Néo-darwinisme
et créationnisme
Par Benjamin LISAN, 2008.
Le créationnisme est la croyance que la terre et sa
vie ont été créées, essentiellement sous leurs formes modernes, par une
puissance surnaturelle.
Bien que les créationnistes affirment que « n'importe
quelle déclaration au sujet des origines de la vie devrait être considéré comme
une théorie, pas un fait », la théorie de l’évolution se réfère à
une explication logique, testée, bien fondée, couvrant une grande variété de
faits. Elle est largement prouvée, et avec plus de pouvoir explicatif
qu’aucune théorie biologique concurrente.
La croisade créationniste
En 1981, une loi votée par 69 voix contre 18 par la
chambre de l’État de l’Arkansas précise que « à l’intérieur de l’État,
les écoles publiques devront dispenser un enseignement équivalent du
créationnisme et de l’évolutionnisme ».
Selon une enquête publiée par l’Association
américaine des professeurs de sciences (NSTA), 31 % des enseignants « se
sentent contraints d’inclure dans leurs cours des idées liées au créationnisme »,
la pression venant des parents ou des élèves.
Depuis le 3 mai 2005, une proposition de loi
concernant l’État de New York cherche également à imposer l’enseignement de
« l’Intelligent Design » (ID).
Les partisans de l’ID évitent soigneusement toute
référence qui pourrait paraître de nature théologique. La démarche ID est
clairement militante, politique, mais aussi de grande ampleur. Ses discours
mélangent exemples pseudo-scientifiques, découvertes bien réelles, discours en
faveur de la liberté d’expression.
Cette croisade a d’autant plus de succès que la
majorité des américains sont totalement ignorants sur la théorie de
l’évolution. Des récents sondages révèlent qu’environ la moitié des Américains
croient que les humains ont été créés dans leur forme actuelle il y a quelques
10.000 ans (Brooks 2001, CBS 2004). Une même proportion rejette l’idée que les
humains se sont développés à partir d’espèces animales antérieures (National
science Board 2000). La plupart des personnes, interrogées par un sondage, en
2000, parrainé par « People for the American Way », admettent
qu'ils ne savent pas vraiment ce qu'est la théorie de l'évolution.
Pour comprendre la fausseté des arguments
créationniste, faisons quelques rappels sur la théorie de l’évolution.
Trois processus indépendants et leur effet cumulatif
interviennent dans le processus de l’évolution des espèces vivantes
: la réplication, la variation, et la sélection. La réplication est pour
l’essentiel la reproduction. La variation est liée aux changements aléatoires, par
exemple les mutations, se produisant dans la descendance, la rendant différente
de leurs parents. La sélection est le processus par lequel des individus
mieux adaptés à leur environnement ont tendance à être les seuls à survivre, et
donc à transmettre leurs gènes. Ces trois processus se produisent
continuellement dans la nature. La « transition » (le
« passage ») d’une espèce à l’autre peut durer quelques millions
d’années et la très grande diversité actuelle des espèces vivantes [1]
s’explique par l’immense ancienneté de temps géologique anciens (les 1ères
formes de vie étant apparues, il y a plus de 3 milliards d’années).
La position de la théorie évolutionniste moderne, ou
néodarwinisme [2],
est que quelques ancêtres des girafes avaient des cous plus longs suite à
des mutations survenues au hasard. Ces animaux bénéficiaient ainsi de plus
de nourritures, celle-ci étant située en haut des arbres, que leurs congénères
ne pouvaient atteindre, avaient donc de ce fait une meilleure santé, vivaient
plus longtemps et avaient donc plus de possibilités de s’accoupler et de
transmettre à leur descendance des gènes gouvernant un cou plus long. Comme on
a pu le constater, beaucoup de changements marginaux, sur une longue période,
sont nécessaires pour qu’apparaisse une nouvelle espèce, ou du moins des
girafes à long cou.
Elle s’oppose à la théorie évolutionniste de la
« transmission des caractères acquis », ou lamarckisme,
du naturaliste français Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), qui l’a imaginé et
qui été soutenue jusque dans les années 60 en URSS (voir « affaire
Lyssenko »). Selon Lamarck, les ancêtres de la girafe avaient des cous
plus courts et les étiraient pour atteindre des feuilles placées en hauteur
dans les arbres. Leurs descendants auraient des cous plus longs car les
caractéristiques des cous étirés de leurs parents leur étaient transmises.
Lamarck pensait que l’évolution vers une nouvelle espèce pouvait se faire en
peu de générations, peut-être même en une seule.
En fait, les scientifiques ont pu constater que les
caractères acquis ne se transmettent pas [3].
