Ma propre compréhension de la mentalité complotiste
Par Benjamin LISAN, le 14/03/2022
Quand j'analyse les écrits de personnes à la « mentalité complotiste », je constate souvent que reviennent dans leur discours :
1) Une vision du monde, très noire, très négative, qui voit le mal partout _ un monde où tout y est pourri, corrompu, dévoyé. Concernant les politiciens, revient, d’une façon récurrent, la thèse du « tous pourris », « il n’y a personne pour racheter les autres », chez eux. Dans leur vision, les citoyens sont dépossédés de leur pouvoir, de leur liberté, par des gouvernements ou des élites corrompus, agissant d’une façon égoïste, dans leur propre intérêt, ayant confisqué le pouvoir au peuple, en le manipulant. Ce monde est perçu, par eux, comme « anomique », sans aucune règle, sans aucune morale. Ceux-ci pensent vivre dans un monde ou une situation sociale caractérisés par la perte ou l'effacement des valeurs (morales, religieuses, civiques…), où les individus sont ignorés ou méprisés par les politiciens.
1) Ils pensent vivre dans un monde délétère, voire décadent, où règne sans cesse les complots, les manipulations de l’opinion, dans des buts systématiquement négatifs et contre le « peuple ».
Par exemple, face à l’interdiction, dans l’Europe entière, des télévisions de propagande russe, RT et Sputnik, immédiatement quelqu’un a réagi ainsi : « Pourquoi l'Europe interdit les chaînes russe ? Vous ne voyez pas qu'on nous manipule. Ils décident ce qu'on peut regarder ou pas ».
2) Ces « complotistes » sont persuadés que leur vision est objective, qu’elle est la réalité « vraie ». Que l’usage actuel terme du terme « complotiste » n’a pour but que de les dénigrer et de cacher et de manipuler la réalité (ou la vérité). Ils revendiquent même d’être complotistes, persuadés d’être dans la vérité « vraie », comme par exemple, dans cette déclaration : « Complotiste : Terme péjoratif employé par les conformistes, pour désigner tous ceux qui contrairement à eux, ont un esprit critique ». En fait, ils n’ont pas conscience que leur « esprit critique » est « dévoyé », dépourvu de méthode de pensée (scientifique) _ leur approche ne se basant souvent que sur des intuitions, « géniales » ou non _, en ce sens, que leur vision est exagérée, voire extrémiste. Leurs modèles de compréhension du monde est le plus souvent très simplifié, manichéen. Ils leur donne l’illusion d’en savoir plus que les autres, d’être moins idiots et manipulables qu’eux.
Citation de Ariane Walter, romancière : « Ce qu'ils appellent « théorie du complot » se nommait auparavant esprit critique et était considéré comme salutaire pour une démocratie. La « théorie du complot » c'est le fait de s'interroger sur la véracité des discours politiques, et se demander à qui profite le crime » ».
Cette citation de Ariane Walter, ci-avant, souffre d’un biais cognitif, dans le sens qu’elle fait appel à une pétition de principe, à un présupposé a priori, ici l’existence d’un « crime », d’un « complot », sans même en avoir la preuve (en fait, une pétition de principe typique du raisonnement complotiste ou paranoïaque).
3) Souvent ils raisonnement, par « biais de confirmation », font des corrélations, établissent des liens, des relations illusoires de causes à effets entre évènements indépendants (en fait, sans réels liens entre eux) et donne du sens à ces liens. Par exemple, ils vont monter en épingle, d’une façon exagérée (excessive) un fait anodin auquel ils vont donner du sens. Leur façon de penser, qu’elle soit paranoïaque ou non (mais elle est souvent paranoïaque) est celle de croyant. Et comme tous les croyants, ils cherchent surtout à ne sélectionner que les faits allant dans le sens de leurs croyances. Ils ne connaissent pas le raisonnement dialectique, procédant par thèse-antithèse-synthèse (l’élément « antithèse » à leur propre croyance est exclus de leur raisonnement).
4) A cause d’une peur irrationnelle, face à une menace que nous n’arrivons pas à définir, nous pouvons aussi devenir complotiste, à cause d’une forme de paranoïa (inconsciente).
