Hypothèses sur l’origine de la pensée scientifique en Occident

 

Par Benjamin LISAN

1 Août 2005

 

Cette survenue a été longue, et son « accouchement » difficile. Le fil intellectuel qui a conduit à sa naissance a été par moment si ténu, que cette naissance peut paraître comme presque miraculeux.

 

Une contribution importante est la pensée antique grecque, conservée (et sauvée) par les arabes (alors que cette même pensée avait été perdue en occident). Pensée présentant les phénomènes de la nature en termes causaux, et non plus, en termes magiques et miraculeux.

 

Au 5° siècle, à la fin de l’Empire romain d’occident, l’occident a été émietté en de multiples petits royaumes (aucun n’arrivant en occident à prendre la suprématie sur tous les autres).

 

Grâce aux bibliothèques de Cordoue et Grenades, les penseurs occidentaux ont pu rapporter en occident et traduire de l’arabe en latin, la pensée grecque, vers le 11° et 12° siècle.

Ici, à cette même époque, Saint Thomas d’Acquint a joué un rôle important.

L’église catholique (qui dominait la pensée occidentale) était méfiante envers la pensée grecque, dont celle d’Aristote, qui par certains côtés pouvait apparaître à l’église, comme proche de l’athéisme.

Saint Thomas d’Acquint, par son énorme travail, dont sa « Somme théologique », a pu alors « christianiser » la pensée grecque, et la faire accepter à l’église. Tandis que, pendant ce temps, à cause de la « reconsquista » (et l’échec du Califat de Cordoue), l’intégrisme musulman gagnait du terrain et battaient en brèche la pensée grecques et l’interdisait (provoquant un recul durable pour longtemps de la pensée islamique).

 

Seul phare dans l’obscurité qui a suivi dans la civilisation islamique, Ibn Khaldoum, historien d’origine tunisienne, vers le 15° siècle qui fit une grande histoire de la civilisation islamique (en y introduisant un certain esprit critique).

 

Pendant ce temps la pensée critique progressait, avec Abélard, Joachim Péladan, Guillaume d’Okkham (inventeur du fameux principe du rasoir d’Okkham au 12-13° siècle _ qui affirme qu’on doit évite de faire appel à une nouvelle hypothèse pour expliquer un phénomène, si une hypothèse connue peut très bien déjà l’expliquer sans problème), Francis Bacon ….

 

L’explosion des techniques en Occident (la grande inventivité technique de l’Occident médiéval comparativement aux autres civilisations, quelles soient islamiques, chinoises, indiennes et même byzantines …), à partir du 12° siècle, a été favorisée par l’absence d’esclavage en Occident (comparativement aux autres civilisations _ quand celles-ci peuvent êtres comparables _ dont la civilisation islamique).

Pour l’auteur, l’absence d’esclavage, obligeant à inventer des techniques (moulins à eaux, à vents … systèmes de martelages automatiques du fer dans les forges actionnées par les moulins à eaux etc. … ) a eu un rôle très important pour le développement des sciences (en particulier par le développement de l’observation puis des mathématiques. Avec ces observations, on s’est alors rendu compte que les croyances et connaissances antiques n’étaient pas si certaines qu’on le pensait.

 

Attention, le servage qui retenait le serf à la terre, est différent de l’esclavage parce que le serf avait quand même quelques droits et son seigneur n’avait pas le droit de le vendre, ou d’avoir droit de vie ou de mort sur le lui (comme dans le cas de l’esclavage).

Ce qui a favorisé aussi la pensée scientifique est la possibilité de fuir d’un état à un autre, pour les penseurs persécutés, à cause de l’émiettement occidental. Ce qui n’était pas le cas avec l’Empire chinois, avec la civilisation islamique _ quelle soit arabe, puis turque …

 

Ensuite, il y a une grande révolution : l’invention de l’imprimerie avec Gutenberg.

Un moment très important qui a permis d’essaimer encore plus vite les nouvelles idées (et permettre la confrontation des idées sources de nouvelles idées. Avec l’imprimerie, les thèses cathares, par exemple, auraient pu peut-être survivre).

