RICHITA TAKENAWA

 

ou la Dévoration rituelle ou la pulsion mortelle de la vie

Par Benjamin LISAN

 

 

La nuit avait été longue et l’accouchement difficile. Souvent des voiles de lumière, des nébuleuses éblouissantes, éclatant comme une lueur de flash atomique envahissait comme une nausée la yeux désorbitées de la parturiente.

Le tranchant et la pointe d’un sabre semblait entailler et fourailler les chairs à vifs et dans les cocon des entrailles intimes. L’explosion d’une grenade n’aurait produit tel effet destructeur sur la volonté de vie d’une mère. A chaque coup de butoir mécanique des contractions du tunnel chaud, refuge de l’existence, dilaté à l’extrême ôtait une parcelle de volonté de vie à celle-ci.

Elle ressentait comme des coups d’estocs à l’entrejambe comme l’explosion d’un bombe qui aurait accompli sa besogne destructrice dans ce lieu sanguinolent et vidée, juste auparavant chaud de vie. Des coups de poings frappaient les tempes et les yeux.

 

Délivrée, Maï, s’était évanoui sous la lumière crue de la salle d’opération.

L’enfant dans les mains de l’infirmière japonaise, petite masse blanche et luisante de vie hésitante, et insignifiante, ne bougeait pas. Elle restait inerte, semblait refuser, ne pas désirer la vie qu’on lui offrait. Les yeux étaient restés clos et la respiration demeurait inexistante.

Les marques du forceps avaient entaillé la tête de 2 marques profondes, conformant la petite bouille en forme de poire. Elles pouvaient faire craindre que la brutalité de l’accouchement puisse provoquer des séquelles, causes originelles de l’apnée inquiétante dans laquelle semblait se maintenir l’enfant.  Mais les soins de cette luxueuse clinique japonaise qui ne recevait que la clientèle la plus huppée, « select » et triée sur le volet du Japon, était irréprochable et tout ce qui était possible avait été tenté : stimulations et massages cardiaques, insufflation  d’oxygène pour ramener l’enfant à la vie.

Enfin même si le cri premier tant attendu n’était pas survenue, la respiration faible et irrégulière de l’enfant, du début, s’était enfin installée dans le tout petit corps, comme une mécanique bien réglée.

C’était maintenant au tour de la femme, d’apparaître comme morte, avec le visage déchirée par la douleur. Le visage de l’enfant, qu’on appela plus tard Richita, restait comme inerte, sans expression et ce n’est qu’au bout de plusieurs jours, qu’il s’était déridé, comme si un principe divin de vie lui avait été insufflé avec parcimonie. Tout cet accouchement avait été laborieux et Maï, femme du plus riche industriel du Japon, qui avait eu tant de mal à avoir ce enfant, après 3 fausses couches, avait encore failli perdre ce nouveau né tant attendu par elle … Combien d’autres mort-nés avaient été soustraits prématurément à l’espoir de leur mère. Elle était résolue à ne plus perdre ce nouvel enfant et en femme moderne, avait eu recours avec tout l’arsenal des moyens de la science pour faire mentir le mauvais sort qui s’acharnait sur elle.

Le père, Ikado Takenawa, non présent à l’accouchement, aimait profondément sa femme et attendait avec gravité aussi cet enfant qu’il avait si désiré.  Il avait partagé les inquiétudes, les problèmes de la mère et de son accouchement. C’était un chef de famille traditionnel, dur voire implacable en affaire, mais bon mari. Il régnait sur tous, comme un chef patricien de la Rome antique, qui se serait réincarné dans le Japon du XX° siècle. Il défendait le renom de la lignée,  comme tout homme puissant sur cette terre.

Maï, issue d’une bonne famille, obéissante à son mari comme se doivent toutes les épouses japonaises, s’était endurcie devant toute les épreuves auxquelles elle avait du faire face. Mais malgré tout, elle était tendre avec son fils, comme l’était aussi le père.

            L’enfant, malgré toute l’attention excessive, la prodigalité financière pour répondre à ses moindre exigences, de ses parents, restait fragile, sujet aux maladies et renfermé. A l’école, il ne commença à parler qu’à 5 ans. Il semblait souffrir de retards intellectuels qu’on expliquaient par l’accouchement. On y présentait des séquelles irréversibles. Et il fallu toute l’assistance tendre, mais ferme et constante des parents pour qu’il arrive à se maintenir dans le système éducatif, très sélectif, japonais.

