Ethique des entreprises :

 

Contradiction entre l’image et les pratiques commerciales des géants la TECH.

 

Travaux dirigés – Auteur Benjamin LISAN – 29/06/2020

1         Les faits

 

Un certain nombre de métaux entrent dans les composants des produits (Smartphones, tablettes …) d’Apple et d’autres fabricants de produits électroniques (Samsung, Sony) : étain, cobalt, nobium, tantale …

 

1.1        Conditions de travail dans les mines indonésiennes d’étain

 

L’étain vient essentiellement de l'île indonésienne de Bangka. Malgré les efforts d'Apple, des pratiques de travail peu recommandables sont toujours utilisées pour construire des iPhones, iPads et Macs.

 

Une enquête de la BBC [2] a révélé que 70% de l’étain indonésien utilisé, provient de mines artisanales, où des enfants sont exploités dans des conditions de travail dangereuses (risques d’éboulement …), avec des pratiques à la limite de l’esclavage. La BBC a trouvé des preuves que l'étain des mines illégales pourrait entrer dans sa chaîne d'approvisionnement d'Apple [2].

 

1.2        Les conditions de travail dans les mines de coltane et hétérogénite en RDC (2016)

 

En RDC, le cobalt est généralement trouvé dans une roche gris foncé appelé hétérogénite [8]. Le cobalt peut être aussi extrait à partir d’autres minerais qui sont ramassés surtout pour leur teneur en cuivre et qui sont ensuite transformés.

Le nobium et le tantale sont extraits du coltan, un minerai de couleur noire ou brun-rouge (toujours en RDC, dans la région du Kivu, qui détient entre 60 et 80 % des réserves mondiales) [9].

L'exploitation artisanale du cobalt représente 20% jusqu'à 30% de la production du cobalt congolais [11].

 

De grandes marques électroniques, comme Apple, Samsung et Sony, n'effectuent pas les contrôles élémentaires afin de vérifier que la fabrication de leurs produits n’intègre pas de cobalt extrait dans les mines par des enfants, écrivent Amnesty International et Afrewatch[1] dans un rapport rendu public, le mardi 19 janvier 2016 [7], Intitulé  «Voilà pourquoi on meurt». Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobalt. Ce document retrace le parcours du cobalt utilisé dans les batteries lithium-ion, depuis les mines où des enfants parfois âgés de sept ans seulement et des adultes travaillent dans des conditions dangereuses et « d’esclavage[2] » [8].

 

Le rapport dévoile que les négociants achètent le cobalt extrait dans des zones où le travail des enfants est monnaie courante et le vendent à la Congo Dongfang Mining (CDM), filiale détenue à 100 % par le géant chinois de l'exploitation minière Zhejiang Huayou Cobalt Ltd (Huayou Cobalt).

D'après les investigations d'Amnesty International fondées sur des documents d'investisseur, Huayou Cobalt et sa filiale CDM traitent le cobalt, avant de le vendre à trois fabricants de composants de batteries en Chine et en Corée du Sud. À leur tour, ceux-ci vendent leurs composants à des fabricants de batteries qui affirment fournir des entreprises du secteur de la technologie et de l'automobile, notamment Apple, Microsoft, Samsung, Sony, Daimler et Volkswagen.

Cinq ont nié se procurer du cobalt auprès de Huayou Cobalt, alors qu'elles figurent sur les listes clients des fabricants de batteries. Deux multinationales ont nié se procurer du cobalt provenant de la RDC.

 

Il importe de noter qu'aucune de ces entreprises n'a fourni d’informations suffisantes pour vérifier de manière indépendante la provenance du cobalt utilisé dans ses produits.

La RDC est responsable d'au moins 50 % de la production mondiale de cobalt. Selon l'UNICEF, en 2014, environ 40 000 enfants travaillaient dans les mines dans le sud de la RDC[3], dont beaucoup dans des mines de cobalt [7].

Les 16 multinationales examinées dans le rapport sont Ahong, Apple, BYD, Daimler, Dell, HP, Huawei, Inventec, Lenovo, LG, Microsoft, Samsung, Sony, Vodafone, Volkswagen et ZTE. Leurs réponses figurent en annexe du rapport [8].