 

L’invention de l’imprimerie a été favorisée par l’inventivité occidentale (plus grande qu’ailleurs), mais parce qu’elle bénéficiait d’un climat d’idées favorable (dans l’Antiquité, elle aurait été sûrement brûlée tout de suite et déclarée comme « impie »).

 

Les princes, l’église voyant le danger de cette technique l’ont contrôlé dès le début (mais ce qui n’a pas empêché de continuer à produire des publications sous le manteau).

 

Puis il y a eu une seconde révolution, la « révolution copernicienne » (l’idée d’un système astronomique héliocentrique déjà imaginée durant l’antiquité par Aristarque de Samos, mais étayées par des arguments mathématiques plus rigoureux).

Depuis longtemps, on avait l’impression que Ptolémée avait « truqué » ses résultats, ses mesures et ses observations, pour que l’observation puissent fonctionner avec sa théories des cycloïdes.

 

Copernic pour cette remise en cause des idées (et système astronomique géocentrique) de Ptolémée, a été très prudent, en n’avançant que l’idée sous la forme juste d’hypothèses mathématiques. En plus il n’a fait apparaître son travail qu’à sa mort. Ainsi l’ouvrage n’a pas été mis tout de suite à l’Index (c’est à dire interdit de publication par l’église).

 

Il n’y aurait pas eu révolution copernicienne, sans le fait que le géocentrisme était un dogme absolu de l’église.

 

Tycho Brahe, astronome danois, a inventé des instruments de mesures, pour vérifier quel système était valide. Kepler, grâce au relevé minutieux et rigoureux des mesures de Tycho Brahe a découvert des lois mathématiques régissant le mouvement des planètes, mais qui étaient héliocentriques.

Galilée durant cette période, 16° - 17°, a découvert par l’expérimentation les lois de la dynamiques des corps, qui remettaient en cause plus de 2000 ans de physique d’Aristote (à laquelle avait souscrit l’église, pendant tout ce temps). Il a souscrit, comme Giordano Bruno, aux thèses de Copernic, provoquant sa condamnation par l’église.

 

Mais l’arrivée de la théorie unitaire de toutes les lois physiques connues de l’époque par Newton (dont sa loi de la gravitation universelle) et la remise en cause des dogmes par Descartes ont mis fin définitivement à l’hégémonie intellectuelle absolue (et tyrannique) de l’église (et d’aileurs, aux procès en sorcellerie).

 

Après le 17° siècle, il n’y eu plus de possibilité de retour en arrière (c’est à dire d’une régression de la pensée critique et scientifique, comme celle qui était arrivée dans l’Empire Romain d’Occident, vers le 5° siècle).

 

En conclusion partielle et provisoire

 

Le rôle du théologien italien Saint-Thomas d’Acquint (1225-1274), avec sa « somme théologique » (1273), comme celui, bien plus tard, du philosophe et scientifique René Descartes, avec son « discours de la méthode » et ses « méditations métaphysiques », sont loin d’être négligeables.

 

La thèse de Thomas est que foi et raison ne peuvent se contredire car elles émanent toutes deux de Dieu ; la théologie et la philosophie ne peuvent donc pas parvenir à des vérités divergentes. Sa certitude est que l’étude philosophique, aussi poussée soit-elle, ne contredira en aucun cas l’enseignement de la religion, puisque - écrit-il - les deux ont un même objet, qui est la vérité.

Il va discuter et le plus souvent réfuter les commentaires d’Avicenne et d’Averroès, théologiens musulmans qui l'ont précédé dans la lecture d'Aristote. Averroès, par exemple, doutait de l'unicité de l'âme et de l'intellect, ce qu'entendait réfuter Thomas dans son « De l’unité de l’intellect contre les averroïstes ».

Après avoir été brièvement condamné en 1277, puis réhabilité, il est canonisé en 1323 par le pape Jean XXII .

Selon G.K. Chesterton, … « il a réconcilié raison et religion. Il lui ouvrit les voies de l'expérimentation scientifique, il rendit […] à l'intellect son droit divin à se nourrir de faits vérifiés ».