5) A cause de leur vision complotiste du monde, les complotistes sont, le plus souvent, en colère, révoltés, insurgés, offensés, ont la rage, sont presque toujours en guerre contre la société, en état d’insurrection permanente, prêt à basculer dans l’illégalité, la violence, voire le terrorisme (puisqu’ils ne croient plus à la légalité et à l’état de droit). C’est en sens que la mentalité complotiste est potentiellement dangereuse pour la démocratie _ relativement au respect nécessaire de l’institution et de l’état de droit _ et pour la liberté de pensée. La mentalité complotiste peut conduire à la radicalisation, à l’extrémiste. Elle peut conduire à adhérer à des mouvements révolutionnaires (communiste, fasciste, nazi …). Elle ne conduit pas à la modération, à la paix sociale, au vivre-ensemble. Souvent le complotiste, affirmant se battre pour les libertés (en fait, uniquement les siennes) est souvent intolérant et prêt à restreindre la liberté de leurs opposants (considérés comme leurs « ennemis ») qu’ils diabolisent alors (par exemple, cas des GJ envers les militants LREM …).
6) Mais souvent, ceux, qui sont en guerre perpétuelle contre la société (délinquants, grands banditisme, révolutionnaires, GJ …), et qui ne veulent pas se réformer et réformer leur vision du monde (pour adopter une vision plus apaisée, tout en acquérant un esprit apaisé), ne comprennent pas que dans une société fonctionnant plutôt normalement, ils seront toujours perdants dans leur « guerre » et ne seront jamais heureux (cas de Jean-Marc Rouillan etc.).
7) Quand un complotiste se sent éternellement en échec, perdant (face à l'état, au monde qu’il ne comprends et ne maîtrise plus _ monde lui paraissant trop complexe, par exemple, avec l’UE, complexe dans son mode de fonctionnement _), marginalisé, exclus, déclassé socialement, quand il est orgueilleux, avec de grandes ambitions non réalisées _ qui ont subi des échecs _, alors il peut ressentir un grand malaise, une intense frustration, ressentiment, amertume et alors chercher (inconsciemment ou non) des boucs émissaires, pouvant expliquer, justifier, légitimer ses échecs (il se focalisera alors contre l'état, le "système", Macron, qu’il estime alors source de tous ses malheurs, qu’il déteste d’une façon irrationnelle, obsessionnellement ...). La résolution de leur malaise intérieur ne se trouvera pas dans le reversement violent de la société, mais dans la résolution des causes de leurs problèmes intérieurs (qui peuvent avoir d’autres causes _ liées à l’enfance etc. _, qu’uniquement les injustices sociales subies).
8) Cette recherche de boucs émissaires lui permet valoriser à ses yeux, de ne pas se remettre en cause, se donner l'impression qu'il arrive de nouveau à maîtriser sa vie (qu'il a un but clair dans la vie). Elle lui permet d’effacer et de réprimer le sentiment d'échec et d'impuissance (et la déprime permanente) qui demeure en lui (et qui le ronge).
9) Certains considèrent que la société leur doivent réparation, étant donné les injustices qu’ils estiment avoir subies, dans leur enfance ou dans leur vie d’adulte. Mais comme la réparation des injustices subies ne vient pas, alors certains décideront de se « récompenser » eux-mêmes, de se faire justice, eux-mêmes, … la diabolisation de leur « ennemi » (l’état, les juifs …) leur permettant de légitimer leur passage à l’acte (ce passage peut se faire par le banditisme, pour se valoriser, par le fait d’avoir toujours une mentalité toujours à la limite de légalité et par le désir et la réalisation d’une revanche ou d’une vengeance sociale etc.).
1 Conclusion
Pour terminer ce texte, je dirais qu’il faut toujours prendre très au sérieux le complotiste (en raison de ses côtés extrémistes et dangereux), certains complotistes trouvant alors toujours des prétextes moraux pour justifier le fait d’être à la limite légalité, de se faire justice soi-même, de se « récompenser » (même au détriment des autres).
On doit y faire d’autant plus attention que, comme le raisonnement paranoïaque, le complotisme peut « contaminer » les esprits, en les faisant devenir sectaires, intolérants.