Si vous soulevez des poids pour augmenter votre masse musculaire, vous ne
transmettrez pas de plus gros muscles à votre descendance. Un champion de course de haies peut
allonger autant que possible sa foulée, son fils peut être aussi un champion de la même
discipline, ce n’est pas pour autant que le petit fils, champion lui aussi dans
la même discipline, aura des jambes plus longues. Idem pour la descendance d’un
basketteur devant sans cesse atteinte un panier haut placé.
Les Musulmans pratiquent la
circoncision depuis des lustres, et ce caractère acquis n’est pourtant pas
transmis dans l’héritage biologique des enfants de ces musulmans.
La théorie de l’évolution est souvent mal assimilée,
à cause d’idées reçues ou caricaturales, sur elle. En voici quelques-unes.
1ère idée reçue « le chaînon
manquant »
Les créationnistes fort de l’idée de la fixité
des espèces _ une théorie fausse _ et d’une finalité téléologique à chaque
espèce, contestaient qu’on puisse trouver, dans les fossiles, le « chaînon
manquant », reliant des espèces plus anciennes (hominidés) et plus
récentes (homos sapiens). L’idée de « chaînon » biologique se réfère
à une certaine idée de la fixité des espèces.
Mais comme, les espèces changent au cours du temps (il n’y a pas de
fixité des espèces), il est délicat de définir où finit une espèce et où
commence une autre. Actuellement les biologistes préfèrent l’image d’un passage
flou et progressif d’une espèce à l’autre. L’idée d’une chaîne continue
(constituée de chaînons) passant du quadrupède au bipède est fausse, car il y a
eu des bipèdes frappés d’extinctions et des quadrupèdes toujours présents.
L’idée de bon nombre de créationnistes est que Dieu
et sa création forment une hiérarchie ordonnée allant des choses les moins
parfaites, situées en bas de la chaîne, jusqu’aux plus parfaites, partant des
roches et minéraux, en passant par les plantes, les animaux, l’Homme, les
Anges, jusqu’à Dieu. La compréhension biologique moderne de l’évolution
n’implique pas un progrès vers un but élevé que la vie s’efforcerait
d’atteindre. Les mutations génétiques arrivent en fait au hasard. Les concepts
de « plus élevé » ou « moins élevé », imaginé dans une
échelle hypothétique de l’évolution, ne s’appliquent pas dans l’évolution. Ce
qui compte c’est l’adaptation ou l’adaptabilité à l’environnement. Si celui
change trop rapidement, les adaptations autrefois favorables se révèlent alors
nuisibles.
Les biologistes ne sont pas d’accord sur le fait
qu’il y a une tendance évolutive vers la complexité, essentiellement parce
qu’on ne s’accorde pas pour savoir comment on définit et mesure la complexité.
L'évolution des êtres vivants ne s'effectue pas toujours du plus simple vers le
plus complexe, mais aussi vers la simplicité, comme l’ont montré des
biochimistes montréalais, grâce aux analyses et la comparaison de l'ADN de 146
gènes communs aux vertébrés et aux espèces animales voisines[4].
L’idée que l’évolution se fait selon une complexification constante n’est vrai
qu’en partie et est loin d’être une tendance unique.
L’évolution doit être vu comme un arbre évolutif.
Une nouvelle pousse de l’arbre ne veut pas dire qu’elle soit plus
« évoluée » qu’une branche plus ancienne, mais simplement qu’elle est
une nouvelle espèce vivante suffisamment adaptée à son environnement pour
survivre.
3ème idée mal reçue « seules les
plus forts survivent »
Il n’est pas facile de définir ce qu’est la
« force » d’une espèce, lui permettant de survivre. En tout cas, elle
ne peut juste se limiter à la force musculaire d’un individu. Rentre en compte
dans cette idée, la force, l’intelligence, le regroupement social _ accroissant
la force d’une espèce_, des associations entre espèces, la culture,
l’information et la connaissance, la qualité des sens (vue, ouïe, odorat …),
certains stratégies instinctives ou apprises, … Quand on parle du « plus
adapté », les gens pensent immédiatement à des compétitions (voire des
compétitions à mort) entre individus, se battant dans quelques rings de
l’évolution, pour la survie et l’accouplement, les fort survivant, transmettant
leurs gènes, tandis que les perdants, et toute leur lignée, s’éteignent.
Dans la réalité, il y a des dizaines de problèmes
plus ou moins complexes auxquels les individus sont le plus souvent confrontés
au cours de leur vie. Peut-être, y a-t-il à un moment compétition directe avec
d’autres individus, et en même temps, des individus sont repoussés d’un ring de
l’évolution à l’autre, qui peut être à un moment donné le ring de la recherche
de l’eau, de la conservation de la chaleur, de la versatilité métabolique _ si
les propriétés de la nourriture que l’on absorbe changent_ etc. … Les espèces
luttent contre un large ensemble de facteurs (les pressions sélectives) souvent
très complexes, toujours changeant.
