, ce qui n'est en rien le cas. C'est ce que fait remarquer très justement, mais d'une façon qui est passée presque inaperçue, un article paru dans Rue 89[12] et rendant compte d'un fait stupéfiant. Le taux de suicides était équivalent chez France Télécom au début des années 2000, mais per­sonne n'avait songé, à cette époque, à attirer l'attention médiatique sur eux.

Taux de suicides annuel chez

France Télécom entre 2000 et 2003 (pour 100 000)

Années

2000

2001

2002

2003

Taux
de suicides

28

23

29

22

Je rappelle que, pour les années qui ont inspiré aux médias d'innombrables titres du type « Encore un sui­cide », « Vague de suicides », « Série noire », etc., on a dénombré selon les estimations syndicales elles-mêmes 19 suicides pour 2009 et 26 pour 2010... En faisant subir aux chiffres le supplice de Procuste, on peut imagi­ner, comme Luc Peillon, que ces chiffres sont supérieurs à ce que l'on devrait attendre, mais on ne peut objecti­vement pas dire que le plan Next ait eu un impact signi­ficatif sur le taux de suicides dans cette entreprise.

Par ailleurs, dès lors que l'affaire commence à pren­dre un tour médiatique alarmiste, les dirigeants de France Télécom, sincères ou non, entérinent une série de mesures pour endiguer cette « vague de suicides ». Le 10 septembre 2009, est annoncée la suspension de la mobilité des personnels concernés par les réorgani­sations jusqu'au 31 octobre. Le 28 septembre, la fin du principe de mobilité systématique des cadres tous les trois ans est approuvée. Le 30 septembre, la direction affirme la fin d'objectifs chiffrés de diminution globale de suppression du personnel. Le 25 mars 2010, huit engagements sont pris sur les nouvelles orientations managériales, parmi lesquelles l'on note que désormais, la mobilité sera essentiellement basée sur le volontariat. Si j'insiste sur cette notion de mobilité forcée, c'est qu'elle est présentée, dans le débat, comme une cause importante de ces suicides professionnels. Le nom même de l'observatoire donneur d'alerte, l'Observa­toire du stress et des mobilités forcées à France Télécom, indique bien le rôle causal qu'on lui attribue. Or, il n'est qu'à reporter ces différentes dates sur le graphi­que « Les suicides chez France Télécom (années 2009­2010) » pour voir que les décisions des dirigeants de France Télécom n'ont pas eu de résultats significatifs sur la baisse du taux de suicide. On peut, d'une façon générale et même si c'est un peu spéculatif, supposer que cette polémique a mis sous la loupe les managers de l'entreprise qui ont dû recevoir, au moins implicite­ment, des injonctions pour assouplir leurs méthodes. Tout cela n'a hélas servi à rien car il est apparu, comme nous allons le voir, une période modale de suicides de juillet 2009 à mai 2010.

Effet Werther et risques médiatiques

Un autre fait a été peu examiné : l'influence possible de la déferlante médiatique sur ces suicides. En effet, on pourrait s'attendre à ce que le traitement médiatique soit proportionnel au nombre de suicides : plus des sala­riés décideraient d'en finir, plus les médias se feraient l'écho de ce malaise. Or, ce n'est pas ce qu'indique le graphique suivant, qui présente conjointement, trimes­tre par trimestre, par la courbe noire, le « taux de couver­ture médiatique », c'est-à-dire le pourcentage d'articles publiés sur cette période parmi les 421 considérés, et par la courbe grisée — le pourcentage des suicides dans la période parmi les 45 cas relevés.

Suicides et traitement médiatique

_ Taux de couverture médiatique

_ % de suicides sur l'année 2009/2010

 

On observe ici plusieurs phases, dont les trois pre­mières paraissent intéressantes. La phase 1, qui va de janvier à septembre 2009, période pendant laquelle la presse ne s'est pas encore intéressée à la question, correspond au temps de latence nécessaire aux médias pour se saisir d'un phénomène. La phase 2, qui va de juillet à décembre 2009, est celle de l'emballement médiatique. Cette période est suivie par la phase 3, la plus intéressante sans doute (janvier-mars 2010), qui montre que le marché médiatique est saturé et entame un désintérêt pour le phénomène tandis que, comme un écho au pic médiatique de la période précédente, le taux de suicide atteint son apogée et dessine les linéaments de la dernière période critique. En d'autres termes, l'acmé médiatique précède celle des suicides à France Télécom.

