Retranscription (approximative) de l'intervention d'Olga Medvedkova et d’André Markowicz, à la soirée-débat au théâtre du Nord-Ouest, hier, le 07/07/2022.

 

Présentation d'Olga Medvedkova :

 

Olga Medvedkova, née le 13 février 1963 à Moscou, est historienne de l’art et écrivain [romancière] bilingue, français et russe. Elle est directrice de recherche au CNRS (centre Jean-Pépin). Elle est spécialiste en histoire de l'architecture de la tradition classique (XVe-XVIIIe siècle), ainsi que de l'art russe. Elle a quitté la Russie en 1991 et vit en France depuis 30 ans.

Distinctions :     

- Prix Marianne Roland Michel (2007) Prix Révélation de la Société des gens de lettres (2014).

- Prix Lequeux de l'Institut de France sur proposition de l'Académie des inscriptions et des belles-lettres (2017).

En 2014, son roman L’Éducation soviétique obtient le prix Révélation de la Société des gens de lettres.

En Russie, elle a reçu ces prix :

- Prix littéraire Alexandre Piatigorsky (Trois personnages en quête d'amour et d'immortalité), 2021.

- Prix Andrei Bely (Prose), 2021.

- Prix Yasnaya Polyana (prose russe moderne, Trois personnages en quête d'amour et d'immortalité), 2021.

 

Présentation d’André Markowicz :

 

André Markowicz, né le 29 septembre 19601 à Prague (Tchécoslovaquie, aujourd'hui République tchèque), est un traducteur et poète français. André Markowicz a une mère russe, née en Sibérie d'une mère exilée par Staline pour espionnage et d'un père géorgien, et un père français d'origine polonaise. Il vit lors de son enfance à Leningrad, chez sa grand-mère russe. En 1964, il part vivre en France et s'initie à la traduction vers 1977. Depuis 1981, il a publié plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre. Il participe à plus d’une centaine de mises en scène de ses traductions, en France, au Québec, en Belgique ou en Suisse. André Markowicz dénonce le nationalisme sous toutes ses formes, qui partage le « caractère universel et uniforme de tous les nationalismes, et, cela, qu’ils soient au pouvoir ou non », reposant sur « le même fantasme identitaire, celui d’une origine proclamée comme ancienne et pure, et, généralement bafouée par des étrangers (à la province ou au pays) ».

Distinctions :     

_ Prix Nelly-Sachs (2011).

_ Chevalier des Arts et des Lettres (2012).

_ Docteur honoris causa de l'Université Laval (2015).

 

Le débat :

 

Olga Medvedkova : Nous ressentons la même horreur devant l’horreur que la Russie est en train de commettre et de détruire l’Ukraine, avec la destruction d’êtres humains, de bibliothèques, de statues, avec ses crimes de guerres, [je ne suis pas juriste] ses crimes contre l’humanité, son génocide, sa volonté de tuer la culture ukrainienne.

 

[Intervention de Cécile Vaissié, professeur des universités en études russes et soviétiques :

Mikhaïl Piotrovski, le directeur du Musée de l’Hermitage (à Saint-Pétersbourg) affirme clairement qu’il instrumentalise la culture russe comme une arme de guerre : « Nos récentes expositions à l'étranger ? On peut dire que cela représente une puissante offensive culturelle. En d’autres termes, il s’agit d’une sorte d’« opération spéciale » » […] « Nous sommes tous des militaristes et des impérialistes », dit-il dans l’entretien donné à Rossiïskaïa gazeta. L’exposition des collections Chtchoukine et Morozov à Paris ? « Une façon de dresser le drapeau russe au-dessus du bois de Boulogne », dit sans fard Mikhaïl Piotrovski.  La guerre permet de s’affirmer, dit-il, d’affirmer une « dignité historique » à l’heure où la Russie est « en train de changer l’histoire du monde ».

Source : «Dresser le drapeau russe au-dessus du bois de Boulogne», Jean-Marc Adolphe, 03/07/2022, Traduction pour les humanités : Clarisse Brossard, https://www.leshumanites.org/post/dresser-le-drapeau-russe-au-dessus-du-bois-de-boulogne].