            Plus il grandit, plus il supportait mal l’autorité incontestée de son père, qui bien que bon bouddhiste, et croyant, était sévère. Ce père s’estimait vertueux et sans reproche, envers l’enfant. Mais en même temps, bien qu’il l’aimât, il ressentait de plus en plus (quoique inconsciemment) un malaise croissant devant l’affection étouffante de sa femme pour son fils et surtout la faiblesse de celle-ci face à son fils, car elle lui cédait tout. Souvent, elle défendait son fils en secret face à son mari. Son fils aimait sa mère mais ne la respectait plus et surtout ne pouvait plus supporter la moindre contrariété. Il oscillait parfois entre la haine et l’amour de sa mère si étouffante. Il souffrait en fait d’une situation en apparence heureuse, sans soucis, où il était gâté. Mais du fait de l’absence de barrières, de contraintes morales, il avait le sentiment du faussaire profitant de chaque instant de la gentillesse et de la faiblesse de ses proches et de toutes situations opportunes.

 

            Adolescent, Richita avait évolué vers une intelligence raffinée, se délectant de poésie, de littérature, de philosophie, qui découvrait seul ou avec ses précepteurs, lisant des journées entières, totalement isolé des autres enfants.

            Il avait l’orgueil de celui qui était persuadé qu’il serait un auteur célèbre, ou quelqu’un de célèbre. D’abord, pour convaincre son père, de sa crédibilité, de celle qu’il lui avait toujours refusé, considérant s            a vocation comme un passe-temps de jeune, peu sérieux. « Jeunesse passera », pensait-il.

            Son orgueil, sa richesse, sa position lui avait attiré l’inimitié de ses camarades de promotion, les quelques très rares disputes avec son père, étant toujours à son désavantage, l’avaient conduit à dissimuler ses sentiments, parfois violent pour les femmes qu’ils désiraient et restaient inaccessibles à cause de sa timidité et du complexe de sa petite taille et de la laideur de son visage.

            A force de dissimulation, ce dernier était devenu naturellement lisse et inexpressif. Quand à sa politesse, inculquée naturellement et rendue excessive par son éducation japonaise, elle le faisait devenir « incernable », et ne le rendait pas plus sympathique pour autant.

            Son caractère l’avait naturellement porté, partageant son admiration commune aux japonais, sur la littérature allemande où il adulait l’esprit romantique, nationaliste, sensible, en particulier guerrier, qui parfois lui rappelait l’esprit passé des Samouraïs.

            Suivant cette orientation, il avait aussi une grande admiration pour les plus grands romanciers japonais, venus de la droite lignée des auteurs de l’Empire glorifiant les siècles passés.

            Du fait d’une éducation où rien ne lui était refusé, où aucune contrariété ne lui était faite, pour ménager sa supposée fragilité, en particulier des femmes de la « maison mère », il conçut l’extravagante idée qu’il pouvait tout obtenir des femmes.

            Sa position d’enfant gâté, placé sur une piédestal, sans garde-fous moraux fermes, et une soif de livres tout azimut sans guide, lui fit concevoir comme possible, la satisfaction de certaines perversions, de certains actes gratuits. Une nébuleuse morale confuse obscurcissait ses références, confortées par des certitudes enfantines et renforcées par une certaine instabilité caractérielle.

 

            Dans la ville universitaire japonaise, où il avait sa chambre dans une résidence étudiante, ils ne cessait de rencontrer des jeunes filles étrangères plus attirantes que les autres, qu’ils désiraient ardemment sans pouvoir et oser les aborder, à cause de ses violents complexes et d’un embrouillamini de sentiments contradictoires.

            Il fut vivement épris d’une étudiante allemande, lui donnant des cours d’allemand, très cultivée, sportive, représentant parfois la force, en raison de sa stature de walkyrie.