Certains se présentent comme des victimes (certains le sont réellement), et nous (observateurs ou interlocuteurs extérieurs) pouvons être très touchés, concerné par les injustices que ces derniers ont subi (injustices qui peuvent résonner douloureusement en nous), mais il nous faut rester vigilants et prudents, et ne pas admettre, pour vérité et argent comptant, tous leurs raisonnements (complotistes, paranoïaques, exagérés, extrémistes, …), surtout quand ils cherchent à justifier leur basculement dans l’illégalité, par rapport à notre société et état de droit (en France).
A la base, dans toute société, il y aura toujours un lot non compressible de mécontents, de frustrées, éternellement dans le mal-être. Les idéologies paranoïaques et les actions délétères d’une nation hostiles (Russie, Chine …) peuvent mettre de l’huile sur le feu du complotisme et renforcer la paranoïas des complotisme. Mais il n’y aurait pas eu huile sur le feu, s’il n’y avait le carburant de départ (le mal-être d’une partie de la population, dont la solution n’est pas simple, mais dont la société doit s’occuper).
2 Annexe : quelles solutions ?
Nous savons, par notre expérience, que comme pour les croyances religieuses ou sectaires, il est difficile de sortir les complotistes de leur système de croyances, basés sur des procès d’intention de crimes, de complot qu’ils projettent sur certains groupes d’humains.
Critiquer leur croyance souvent ne marche pas, car, par exemple, ils intègreront vos critiques comme faisant partis du « grand complot ». La croyance complotiste est un système de pensée qui s’autoentretient et qui a des systèmes de défense (comme les croyances religieuses).
Je ne peux que fournir que quelques pistes :
1) Montrer les contradictions voire les absurdités auxquelles certaines théories du complot peuvent conduire (en prenant l’exemple d’une théorie du complot différente de celle à laquelle le complotiste croit, afin de ne pas heurter directement les convictions du complotiste).
2) Pour les personnes en échec à cause d’ambitions déraisonnables, leur suggérer de choisir des ambitions plus raisonnables ou humbles (les inciter à ne pas vouloir la lune quand ce n’est pas possible).
3) Leur faire comprendre de ne pas chercher à vivre au-dessus de ses moyens. Par exemple, l’on n’a pas toujours besoin d’un 4x4 et l’on peut choisir une voiture moins chère et plus économique (Si l’on vit à Paris, il est plus économe de ne pas avoir de voiture et de préférer prendre le train pour aller en vacances puis louer une voiture sur place, une ou deux fois par an).
4) (Même si ce raisonnement, ci-après, ne marche pas toujours : Même si la majorité des Français vivent bien _ la France étant un pays relativement social[1], en 2016, le salaire médian net en France s’élevait à 1 789€. Or Selon la Direction statistique du ministère des Solidarités (Drees), il faudrait 1760€ pour vivre décemment en France[2] _, ils forment un des peuples les plus râleurs et mécontents. Et la mentalité complotiste renforce encore cette tendance au mécontentement. Par les chiffres, l’on peut montrer qu’ils ne sont pas floués par l’état. Comparativement à bien des pays, l’on ne vit pas si mal en France et dans l’UE.
5) Faire comprendre que l’on ne doit pas toujours tout attendre de l’état (toujours plus de prestations sociales), que l’on a aussi des devoirs par rapport à l’état et que l’on doit aussi compter sur ses propres forces, quand cela est possible (mais on peut tenter de faire appel à la solidarité, quand l’on n’est dans une situation d’impasse et qu’il nous impossible de surmonter par nos propres moyens).
Si vous avez d’autres idées à suggérer, n’hésitez pas à écrire à l’auteur de cet article : benjamin.lisan[at]free.fr
3 Annexe : Courte bibliographie sur le complotisme et l’extrémisme
Sur le complotisme et l’extrémisme, je recommande deux livres deux sociologues :
[1] Psychologie de croyances aux théories du complot. Le bruit de la conspiration, Pascal Wagner-Egger, PUG, 2022.
Un excellent livre scientifique, quoique d’une lecture un peu aride.
[2] La pensée extrême, Gérald Bronner, PUF, 2015.
Un livre agréable à lire, quoiqu’utilisant une terminologie un peu intellectuelle.
A lire le chapitre « l’adhésion par la frustration », page 243.
Table des matières
2 Annexe : quelles solutions ?
3 Annexe : Courte bibliographie sur le complotisme et l’extrémisme