 

Olga Medvedkova : Deux mots : Absolument émotionnel, insupportable.

Ma position humaine : douleur, émotionnel, insupportable.

Dès que la guerre a été lancée en Ukraine, le 24 février 2022, tout mon corps s’est couvert de plaques rouges.

C’est un CRIME, commis avec une violence inouïe, un crime archaïque, qui veut qu’on le voit, un crime grotesque pour faire peur à tout le monde, pour que tout le monde s’écrase (par l’exposition publique des destructions de villes, des viols, …).

Non ! La Russie n’a pas toujours été comme cela [et ce n’est pas nécessairement le futur de la Russie].

On a le droit d’être horrifié et de ne pas accepter.

Nous pouvons rappeler [ces grands écrivains russes] Vassili Grossman, Varlam Chalamov.

Actuellement, le pouvoir russe instrumentalise la très belle littérature russe [avec Pouchkine, Dostoïevski …].

Ce qui est insupportable est le mensonge. Il faut arrêter de mentir [Il faut que ce régime arrête de mentir].

Se souvenir du titre du livre de Vaclav Havel "L'amour et la vérité doivent triompher de la haine et du mensonge".

La vérité est le pouvoir des sans-pouvoirs (Vaclav Havel).

Actuellement, le mensonge est partout.

Je vous recommande de voir le film la rupture du lien, du journaliste-reporter Andreï Lochak, sorti sur YouTube le 19 juin 2022. Source : Rupture du lien, Olga Medvedkov, 01/07/2022, https://desk-russie.eu/2022/07/01/rupture-du-lien.html

Dans cette famille, les jeunes hurlent contre cette guerre, alors que les plus vieux sont dans la rupture totale de la réalité, construite avec les mots du mensonge.

Le mot « culture » est maintenant compromis et fait parti maintenant de la propagande poutinienne (au sens hégélien ?), qui prône la suprématie de la culture russe [sur les autres], qui fonde le droit des Russes d’occuper l’Ukraine.

Se souvenir de la correspondance entre Walter Benjamin (philosophe) et Theodor W. Adorno (philosophe) [, exposant leur crainte que la culture soit récupérée par les forces politiques et économiques].

Pensez au poète Ossip Mandelstam [opposé à Staline, mort durant sa déportation vers la Kolyma] et au poète Maximilian Volochine [pacifiste, qui s'est toujours opposé à la haine].

Nous devons rejeter la violence et l’arbitraire (ou que le soldat russe puisse penser « je tue parce que je peux tuer »).

 

Cécile Vaissié : Il faut savoir qu’en Russie, la consommation de calmants et d’antidépresseurs a augmenté de 50% depuis l’année dernière.

 

André Markowicz : Je n’accepte jamais de participer à des évènements officiels [organisés par le gouvernement russe]. Je ne veux rien faire avec le pouvoir russe.

[Depuis 2013], il y a la nouveauté de la monstruosité du régime de Poutine.

Les thuriféraires de Poutine veulent tuer l’Ukraine. Ces derniers accusent les Ukrainiens d’être des « nazis » parce qu’ils « ne comprennent pas qu’ils sont russes » ( !).

Avec cette guerre, le 24 février, il y a eu un saut ontologique [grave].

Le discours de Poutine est le même que celui de l’Armée allemande envers les Polonais.

Il y a le danger de l’essentialisme de la culture russe, qui est une arme de guerre pour le régime de Poutine, qui peut devenir complice de génocide.

Il faut désigner comme complice de génocide toute personne qui soutient ce qu’il se passe en Ukraine [depuis 2017 ?].

Les écrivains ont écrit malgré le pouvoir.

Même Dostoïevski, qui était nationaliste et antisémite. Dans le roman l’idiot, il y a la haine de l’Occident et de la modernité.

Poutine n'a pas déclenché sa guerre [totale] sous la présidence de Petro Porochenko, parce que ce dernier affichait un nationalisme clair.

Mais il l’a déclenché sous la présidence de Zelenski, parce qu’il a établi une expérience démocratique qui marchait.

Ce n’est pas uniquement une attaque de l’Ukraine [qui serait une constance de l’empire russe ( ?)], mais en fait, il attaque la démocratie.