Je ne crois pas qu'il serait juste d'écrire que ce traite­ment médiatique a « généré » des suicides, mais il n'est pas inimaginable de supposer qu'il a créé un effet de concentration : il a accéléré le surgissement d'occurren­ces d'un phénomène qui, sans cela, se serait peut-être réparti différemment dans le temps. Si cette hypothèse n'est pas invraisemblable, c'est parce que ce type de pro­cessus est connu et a déjà été commenté, comme le rap­pelle le psychiatre Charles Sebrien :

Oui, il peut y avoir des effets de contagion, de facilitation par l'exemple. La médiatisation peut avoir une certaine résonance chez des personnes plus fragiles[13].

Ce danger a été également souligné lors de différentes journées mondiales de prévention du suicide organisées par l'OMS[14]. La visibilité sociale du suicide peut ainsi créer un phénomène nommé effet Werther par le socio­logue américain David Phillips[15], en référence au célèbre héros suicidaire du roman de Goethe dont la publica­tion, dit-on, provoqua une vague de suicides en Europe au XXe siècle.

La question du suicide par mimétisme est très épi­neuse, mais plutôt que d'imaginer des processus de contagion irrationnelle qui fascinent mais sont peu descriptifs et fragiles, il suffit peut-être de savoir qu'une étude récente indique que 12,2 % des Français déclarent qu'ils ont un jour pensé à se suicider[16]. La médiatisation d'un ou de plusieurs faits de suicides dans l'entourage direct ou symbolique d'un individu (parce qu'il appar­tient à la même entreprise, par exemple) peut faire sur­gir cette possibilité et lui conférer un caractère impératif qu'il n'aurait peut-être pas revêtu en d'autres circons­tances. La médiatisation fait entrer dans l'univers du possible un acte parfois envisagé, mais circonvenu dans un univers contrefactuel. Le sentiment que « d'autres le font aussi » peut conférer un caractère de « normalité » à un geste désespéré. Elle crée un temps social opportun pour un acte qui aurait pu se produire plus tard, et donc un phénomène de concentration d'occurrences qui est l'un des faits importants permettant d'expliquer le suc­cès de l'hypothèse du management meurtrier.

Les soubassements cognitifs d'un emballement

Malgré toutes ces anomalies descriptives, l'hypothèse du management meurtrier s'est imposée, et pas par hasard : elle est soutenue par des « faits », et doublement inspirée par des items idéologiques et cognitifs.

Tout d'abord, elle propose une relation causale simple entre stress supposé et suicides. Or, l'esprit humain est irrésistiblement attiré par les explications de type mono-causal[17]. Il faut une certaine gymnastique mentale pour concevoir qu'un effet puisse être produit par plusieurs causes simultanées. C'est précisément ce type d'efforts qui est nécessaire pour comprendre la réalité du suicide, comme le savent les spécialistes, et c'est ce qu'indique le psychiatre Patrice Huerre :

Face à chaque grand problème qui se pose à nous — qu'il s'agisse du dérèglement climatique, de la menace d'une nouvelle forme de grippe ou du suicide de salariés —, tout se passe comme s'il importait avant tout d'en identifier une cause, simple et unique, afin de mettre au plus tôt en place un remède censé tout régler[18].

Mais si l'explication mono-causale a pu s'imposer, c'est aussi parce qu'elle revendiquait des faits : ta concentration de suicides manifestée par la période de juillet 2009 à mai 2010 comprise, qui est la période modale (tant pour les suicides que pour le traitement médiatique) était pré­sentée comme sortant de l'ordinaire. Nous avons vu que la prudence, pourtant nécessaire, n'a guère été de mise dans la manipulation de ces chiffres par les commenta­teurs. Si l'on accepte de faire le calcul pour cette période seulement, on trouve 29 suicides pour 11 mois et donc un chiffre, projeté sur une année, d'un peu moins de 32 suicides. Donc, si les commentateurs ont imaginé un scénario pour expliquer ces chiffres, c'est parce qu'ils jugeaient qu'ils sortaient de l'ordinaire. Mais s'ils ont trouvé ces chiffres extraordinaires, c'est parce qu'ils n'ont eu aucune considération pour la période qui précédait ces données, par exemple l'année 2008 (qui clôturait pourtant le plan Next incriminé) : cette année-là, il y eut 12 suicides chez France Télécom... Or, comme l'expli­que Viviane Kovess Masfety :

Les variations du taux à l'échelle d'une sous-population limitée comme celle de France Télécom ne peuvent se concevoir qu'en lissant », c'est-à-dire en considérant les données disponibles sur plusieurs années, puisqu'un ou deux cas de plus ou de moins peuvent faire grimper ou baisser artificiellement les taux, sans correspondre à une tendance[19].