Pour les darwinistes sociaux, le progrès
ne peut résulter que de l’élimination d’imperfections humaines, but
atteint, selon eux, par la compétition (entre individus), résumé par le
terme « survie du plus apte » du philosophe anglais Herbert
Spencer, promoteur de la théorie du Darwinisme social. En fait, ni la force
brute, ni aucun autre talent dont une espèce a été dotée par l’évolution
prise isolément, ne garantissent pas la survie à long terme d’une espèce. La
vraie force d’une espèce résulte de son adaptabilité, de sa flexibilité, fruits
de variations génétiques et cognitives.
Depuis
60 millions d’années, le sphénoïde évolue et se replie progressivement,
permettant une base du crâne plus courte, un front plus haut, un redressement.
Anne
Dambricourt se focalise sur cet os, unique objet son étude. A aucun moment,
elle étudie le trou occipital, qui permet l’insertion de la tête sur la colonne
vertébrale, ni réalise l’étude comparative des bassins, en pression ou en
extension, selon la capacité à la bipédie.
Se
basant sur les statistiques affirmant que 70 % des jeunes européens, 80 % des
américains, et 95 % des japonais portent des appareils d’orthodontie, elle en
déduit que la progression est spectaculaire par rapport aux générations précédentes.
Mais pour le savoir, il aurait fallu des statistiques issues de ce passé. Elle
n’imagine pas que cette progression provient d’un meilleur dépistage, en
particulier dans les pays riches. Les pourcentages annoncés ne concernant que
les pays économiquement avancés (l’Afrique, l’Asie, ne sont pas répertoriées),
donc aucune déduction scientifique ne peut en être tirée sur les mécanismes de
l’évolution.
De
plus l’évolution depuis des millions d’années du sphénoïde n’est pas si
« linéaire » que cela : il a subi des mutations brutales au
cours de son évolution.
Anne
Dambricourt minimise l’influence du milieu (savane ou forêt, crises du climat,
modification de la faune et de la flore …) et avance l’idée d’une programmation
dans nos gènes de notre évolution, vers une destination prévue à l’avance
(programmation génétique déterministe de l’évolution des ancêtres l’homme vers
l’Homo sapiens). Partout où il va sur
terre, Homo ergaster et Homo habilis évolueraient
obligatoirement vers Homo sapiens, puisqu’ils
auraient été « programmés » ainsi. L’évolution dans le temps du
sphénoïde montrerait que « on va toujours au même endroit et la
solution est unique. Si on dévie, on est perdu. »
Dans
cette théorie on accorde un excès de puissance aux gènes, en particulier aux
gènes architectes, qui ont pourtant besoin d’un milieu favorable pour
s’exprimer.
La
théorie n’est pas démontrée, et la simultanéité de la « naissance
spontanée » de sapiens sur tous les continents est contestée.
On ne peut mettre sur le même plan les multiples
expériences et observations scientifiques qui confirment l’évolution biologique
des espèces, à une thèse qui ne repose sur rien d’autre que des convictions.
Il n'y a aucune évidence scientifique pour une telle
croyance, un point de vue, à plusieurs reprises, réaffirmé par les cours
fédérales, aussi bien que la cour suprême des États-Unis.
Ajoutons que pour bon nombre de biologistes ou
paléontologues (comme Stephen Jay Gould etc. ...), l’évolution n’a pas de but
ou de fin [téléologique]. Elle est, selon eux, erratique obéissant une série de
loi contingentes[5]. Et
c’est ce qui choque les créationnistes.
Benjamin LISAN
PS. Malgré toutes les preuves du
darwinisme, nombreux sont ceux qui tentent de le réfuter tout en cachant souvent
leurs motivations religieuses.
Et il paraît difficile à ceux qui écrivent « Le
Darwinisme ou la fin d’un mythe » (Rémy Chauvin), à ceux qui préfacent
« Le Darwinisme en question » (Anne Dambricourt-Malassé, pour
la traduction du livre de Philip Johnson, un antidarwiniste américain) ou qui
publient « L’évolution a-t-elle un sens ? » (Jean Staune, pour
la traduction du livre de Michael Denton, un autre antidarwiniste) de nier leur
tentative de trouver, voire de prouver l’existence de Dieu, au travers de leur
interprétation de l’observation scientifique du vivant.
Bibliographie
Source : La troisième croisade créationniste, Jean-Paul Krivine, SPS
n° 268, juillet-août 2005.
Créationnisme contre science :
l’« Intelligent Design » bientôt près de chez nous, Cyril Fievet, SPS
n° 268 juillet-août 2005
Darwin : ce n’est pas une histoire de singe, Charles Sullivan et Cameron
Mcpherson Smith, Traduction : Jean Günther, SPS n° 270, décembre 2005
(article est paru dans le Skeptical Inquirer [1],
vol 29 N° 3 de mai-juin 2005).