En Ukraine, avant la guerre déclenchée par Poutine en 2014, aucune attaque contre le peuple et la culture russe. Mais condamnation de la barbarie [russe], du nationalisme énorme et monstrueux [russe].

Sinon, j’ai toujours condamné le nationalisme ukrainien.

Le pouvoir de nuisance du nationalisme russe est incomparable avec celui ukrainien.

 

Olga Medvedkova : Il faut lire les jeunes auteurs ukrainiens [Comme Natalia Sniadanko (?) …].

Voir les écrits de Tatiana Kastouéva-Jean (?) sur le site de Desk Russie, sur l’impérialisme, le colonialisme, les discours de suprématie russe [avec Pouchkine, le poète russe Joseph Brodsky …]>.

Note : Joseph Brodsky semble avoir très mal supporté l'indépendance de l'Ukraine, survenue en 1991 après l'éclatement de l'URSS. Dans un virulent poème, Sur l'indépendance de l'Ukraine (На Независимость Украины), poème dont l'authenticité a longtemps été mise en doute par les fans de Brodsky, il s'en prend avec violence aux « khokhly » (хохлы, terme méprisant utilisé par les Russes à l'encontre des Ukrainiens).

Il y a une idolâtrie de la culture russe (du passé).

Or il faut voir ce qui s’écrit (poésie …), se filme actuellement [et ne pas voir uniquement le passé].

Nous Russes, nous n’avons plus le droit [moral] d’ouvrir la bouche en Ukraine, nous ne devons pas juger l’Ukraine.

 

Cécile Vaissié : Il a le juge et procureur allemand, Fritz Bauer, l’initiateur des procès dits « d'Auschwitz » à Francfort-sur-le-Main où comparurent des gardiens du camp d’Auschwitz. Il a fait comprendre à la jeunesse allemande tout ce que le peuple allemand a fait de mal [Il faudrait un Fritz Bauer en Russie].

 

Olga Medvedkova ou André Markowicz  ( ?) : Le temps est grave. L’heure est grave.

Sur ce que nous faisons, sentons, respirons, quand on peut parler, faire …

 

André Markowicz : Il faut être anti-nazi, anti-fasciste …

 

Olga Medvedkova : Poutine exhibe [sans honte] ce qu’il fait [comme crimes]. Il utilise le jargon criminel.

On est loin de l'humaniste italien Leon Battista Alberti qui recherchait le "souverain bien", une vision harmonique du monde (?).

Il faut vomir cette guerre.

 

Cécile Vaissié : Une autre figure que Fritz Bauer est Pierre Bertaux, un universitaire germaniste, résistant français et homme politique, nommé commissaire de la République à la Libération de Toulouse, qui a su distinguer « le régime nazi de la culture allemande que j’aimais ».

Se souvenir de la phrase du résistant Missak Manouchian « Je meurs sans haine pour le peuple allemand ».

Qu’est-ce qu’il y a sauver dans la culture russe ?

Il faut écarter l'impérialisme de Mikhaïl Lermontov, les vues nationalistes russes de Brodsky sur l'Ukraine.

 

André Markowicz : J’ai eu une conférence zoom avec les anciens professeurs de littérature russe de l’université de Marioupol [en exil, à Kiev. A noter que certains ont été déportés eu Russie].

Il faut parfois se méfier de ce qu'il paraît nationaliste. Comme par exemple avec un poème du poète allemand Friedrich Hölderlin, qui est en rapport avec la culture grecque et non avec l'impérialisme allemand.

La poésie espagnole de son temps n’a rien à voir avec le génocide des amérindiens (en Amérique du Sud).

Par contre, il y a tellement de gens cultivés qui sont des monstres, tel Otto Ohlendorf, général SS et commandant du commando d’extermination Einsatzgruppe D.

La culture ne sauve pas toujours et nécessairement les gens [de la barbarie].

Porter le ruban ou le drapeau de Saint-Georges est-ce le signe d’une identité russe extrémiste [exacerbée] ?

La culture n’est pas liée au bien et au mal ( ?).

 

Cécile Vaissié : Qu’est-ce que l’identité ?