Les phénomènes sociaux ne se présentent pas sous une distribution homogène, en particulier lorsqu'ils concernent des occurrences quantitativement faibles ; et si l'on ne porte son attention que sur une fourchette modale, on arrive rapidement à se convaincre qu'il se produit un événement qui n'est pas la manifestation du hasard, comme une « loi des séries ».

La croyance dans la loi des séries révèle en réalité ) une représentation erronée du hasard[20], qui a lesté la possibilité même de trouver douteuse l'idée d'une « vague de suicides ». Nous avons tendance à croire que le hasard est « juste », c'est-à-dire qu'il répartit équitablement les phénomènes au cours du temps. Cette croyance nous fait juger étranges certains évé­nements qui adviennent parfois groupés. On évoque facilement la loi des séries, par exemple, lorsque plu­sieurs accidents d'avions surviennent le même mois. Une telle concordance peut donner l'impression que ces événements, apparemment indépendants, sont obscurément liés, dans l'ombre de la mystérieuse loi. Nous trouverions plus normal que ces événements tragiques surviennent tout au long de l'année, répar­tis équitablement. Il s'agit de la manifestation banale d'une erreur de raisonnement mieux connue sous le nom d'effet râteau.

L'effet râteau

Un universitaire américain a demandé à des étudiants volon­taires de retranscrire, par écrit, une série imaginaire de piles et de faces engendrée par 300 jets d'une pièce non biaisée. Il a constaté que les étudiants répugnaient à aligner trop de piles ou de faces consécutifs. En voulant « imiter » une génération aléatoire, les étudiants créaient des « files fermées brèves » (c'est-à-dire des séries de piles ou de faces consécutifs) en plus grande proportion que celle attendue par le hasard.

Ce phénomène mental est appelé effet râteau. Tout se passe comme si notre esprit, pour simuler l'aléatoire, passait sur un amas confus d' événements un râteau mental pour créer une répartition plus régulière que ce que ne provoque le hasard dans les faits. Cet effet râteau, peut être facilement mis en évidence. C'est ce à quoi s'est employé Edward Mils Purcell, prix Nobel de physique, en conce­vant deux programmes informatiques très simples.

Sur une matrice de 144 unités, le premier produisait X points aléatoires sur l'axe des abscisses et 96 sur l'axe des ordonnées. Il y avait donc 13 824 points (et donc positions) possibles. Le résultat était un ensemble de points dispersés au hasard dans un rectangle. Le second faisait de même, mais Purcell y inséra un élément supplémentaire : un point ne pouvait être choisi par le pro: anime qu'à la condition qu'il ne se situe pas immédiate­ment dans une case adjacente à un point déjà choisi. En d'autres termes, ce programme déformait ce qu'aurait dû produire nor­malement le hasard en introduisant une « clause » d'étalement. 01, lorsqu'on présente à des sujets les résultats produits par les deux programmes, ceux-ci considèrent le plus souvent que le deuxième est plus vraisemblablement le résultat du hasard que le premier...

Encore un exemple, proposé cette fois par le mathématicien et informaticien français Jean-Paul Delahaye. Prenons 12 dates réparties au hasard dans une année de 365 jours. Si ces dates étaient distribuées de façon uniforme, l'écart moyen entre elles serait de 30 jours. La question est la suivante : 100 000 répartitions aléatoires ont été effectuées. À votre avis, quelle est la moyenne des écarts minimum que l'on recueille entre deux dates ? Vous avez sans doute compris que la bonne réponse consiste à sous-estimer ce que nous suggère notre intuition qui est inspirée par la croyance en l'hétérogénéité du hasard. Le résultat obtenu à partir de ces 100 000 répartitions est de 2,53 jours (ce qui est très différent des 30 jours qu'aurait générés l'équi-répartition). Dans plus de 4 cas sur 5, souligne Delahaye, « en prenant 12 dates dans l'année, deux d'entre elles forment un groupe resserré qui, s'il s'agissait de données réelles, nous apparaîtrait un rapprochement étrange. Des tirages répétés, uniformes et indépendants créent spontanément ce que nous interprétons à tort comme des regroupements inattendus. »

Les différents commentateurs de la vague de suici­des chez France Télécom ont tout simplement été vic­times d'un effet râteau. Exemple parmi tant d'autres, Libération titre, le 10 septembre 2009 : « À 22 suicides, c'est quand même qu'il y a un grave problème ». Les journalistes n'ont pas compris qu'une analyse raisonna­ble de cette affaire ne pouvait se faire qu'en considérant les données disponibles sur plusieurs années.