 

1.3        Les conditions de travail dans les usines chinoises

 

Que les travailleurs de grandes usines chinois (Pegatron, Foxconn), fabricant des produits Apple, vivaient dans des conditions à la limite de l’esclavage _Par exemple, les travailleurs étrangers ou migrants étant informés qu'ils doivent payer des "frais de recrutement" pour obtenir un emploi, ce qui signifie qu'ils sont endettés envers leurs fournisseurs avant même d'avoir commencé à travailler. Souvent, les passeports des travailleurs étant confisqués. Les travailleurs pouvant travailler plus de 60h par semaine, dormir à douze dans des dortoirs exigus [1] [2].

 

1.4        Les justification d’Apple et d’autres fournisseurs (2015)

 

L'entreprise justifie ses pratiques d'approvisionnement en disant que c'est un processus complexe, avec des dizaines de milliers de mineurs vendant de l'étain, dont beaucoup par l'intermédiaire d'intermédiaires. Dans une déclaration à la BBC, Apple a déclaré que « la solution la plus simple serait pour Apple de refuser unilatéralement toute étain provenant des mines indonésiennes. Ce serait facile pour nous et cela nous protégerait certainement des critiques. Mais ce serait aussi la voie paresseuse et lâche, car cela ne ferait rien pour améliorer la situation. Nous avons choisi de rester engagés et d'essayer de provoquer des changements sur le terrain. ». « Le travail des enfants n'est jamais toléré dans notre chaîne d'approvisionnement... », avait aussi affirmé le fabricant de smartphones dans une déclaration à la BBC.

Dans un effort pour une plus grande transparence, Apple a publié des rapports annuels détaillant leur travail avec les fournisseurs et les pratiques de travail [5].

 

« C'est le grand paradoxe de l'ère numérique : des entreprises parmi les plus florissantes et innovantes du monde sont capables de commercialiser des produits incroyablement sophistiqués sans être tenues de révéler où elles se procurent les matières premières incluses dans leurs composants […] Des millions de personnes bénéficient des avantages des nouvelles technologies, sans se préoccuper de la manière dont elles sont fabriquées », a déclaré Emmanuel Umpula, directeur exécutif d'Afrewatch (Observatoire africain des ressources naturelles).

 

2         Des solutions ?

 

2.1        Le mécanisme des blockchains (2018)

 

Régulièrement accusé de mettre sur le marché des minerais mélangés à des ressources en provenance de la RDC, le Rwanda a présenté, en 2018, un système de traçabilité des sacs de minerai, par "blockchain[4]", pour tracer le tantale, initié par des entreprises sur place : Power Resources Group (PRG), une société spécialisée dans l'extraction et le raffinage au Rwanda et en Macédoine, et la startup britannique Circulor, une startup britannique spécialisée dans la blockchain [10].

 

« Mais les spécialistes considèrent que le tantale est beaucoup plus difficile à tracer que le diamant. On estime que le repérage des diamants est relativement simple par rapport à la création d'une chaîne de blocs pour un minerai à raffiner, tel que le coltan qui produit du tantale, ou du cobalt. Car le processus de raffinage crée le risque de mélanger des lots propres à d'autres » [10].

 

2.2        Plainte contre les GAFA (2020)

 

Après maintes alertes sans suite, la lutte contre l’exploitation des enfants dans les mines de cobalt en RDC, l'association de défense des droits de l'Homme, International Rights Advocates (IRAdvocates) a déposé une plainte, en janvier 2020, auprès d'un tribunal de Washington, contre cinq géant de la Tech, Apple, Google, Microsoft, Tesla et Dell, pour exploitation des enfants notamment dans les mines de Cobalt en RDC.

 

Ely Katembo, fondateur de Katembo groupe et membre de Congo World Foundation (CWF) pour le développement durable et IRAdvocates accusent ces entreprises de la Tech de profiter du travail des enfants, dans des conditions « d'âge de pierre pour des salaires dérisoires » avec un immense risque personnel. « Chaque smartphone, tablette, ordinateur portable, véhicule électrique ou autre appareil contenant une batterie rechargeable au lithium nécessite du cobalt. Des centaines de milliards de dollars générés par ces entreprises chaque année ne seraient pas possibles sans le cobalt extrait en RDC », peut-on lire dans leur document.

 

Dans un rapport publié en 2015, Amnesty International mettant en cause leur responsabilité, révélait que les enfants ayant récolté, trié, nettoyé, broyé et transporté du cobalt étaient payés par les négociants au sac de minerai, sans aucune possibilité de vérifier indépendamment le poids de leurs sacs ou la teneur du minerai, accentuant les risques d'exploitation. « Cette exploitation des enfants est une espèce d'esclavage des temps modernes qui doit s'arrêter », nous affirmé l'analyste économique Congolais Al Kitenge.