            Elle sembla porter un certain intérêt tout d’abord à ce garçon timide, très cultivé, riche, poli, toujours bien habillé, au visage ingrat et disgracieux. Mais devant l’immaturité de son comportement, ses avances trop pressantes sans aucun préambule, son insistance, elle l’éconduit brutalement et arrêta les cours.

            Enfant, à qui jusqu’ici rien n’avait été refusé par ses parents, surtout par sa mère, venant de subir soudainement son premier affront amoureux, l’éconduit vit rouge. Et pris de folie, il tenta d’abuser d’elle, bien que la force physique restait du côté de la jeune fille.

            Celle-ci porta plainte, et Takenawa a son grand étonnement fut emprisonné. Il risquait la condamnation, lui le fils d’une des familles les plus riches du Japon, dans un pays où l’on ne plaisante pas avec le viol.

            Il ne put s’expliquer son geste, et il ne fallait pas, à ses yeux, qu’il puisse se l’expliquer.

            Ses parents évitèrent le scandale et l’infamie de la prison à son fils, en s’arrangeant à l’amiable avec la victime et en lui offrant un dédommagement financier conséquent.

 

            Takenawa fut finalement envoyé, ou plutôt « expatrié ou exfiltré » en en France, pour y apprendre sa langue et sa littérature. Dans le pays de Voltaire, il paru plus épanoui, moins renfermé. Mais son sentiment et son désir de vouloir abuser d’une blonde, ressemblant à l’allemande, s’approfondit. Il ne supportait toujours pas l’affront qu’il avait subi, et le fait que toutes les femmes, dans le passé, lui avaient refusé (du fait de la brusquerie et l’empressement de son attitude amoureuse, et de l’ingratitude de son visage) l’expérience sexuelle, qui l’aurait épanoui, libéré enfin de ses complexes envers les femmes.

 

            Il rencontra Anna, une jeune étudiante hollandaise fort jolie, blonde, gaie, spontanée, naturellement sociable, confiante, gentille, voire naïve, ressemblant  par son visage, à la précédente allemande. Elle lui apprenait le français et l’allemand. Takenawa  fut tout de suite amoureux fou d’elle. Elle était gentille, mais elle lui faisait comprendre gentiment, qu’il n’avait aucune chance avec elle, qu’il n’était pas assez beau, pas assez sûr avec les femmes. Elle le taquinait sur son visage, son attitude, sans penser à mal. Mais lui vit dans ces taquineries, et le fait qu’il était encore repoussé, un nouvel affront. Puisqu’il ne pouvait l’avoir, la posséder, il la possédera, et s’il ne pouvait la posséder, il la tuera alors.

            Takenawa invita Anna chez lui, sous prétexte de lui faire enregistrer des cassettes de littérature allemande. Il payait toujours très bien. Elle ne pouvait refuser.

            Il pensa l’endormir, pour abuser d’elle, à l’aide une bouteille d’un gaz anesthésiant, qu’il avait volé dans l’hôpital universitaire tout proche. Il devait la laisser seule dans sa chambre, fermer hermétiquement la pièce, et ouvrir la bombonne de gaz. Mais sa tentative échoua, la jeune fille sentant sa tête tourner, ouvrant alors la fenêtre.

            Elle ne fit pas attention à cet incident. Inconsciente qu’un danger quelconque pourrait provenir de ce jeune japonais, timide, peu sûr de lui, et surtout peut-être appâtée par les forts gains financiers, qu’elle récoltait à chaque visite, bien que ce japonais lui ait déjà fait des avances, elle accepta de revenir lui donner une nouvelle leçon.

             Takenawa conçut son meurtre, … il n’avait déjà conçu, en fait, depuis longtemps.

Il y avait déjà en lui, un mélange complexe de ressentiments et de désirs de posséder mort, ce qu’il n’avait pu posséder vivant.

            Il prémédita son crime, comme il avait prémédité le moyen de l’attirer par des lectures et enregistrements de cassettes, certaines en apparence destinées à une association culturelle japonaise. Il alla acheter une carabine 22 long rifle, avec un silencieux et ne fut pas questionné (ou inquiété) par l’armurier.

            Quand elle revint, il attendit qu’elle commença à lire son texte, il avança alors à pas de loup, et tua froidement sa lectrice d’une balle dans la tête, comme dans un film policier noir.