L’« aventure
humaine » est-elle programmée ?, Agnès Lenoire, SPS n° 270, décembre 2005.
(L'évolution peut aussi aller vers le plus simple).
Contrairement à la croyance populaire, l'évolution
des êtres vivants ne s'effectue pas toujours du plus simple vers le plus complexe,
mais aussi vers la simplicité. C'est ce que des biochimistes montréalais
viennent de mettre en évidence en réécrivant l'arbre généalogique de nos
lointains ancêtres grâce aux analyses d'ADN les plus poussées à ce jour.
ans un numéro récent de la revue scientifique
Nature, le chercheur Frédéric Delsuc et ses collègues au sein de l'équipe
d'Hervé Philippe de l'Université de Montréal remettent cette classification en
question. Ils décrivent l'analyse et la comparaison de l'ADN de 146 gènes
communs aux vertébrés et aux espèces animales voisines. Et, surprise ! Les plus
proches cousins des vertébrés ne sont pas les " poissons "
céphalocordés, mais un groupe d'animaux marins, appelés urocordés, d'apparence
plus primitive dont certains membres ressemblent à des éponges et vivent fixés
à des rochers.
" L'idée que l'évolution procède uniquement
par accroissement de la complexité est fausse ", affirme Hervé
Philippe. " Il arrive qu'une meilleure adaptation à l'environnement
passe par une spécialisation qui entraîne une simplification de l'organisme.
" Désormais, les chercheurs doivent donc considérer que l'ancêtre commun
des vertébrés, des céphalocordés et des urocordés, il y a 550 millions
d'années, était plus complexe que ce qu'on croyait. Il y aurait ensuite eu
complexification dans la branche évolutive menant aux vertébrés et
simplification dans celle conduisant aux urocordés.
Les oursins, les étoiles de mer ainsi que de
nombreux parasites, qui dépendent d'un hôte pour survivre, sont d'autres
exemples animaux apparus à la suite d'une simplification évolutive liée à une
spécialisation du mode de vie.
Bruno Lamolet (Agence Science-Presse), Le 30 juin 2006.
Sources : 1) L'évolution peut aussi aller
vers le plus simple, Bruno Lamolet, Agence Science-Presse, Le 30 juin 2006.
http://www.sciencepresse.qc.ca/archives/quebec/capque0606h.html
2) SPS n°274, octobre 2006, page 7.
(3) Sahel Sciences, n°0 octobre
2006. http://iavs.refer.ne/IMG/pdf/journal_sahel_1.pdf ).
[1]
Jusqu'à ce jour, seules 1,75 millions d'espèces vivantes animales et végétales
ont été identifiées, par les scientifiques (largement représentées par les
insectes). Source : Convention
sur la diversité biologique (CDB).
[2]
Développée dans les années 1930, le néodarwinisme, appelé aussi la
synthèse moderne, réunit la théorie de la sélection naturelle de Darwin
et la théorie de l’héritabilité génétique proposée initialement par Gregor
Mendel et améliorée ensuite.
[3] Toutefois une récente étude
sur des mouches de fruit suggère que certaines instructions génétiques non
encodées dans l’ADN peuvent être transmises à la descendance par du matériel
contenant l’ADN (Lin et al 2004).
[4] Démontrant que les plus
proches cousins des vertébrés ne sont pas les " poissons "
céphalocordés, mais un groupe d'animaux marins, appelés urocordés, d'apparence
plus primitive dont certains membres ressemblent à des éponges et vivent fixés
à des rochers. Selon eux, l'ancêtre commun des vertébrés, des céphalocordés et
des urocordés, il y a 550 millions d'années, était plus complexe que ce qu'on
croyait et il y aurait ensuite eu complexification dans la branche évolutive
menant aux vertébrés et simplification dans celle conduisant aux urocordés. Les
oursins, les étoiles de mer ainsi que de nombreux parasites, qui dépendent d'un
hôte pour survivre, sont d'autres exemples animaux apparus à la suite d'une
simplification évolutive liée à une spécialisation du mode de vie. Sources :
L'évolution peut aussi aller vers le plus simple, Bruno Lamolet, Agence
Science-Presse, 30 juin 2006. & Delsuc
F., Brinkmann H., Chourrout D. & Philippe H. (2006). Tunicates and not
cephalochordates are the closest living relatives of vertebrates. Nature, 23 Feb.2006, Vol. 439, n° 7079, pp. 965-968
[5] Lois évolutives qui
existent, dont on ne connaît pas les raisons de leur existence et qui auraient
pu ne pas être.