 

Les nombreux critiques ont poussé plusieurs entreprises dont Samsung, AppleSony, HP, Volvo et BMW ou encore Daimler à mener des actions pour un Cobalt plus éthique, en rejoignant notamment l'Initiative du Cobalt responsable ou Responsible Cobalt Initiative (RCI) sous l'impulsion d'entreprises chinoises (Huawei, des producteurs de cobalt chinois tels que Zhejiang Huayou Cobalt Co, le recycleur de batteries chinois GEM Co Ltdl), en faveur d'une plus grande transparence de la chaîne d'approvisionnement.

 

La création d'une chaine d'approvisionne de cobalt plus éthique, à partir de la RDC où est extraite 60% de la production mondiale dépendra en grande partie de la volonté de l'Etat congolais à combattre le trafic, l'opacité de la chaine de production de Cobalt rendant difficile la traçabilité des minerais, selon Amnesty.

 

L'idée est de convertir des mines en exploitations industrielles ou semi-industrielles avec des exploitants et interlocuteurs identifiables, respectueux des normes en vigueur. « L'Etat Congolais doit appliquer une tolérance zéro sur les exploitations artisanales, puis soutenir et développer les exploitations semi-industrielles encadrées, sérieuses, équipées et dotées de cahiers de charges clairs », a détaillé Al Kitenge.

 

3         Questions pour la discussion

 

1. Pensez-vous qu'Apple devrait être responsable des manquements éthiques des individus en aval de sa chaîne d'approvisionnement? Pourquoi ou pourquoi pas?

2. Apple devrait-il continuer à travailler avec les fournisseurs pour en fairer changer les pratiques, ou devrait-il cesser de travailler avec tous les fournisseurs, même consciencieux, pour s'assurer qu'aucune « pomme pourrie » ne passe ? Expliquez votre raisonnement.

3. Pensez-vous que les consommateurs devraient tenir compte des antécédents éthiques des entreprises lors de leurs achats ? Pourquoi ou pourquoi pas ?

4. Pouvez-vous penser à d'autres produits ou marques qui s'appuient sur des pratiques commerciales éthiquement contestables ? Pensez-vous que les consommateurs sont découragés par leurs antécédents ou y sont-ils largement indifférents ? Expliquez votre point de vue.

5. Le fait de savoir qu'un produit a été fabriqué dans des conditions éthiquement contestables affecterait-il votre décision de l'acheter ? Expliquez votre point de vue avec des exemples.

6. Si vous faisiez partie d'un organisme de réglementation, comment traiteriez-vous les pratiques commerciales éthiquement contestables de sociétés multinationales comme Apple ? Vous sentiriez-vous obligé de faire quelque chose ou pensez-vous que la solution incombe aux entreprises elles-mêmes ? Expliquez votre raisonnement.

7. Comment empêcheriez-vous que les fonctionnaires chargés de vérifier l’application de la législation du travail (l’interdiction du travail des enfants …) ne se fassent pas corrompre par les sociétés de la chaîne de production du minerai ?

Présentez et défendez vos solutions.

 

4         Bibliographie

 

[1] Despite successes, labor violations still haunt Apple [Malgré les succès, les violations du travail hantent toujours Apple], James Vincent,  Feb 12, 2015,, http://www.theverge.com/2015/2/12/8024895/apple-slave-labor-working-conditions-2015

[2] Apple 'failing to protect Chinese factory workers' [Apple «ne protège pas les travailleurs des usines chinoises». Le tournage sur une chaîne de production d'iPhone 6 a montré que les promesses d'Apple de protéger les travailleurs étaient systématiquement violées], Richard Bilton, BBC Panorama, 18 December 2014, https://www.bbc.com/news/business-30532463

[3] How Apple could make a $53 billion profit this year [Comment Apple pourrait réaliser un profit de 53 milliards de dollars cette année], 17/07/2015, http://money.cnn.com/2015/07/17/technology/apple-earnings-2015/

[4] Global Apple iPhone sales from 3rd quarter 2007 to 2nd quarter 2016 (in million units) [Ventes mondiales d'iPhone Apple du 3ème trimestre 2007 au 2ème trimestre 2016 (en millions d'unités)], http://www.statista.com/statistics/263401/global-apple-iphone-sales-since-3rd-quarter-2007/