Ici, le phénomène est particulièrement complexe car le traitement médiatique, par l'effet Werther, a peut-être accéléré le phénomène de concentration des occur­rences sur une période brève et cette accélération aug­mentait encore l'empire de l'effet râteau. Ce processus d'emballement ne s'est enrayé que par la saturation du marché cognitif — quelque chose comme une lassitude, sans doute.

Les soubassements idéologiques d'un emballement

Les prémisses de la théorie de la vague de suicides nécessitaient des faits : une conception erronée du hasard a permis aisément de les recruter. Mais comme l'écrivait jadis Goethe, « la théorie est au cœur même du fait », et pour qu'une proposition cognitive comme celle du management meurtrier puisse rencontrer un tel succès, il faut plus qu'une disposition mentale comme cette appétence pour les explications mono-causales ou cette représentation fallacieuse du hasard : il faut aussi que ces invariants mentaux rencontrent des variables sociales particulières, qu'elles puissent s'incarner en un récit performant.

Depuis de nombreuses années, l'opinion publique a été préparée à concevoir le monde de l'entreprise comme une illustration de l'amoralité de l'économie de marché. Il ne m'appartient pas ici de savoir si cette vision est juste ou non, mais seulement de souligner que c'est ce récit préparatoire qui a pu rendre presque monopolistique sur le marché cognitif la douteuse théorie de la vague de suicides. Le plus saisissant sans doute, c'est que cette narration a couru dans les pages des journaux quelle que soit leur sensibilité politique. Ainsi, explique-t-on dans les pages du Figaro du 13 septembre 2009 (« Suicides : France Télécom sous haute tension ») :

Ce bouleversement est le résultat de la mondialisation et de la libéralisation des marchés des télécoms. France Télécom s'est retrouvée dans le grand bain de la concurrence. Pour s'adapter à cette onde de choc, l'ancienne DGT (Direction générale des télécommunications), détenue par l'État, devient une société anonyme, cotée en Bourse, soumise aux lois du marché. L'ancien monopole, autrefois seul maître sur son pré-carré, se retrouve au cœur d'un jeu concurrentiel féroce, fait de guerre des prix et de bagarre marketing, de plus en plus éloigné de sa culture origi­nelle de service public.

On pourrait multiplier les citations de la même farine. Le Monde, par exemple, conçoit qu'à tout malheur quel­, que chose est bon et donne à lire, dans ses pages du 10 avril 2010 :

La loi du silence qui a trop longtemps régné sur ce sujet est en train d'être rompue. Après deux décennies de course effré­née aux gains de productivité et de pression croissante, voire aveugle, sur les salariés, elle doit conduire à une remise à plat, profonde et sincère, de l'organisation de l'entreprise. Afin de remettre le travail au centre et de lui redonner un sens qu'il a, trop souvent, perdu.


 

Le récit proposé est donc le suivant :

Ce scénario a bien des avantages cognitifs, comme nous l'avons vu dans l'affaire de la vague des suicides. Il épouse notre représentation fallacieuse du hasard, s'adosse à notre appétence pour le mono-causalisme et fait écho à un sentiment d'indignité latent que nous inspire le monde économique contemporain. L'histoire exemplaire qui s'est diffusée dans le corps social offre ainsi une forme de revanche symbolique : enfin, les cou­pables sont pris la main dans le sac.

Au royaume des aveugles, les myopes sont rois

L'amnésie médiatique vient au secours de l'éternel retour de cette histoire exemplaire. Elle se renouvelle déjà, cherchant ailleurs — et trouvant nécessairement ­les dégâts occasionnés par la violence du monde du tra­vail. Avant même que ne soit achevée celle de France Télécom, l'histoire paraissait pouvoir revêtir d'autres atours, comme l'indique cet extrait du « Médiascope » de Libération le 10 octobre 2009 :

Et la Poste, si elle est privatisée, elle va finir de la même manière, avec des actionnaires et des fonds de pension américains. C'est sûr, y aura des suicides derrière. Si c'est pour devenir comme France Télécom, c'est dangereux, la privatisation !

