L'arrache~coeur
Joue, joue avec les coeurs comme les felins avec leurs frèles
proies.
Consumme les buchers des passions de tes amants foudoryées.
Puis éteins les flammes naissantes de leur espoir par le
déluge des terribles giboulets glaciales de tes répudiations.
Amuse~toi, mènne le manège, la sarbande de tes prétendants
comme Hans le joueur de flûte conduisant les rats vers les sombres douves aux
couleurs d'encre.
Etourdis~toi,
engloutis~toi dans le noir maelström de tes victoires sans fin.
Tu t'amuses, tu brises les rêves immaculés, tu te ris des
serments éternels, tu séduis sans lendemain. Tu plaisantes, tu rosses le rose
pourpré des joues caressantes.
Tu romps le jour suivant, sans jamais de remord aucun, les
promesses inaltérables de la veille.
Tu t'enivres dans l'euphorie des admirations, des souffrances
et des pleurs suscitées, comme sans cesse dépendante d'un opium têtu,
anesthésiant et fatal.
Tu jongles avec les êtres, accordes ou reprends tes faveurs
avec grace, toujours remplie d'une innocence inconsciente et dénaturée.
Tu arracha un jour innocemment le coeur d'un conjoint d'un
couple uni et fidèle.
Tu violes les consciences, pour une éternelle soif tantalienne
et inextinguible de reconnaissance.
Tu rayonnes de ton emprise urticante et magnétique sur tes
soupirants expirants.
Tu aimes faire trésaillir le tic~trac vibrant des poitrines
succombantes et palpitantes.
Tu t'offres parfois à tes galants, comme par une suprème
faveur, en les laissant remplir leur "animale" besogne. Puis tu les
renvoies avec dégout comme on rejette à jamais les déchets à la décharge.
Tu a oublié le temps si lointain de l'innocence de l'enfance,
blotti dans les limbes de ton esprit, où tu pus croire peut~être à l'Amour
éternel.
Tu es toujours belle. Tu as encore la fraicheur, les joues
roses, la gaitée et l'insouscience de la jeunesse.
Mais un jour, le jeu finira. Les pierres trembleront peut~être
de l'innocente et pure victime que tu as immolée. Tout ira peut~ être trop
loin, comme un pont brisé trop loin franchi.
Puis les feux de la rampe s'etteindront.
Plus surement l'outrage du temps accomplira son irrémédiable
ouvrage.
Plus dur sera réveil comme après un si grand sommeil.
Mais en attendant, jolie fleur des prés, joue, joue, joue,
tant qu'il sera temps. Les jeux de la séduction et de l'amour et du hasard ne
dureront surement qu'un temps.