Ce qui frappe dans les 4 livres de sa « somme théologique », qui traite plus de 500 questions théologiques, c’est sa grande rigueur, grande précision et son honnêteté intellectuelle, … même rigueur, précision, honnêteté, que l’on retrouvera plus tard dans les œuvres philosophiques de Descartes (honnêteté et rigueur qu’on retrouve aussi dans le livre de Copernic, "De revolutionibus orbium coelestium", publié l’année de sa mort).

Peut-être cette rigueur et honnêteté étaient due à la prudence de ces intellectuels, échaudés par les déconvenues de philosophes qui les ont précédés dans l’histoire _ comme Avicenne et Averroès pour Saint-Thomas, et Giordano Bruno pour Descartes.

Peut-être cette honnêteté et rigueur très poussées (associées à une quantité de travail considérable) ont fait basculer l’histoire des sciences et permets que les nouvelles idées et ces ouvrages ne soient pas mis à l’index.

Ce qui ne fut pas le cas des œuvres d’Averroès.

Averroès (1126-1198), qui avait occupé de hautes fonctions _ cadi [c’est à dire haut magistrat] de Séville (1169), grand cadi de Cordoue (1171), premier médecin à la cour du calife Abú Yaqub Yusuf (1182) _ était devenu célèbre notamment au travers de sa conception des vérités métaphysiques, en particulier à travers son œuvre majeure, le Tahafut al-Tahafut (« L’Incohérence de l’incohérence »).

Dans ses commentaires sur Aristote, Averroès sépare radicalement raison et foi, les lumières de la Révélation n’étant accessibles qu’à l’intellect actif, qui rend l’homme supérieur et éternel. Thomas d’Aquin, en revanche cherchera à les réconcilier, fondant la théologie comme science rationnelle [peut-être, fut-il plus prudent dans sa démarche qu’Averroès ?],.

Pour Averroès, les vérités métaphysiques pouvaient en effet s’exprimer de deux manières différentes et pas forcément contradictoires : par la philosophie (Aristote, néoplatoniciens) et par la religion.

Les principes d'Averroès considérés comme dangereux seront finalement condamnés par l'Église catholique, en 1240, puis en 1513.

Cette façon de présenter deux catégories de vérités fut perçue de manière hostile par les religieux à l’esprit étroit. Il fut condamné par la religion musulmane qui lui reproche de déformer les préceptes de la foi, et Averroès fut exilé au Maroc, en 1295.

Son influence posthume en Islam fut quasi nulle.

C’est à des juifs et des chrétiens qu’on doit la conservation et la traduction de ses œuvres.

 

La divergence d’évolution de l’occident chrétien par rapport au monde de l’Islam, ne serait donc due qu’à la plus grande rigueur, honnêteté, quantité de travail, et de prudence ( ?) de quelques penseurs, à moment clé de l’histoire, dans une civilisation donnée par rapport à une autre … Mais cette explication de cette divergence d’évolution entre ces 2 civilisation, au plan scientifique, serait assez simpliste.

Et dans la réalité, le phénomène reste très complexe. Il nécessiterait encore beaucoup d’études historique, pour comprendre le contexte de l’époque dans chacune de ces 2 civilisations.

 

 

Benjamin LISAN, Toulouse, 1 Août 2005

 

Bibliographie :

 

[1] Alexandre Koyré, « Les étapes de la cosmologie scientifique », in Etudes d’histoire de la pensée scientifique, Gallimard, Paris, 1973.

[2] Histoire de la pensée scientifique, RUSSO françois, 1951, Editions Lacour.

[3] L’Image du Monde des Babyloniens à Newton, Arkan Simaan en collaboration avec Joëlle Fontaine, Adapt Editions, 1998.

[4] L’image du monde de Newton à Einstein ... comment notre perception de l’univers a changé, Arkan Simaan, Coéd. Adapt/Vuibert, 7 mars 2005.

 

Sur le thème du 12° siècle et le conflit entre science et foi :

 

[5] Raison et foi, Jacques Attali, 21/1/2005, Ed. BNF.

(Maïmonide, Averroès, Thomas d’Aquin, trois conflits : entre la science et la foi, … tentant de concilier Dieu et la raison).

[6] Dialogue entre Maïmonide et Averroès, Jacques Attali, Fyard, Nov 2004.