 

Olga Medvedkova : J’ai l’image de Marioupol en ruine et les jeunes rendus fous par la douleur.

Or ces jeunes vont, sous le coup de la douleur, interdire la culture russe, par exemple, vont renommer les nom de rues avec des auteurs russes (Poutchkine …), à Odessa, par des noms d’auteurs ukrainiens.

Or cette censure de la culture russe en Ukraine va être instrumentalisée par la propagande russe (tel centre de culture russe, aux ordres de Poutine), qui accusera les Ukrainiens de persécuter la culture russe.

Faut-il interdire le film russe, pacifique (?), « la ballade du soldat », sur la seconde guerre mondiale (sorti en 1959, sous le dégel) ?

Ce qu’il faut combattre est l’instrumentalisation de la culture russe, par les autorités russes (qui a beaucoup d’argent à sa disposition pour cela, qui financent les festivals etc. par exemple, via le softpower de Gazprom, Rosatom …).

 

Cécile Vaissié : On sait tous que c’est compliqué.

 

Olga Medvedkova : Il faut considérer les bases de la culture, base morales, ses intentions (du bien. Pouchkine aurait été d’accord avec l’intention du bien ?).

Il faut examiner le régime historique du discours ( ?), son régime juridique et moral.

Il y a des appels au boycott, à la cancel culture. Je ne suis pas du tout pour le boycott.

 

[Il y a des initiatives, comme l’appel de l’Ukraine au festival de Canne, qui veut que la culture ukrainienne soit connue.

A Arles, il y a eu des photographes ukrainiens.

Mais l’on ne doit pas inviter les représentants officiels de la Russie.

 

André Markowicz : attention ! Tous les films russes sont financés par l’état russe. C'est pourquoi le cinéaste et metteur en scène russe Kirill Serebrennikov est contre toute sanction (lui-même étant financé par l’oligarque russe Roman Abramovitch.

Un festival coûte de l’argent et ne se fait pas juste avec trois kopeks.

Attention ! Il a eu un documentariste ukrainien qui s’est fait traiter de « cosmopolitique » par l’institut ukrainien du cinéma (utilisé aussi par l’état ukrainien) (« cosmopolite » un terme rappelant le juif, l’étranger, celui qui n’est pas des nôtres).

Il faut cibler ceux qui soutiennent Poutine et sa politique criminelle en Ukraine.

 

Olga Medvedkova : L’émotion fait l’histoire, si l’on croit le philosophe tchèque Jan Patočka.

 

André Markowicz : attention au point Godwin.

Il faut laisser du temps pour digérer ces évènements.

 

? : On peut aller au Festival du film social, organisé par Anna Koriagina, interprète français/anglais/ukrainien/russe.

 

Cécile Vaissié : je n’irais pas à la journée du livre russe, à la mairie du 5°, parrainé par les autorités russes (l’Ambassade russe …), où l’on trouve beaucoup de militants d’extrême-droite. [Organisé par Livoy (?)].

 

Olga Medvedkova : Dans son livre "De la tyrannie: vingt leçons du XXe siècle", l'historien américain Timothy Snyder précise que l'on ne doit pas accepter, avant qu'on vous le demande [comme faire le salut hitlérien, sous le régime nazi ...].

Dans le fim sur la Kolyma ( ?), on voit que tous les protagonistes sont contre la guerre.

 

Cécile Vaissié : En France, il est facile de réfléchir car l’on n’a pas le couteau sous la gorge.

 

Olga Medvedkova : Il est vrai qu’il y a actuellement un régime de terreur en Russie. Sinon, on doit se taire, si l’on ne peut pas parler.

Une spectatrice dans le public : Lors des manifestations en Russie, les policiers regardent dans votre smartphone et vous arrête, en fonction de son contenu.

 

André Markowicz ( ?) : Les militaires russes, quand ils arrêtent des Ukrainiens, ils regardent dans leur smartphone et en fonction de leur contenu, savent ceux qu’ils doivent torturer ou non. Mais c’est aussi le cas en Russie, la torture étant pratiquée dans les prisons et camps en Russie aussi.

 

Olga Medvedkova : Je le répète « n’oubliez pas l’Ukraine » [Elle l’a répété trois fois].