Lugubre Lugdunum

 

       Les pleurs du ciel s'écoulaient sur les collines de la lugubre Lugdunum.

       Le laminoir du fleuve, cloqué par la pluie et la chape plombée du ciel, s'étaient confondus, comme deux murs infinis d'enceinte d'une formidable prison.

       Le ruban de mercure du Rhône à l'avance implacable se  tordait et se déchirait sans fin sur le gué de Saint~Jean.

       La basilique de Fourvière, fantasmagorique silhouette dans l'obscurité, avait brandi ses sinistres tours, comme un geste de menace sur la ville.

       La Croix~Rousse s'était fardée d'ocre orangé au crépuscule.

        L'ennuie et la peur avaient suinté lentement des ruelles étroites et coupantes du quartier de Saint~Jean.

       De roucoulantes gorges chaudes avaient bravé la nuit glycolique sous d'obscurs porches borgnes.

       Des passants anonymes fuyaient comme des traits courbés et sombres le long de murs lépreux.

       Le tic~tac décroissant de pas s'éloignait toujours pour mourrir dans la lointaine obscurité.

       L' entréee des traboules s'étaient faites regards de fours éteints.

       Les noctambules aux tiraillantes motivations s'étaient blotis dans des bars étroits et moites comme de vaginales et protectrices cavernes.

       Des bourgeois, tels des tonneaux des Danaïdes, avaient convergé chez Bocuse pour de pantagrueliques bacchanales.

       De lourdes tentures s'étaient refermées sur de secrètes fortunes derrières d'austères façades de maisons romaines aux tuiles rouges zizagantes.

       Les sociétés secrètes avaient opèré leurs transmutations alchimiques sous la protection du Grand Architecte.

       Les royalistes réunis évoquaient, depuis des lustres et appelaient de tout leur ame confiante, le retour de magnanimes Saint~Louis ou Henri le quatrième.

       Les flaques de la place de Bellecour reflètaient tous les spleens de Lyon.

       Lugubre Lugdunum qui avait dévoré mes vertes années, pourrais~je  jamais t'oublier ?

                           Benjamin Lisan, le 27 mars 1993