La Poste, Pôle emploi, la SNCF... telles sont les ins­titutions candidates à être enserrées dans le récit exem­plaire de la vague de suicides. Ces entreprises ont toutes la caractéristique d'être contraintes à des réformes de fonctionnement, soit parce qu'elles sont confrontées à une concurrence nouvelle dans leur histoire, soit parce qu'elles sont l'objet d'une fusion entre plusieurs servi­ces. Elles sont, en outre, très syndicalisées, ce qui aug­mente la probabilité de voir rendus socialement visibles, et donc présentés comme hors-normes, des faits dont la fréquence peut n'être qu'habituelle. Toutes ces alertes creusent le sillon d'un métarécit qui trouvera les ressources incessantes de son renouvellement dans l'actualité. Il suffit de prêter attention à une entreprise d'assez grande envergure pour y trouver régulièrement des suicides. Une entreprise de 100 000 personnes peut connaître cet événement funeste régulièrement, ce qui est suffisant pour alimenter l'actualité.

Tous ces errements médiatiques ne révèlent pas plus que ceci : les journalistes, et les commentateurs en général, sont des hommes comme les autres. Ils sont victimes d'illusions mentales et contaminés par des enjeux idéologiques, mais cette fragilité habituelle de l'esprit humain est amplifiée par l'urgence à délivrer une information à laquelle les contraint le monde médiatique. Lorsque le temps de latence précédant le commentaire tend à diminuer, l'empire de l'erreur de raisonnement et du stéréotype subreptice s'étend irrésistiblement. Pourtant, certains trouvent que les médias ont été trop lents à dénoncer cette vague de suicides. Parmi eux, Daniel Schneidermann, qui se présente comme un critique avisé du monde de l'information, et qui en a même fait sa compétence principale : « N'empêche : même si elle a mille bonnes raisons de ne pas avoir vu plus tôt, le décalage en dit long sur la myopie de la grande machine à informer », croit-il pouvoir écrire[21].

 

 



[1] Voir « Un nouveau suicide chez France Télécom », Le Parisien, 28 juillet 2009.

[2] Rabatel (2010).

[3] C'est Sophie Bressand, substitut du procureur en charge de l'affaire, qui le souligne.

[4] Parisien, Challenges, Le Point, France Soir, La Correspondance économique, La Tribune, Le JDD, Le Nouvel Observateur, L'Humanité, Le Figaro, Le Monde, Libération, Les Inrockuptibles, L'Expansion, Enjeux Les Échos, Alternatives économiques, Sciences humaines, presse quotidienne régionale.

[5] Libération, 20 octobre 2009, « Des statisticiens s'écharpent sur le taux de suicides à France Télécom ».

[6] Que le site http://www.bakchichinfo/ avait déjà présenté le 15 septembre 2009.

[7] Vatin (2011).

[8] Sur ce point et des éléments concernant les rapports entre suicide et situation professionnelle, voir Vatin (2011, p. 416), qui rappelle que « les liens les plus significatifs entre suicide et travail sont relatifs à la privation de travail (chômage) ».

[9] Durkheim (1930, 2007).

[10] http://www.slate.fr/story/12119/il-ny-pas-de-« -vague-de-suicides »-france-telecom

[11] Vincent Talaouit et Bernard Nicolas, Ils ont failli me tuer, Paris, Flammarion, 2010.

[12] http://eco.rue89.com/2009/10/08/france-telecom-derriere-les-suicides-les-conges-en-fin-de-carriere

[13] « Suicide : responsabilité individuelle ou collective ? », Le Figaro, 3 octobre 2009.

[14] http://www.whoint/mediacentre/news/releases/2004/pr61/fr/ ou voir le document : http://www.who.int/mental_health/media/en/626.pdf 

[15] Phillips (1974).

[16] http://www.slate.fr/story/12119/il-ny-pas-de-« -vague-de-suicides »-france-telecom

[17] Comme le montrent Fischhoff (1984) ou Nisbett et Ross (1980).

[18] « Suicide : le piège des explications simplistes », Le Monde, 10 novembre 2010 ; c'est aussi ce que rappelle un autre psychiatre, Jean-Louis Terra, dans l'article « Suicide : responsabilité individuelle ou collective ? » du Figaro, 3 octobre 2009) : « Près de 70 facteurs de risques suicidaires ont été décrits, notamment la dépression, l'abus d'alcool, les troubles de la personnalité. Pour comprendre ce qui s'est passé réellement à France Télécom, il faudrait reprendre tous les dossiers des personnes décédées, analyser leur personnalité, leur fragilité, leurs points forts, faibles... »

[19] http://www.slate.fr/story/12119/il-ny-pas-de-« -vague-de-suicides »-france-telecom

[20] J'ai exploré cette question dans Bronner (2007).

[21] Daniel Schneidermann, « L'absence des journalistes », Le Monde, 22 septembre 2009.