[5] Reports – Supplier Responsibility – Apple [Rapports - Responsabilité du fournisseur – Apple], https://www.apple.com/supplier-responsibility/progress-report/

[6] Ethical fading [Atténuation/affaiblissement éthique], https://youtu.be/UdU4VZqRIO0

[7] Le travail des enfants derrière la production de smartphones et de voitures électriques, Amnesty, 19 janvier 2016, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/01/child-labour-behind-smart-phone-and-electric-car-batteries/

[8] RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO. « VOILÀ POURQUOI ON MEURT » LES ATTEINTES AUX DROITS HUMAINS EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO ALIMENTENT LE COMMERCE MONDIAL DU COBALT, 19 janvier 2016, N° d'index: AFR 62/3183/2016, https://www.amnesty.org/fr/documents/document/?indexNumber=afr62%2f3183%2f2016&language=fr  & https://www.amnesty.org/download/Documents/AFR6231832016FRENCH.PDF

[9] Coltan, https://fr.wikipedia.org/wiki/Coltan

[10] Rwanda  : une blockchain pour traquer le tantale, de la mine à la raffinerie, Maimouna Dia, 18/10/2018, https://afrique.latribune.fr/afrique-de-l-est/rwanda/2018-10-18/rwanda-une-blockchain-pour-traquer-le-tantale-de-la-mine-a-la-raffinerie-794468.html

[11] Plainte contre les GAFA : une nouvelle stratégie pour contrer le travail des enfants dans les mines de cobalt en RDC, Maimouna Dia, 30/01/2020, https://afrique.latribune.fr/afrique-centrale/republique-democratique-du-congo/2020-01-30/plainte-contre-les-gafa-une-nouvelle-strategie-pour-contrer-le-travail-des-enfants-dans-les-mines-de-cobalt-en-rdc-838244.html

 

 



[1] African Resources Watch (AFREWATCH) est une organisation de défense des droits de l’homme œuvrant dans le secteur des ressources naturelle. Elle est une organisation non gouvernementale régionale qui promeut l'égalité d'accès aux ressources naturelles, y compris la terre, l'eau et les minéraux en République démocratique du Congo. Site : http://www.afrewatch.org/

[2] Les enfants ayant récolté, trié, nettoyé, broyé et transporté du cobalt, travaillant 12h / jour, sont payés par les négociants au sac de minerai, sans aucune possibilité de vérifier indépendamment le poids de leurs sacs ou la teneur du minerai, accentuant les risques de leur exploitation [11].

[3] Actuellement, le marché mondial du cobalt n'est pas réglementé. En effet, le cobalt n'entre pas dans la catégorie des « minerais du conflit » réglementés aux États-Unis – à savoir l'or, le coltan/tantale, l'étain et le tungstène – en provenance des mines de la RDC.

[4] La blockchain est une sorte de base de données sans contrôle d’une autorité supérieure et dont la sécurité est garantie par des techniques de cryptographie numérique. La base est alimentée par les utilisateurs qui rentrent eux-mêmes les informations qu’ils souhaitent stocker. Chaque bloc de données est daté et connecté à celui produit avant lui dans la même chaîne. Avant de passer à celui d’après, le contenu de chaque bloc doit être contrôlé par les utilisateurs et validé. Une fois ajouté, un bloc de données ne peut être ni modifié ni supprimé. L’ensemble crée donc une chaîne de données datées et inaltérables.  Cf. La blockchain : une révolution pour la traçabilité des produits alimentaires, Arnaud Touati, 12/11/2018, https://www.linfodurable.fr/technomedias/la-blockchain-une-revolution-pour-la-tracabilite-des-produits-alimentaires-7208

La technologie à la base de cyptocurrency bitcoin ou blockchain permet la création d'une base de données partagée des transactions gérées par un réseau d'ordinateurs sur Internet. Ce qui rend plus difficile la falsification de données détenues par des tiers. Jusqu'à présent, dans le secteur minier, l'unité anglo-américaine De Beers est l'une des rares entreprises à avoir utilisé la blockchain pour contrôler les diamants afin de garantir qu'ils ne sont pas issus de zones de conflits ou du travail des enfants. Les compagnies productrices de tantale au Rwanda ont précisé que l'entreprise Circulor utilisera le suivi par GPS et la reconnaissance faciale pour aider à prévenir toute corruption du système. Elle comparera également la quantité de chaque lot de matières introduites dans une raffinerie avec le produit final, en recourant à des sacs scellés [10].