            Sur le coup, il éprouva une terrible libération de sa longue frustration passée et du fait de n’avoir pu s’expliquer la tension qui le taraudait depuis des années.

 

            Le lendemain, réveillé et horrifié, par son crime, il ne tenta plus d’abuser d’elle et il pensa alors à se débarrasser de son corps. A cause du poids et de la taille de sa victime, afin de pouvoir transporter le corps sans se faire voire, il décida de le découper en morceaux.$

 

            Quand, à quel moment, germa dans son esprit cette terrible perversion ? quand conçut-il de manger sa victime en commençant par les parties sexuelles ? Peut-être chercha-t-il à faire disparaître le corps, en le mangeant ? Ou bien peut-être, pensait-il aux organes sexuels par vengeance, ou désir d’assouvir une pulsion, un étrange besoin sexuel ? Ou bien pensa-t-il, suite à son coup de folie, renforcer la thèse d’un crime de fou, s’il était découvert et pris par la police (parce que cette jeune fille avait pu dire, à une amie ou un ami, chez qui elle allait avant) ?

            Finalement, il pensa plutôt que manger la victime _ vite écœuré par sa besogne et peut-être aussi surtout à cause de la quantité de « carne » trop volumineuse à « ingurgiter », pour un cannibale « qui aurait eu les yeux plus gros que le ventre » _, se débarrasser du corps.

Il pensa à la Seine mais c’était trop voyant. Il pensa au bois de Boulogne, la nuit, où il risquerait de rencontrer mon de monde. Il continua son découpage sanglant et macabre, avec un couteau de boucher et plaça le tout dans une valise en carton bouilli.

            Tout en marchant dans la nuit, vers le bois, il éprouvait de l’affection pour ce corps en morceau, et continua à rester à ses côtés, lorsqu’il fut prêt du lac supérieur du bois de Boulogne. Ce qu’il n’avait pas prévu était que le lac n’avait que 50 cm de profondeur et que la valise ne coulerait pas. Un jogger récupéra la valise, par curiosité, qui s’ouvrit facilement, déversant son sinistre contenu. Une patrouille de police, passant à proximité, fut alertée. Des témoins indiquèrent aisément la direction qu’avait pris ce japonais facilement repérable par sa petite taille. 

            Au policiers qui l’arrêtèrent, et le conduisirent aux 36 quai des Orfèvres, il fut très honnête et insista sur ses attentions cannibales pour cette jeune hollandaise. Lors de la perquisition à son domicile étudiant, les enquêteurs découvrirent encore des restes de la jeune fille dans le réfrigérateur.

 

            Takenawa vivaient maintenant en même temps dans la gêne (on ne pourrait dire culpabilité) de son crime et la délectation pour sa nouvelle célébrité, si longtemps attendues … totalement inattendue pour lui … résultat de voies impénétrables de l’esprit ou de voix obscures intérieures.

            Il voyait encore devant ses yeux, le sang de la victime, les morceaux dépecées, dans un macabre écartèlement.

 

            Il savait qu’il avait touché au fruit et plaisir défendu et que plus jamais, il ne rencontrerait la femme tant convoitée de part le passé. Il avait conscience de l’horreur de son crime, mais en même temps avait éprouvé du plaisir à manger sa victime, et il rêvait de nouveau manger une autre femme. Mais il savait qu’une telle occasion ne se reproduirait plus (s’il tuait, il savait qu’il serait de nouveau condamné et / ou enfermé, et que son passé le rattraperait sans cesse).

            Mais pouvait-il faire fi du passé ?

            Dans l’horreur de l’environnement désespérant de l’asile, où il avait passé de pénibles moments, et sous l’influence de son personnel psychiatrique, il avait décider de « dépasser » son crime, mais ce dernier, comme l’œil de Caïn le suivait, s’attachait à lui.

            Il savait qu’aucune femme « normale » _ sauf déséquilibrée _ n’oseraient avec son visage où désormais transparaissait une fine cruauté et à cause de son crime, lui faire confiance, … bien qu’il sut lui même qu’il n’était pas fou.

            Il comprenait vaguement la logique de son acte. Il avait surtout senti comme une libération, peut-être et sûrement obtenus par des moyens horribles et malsains, mais une terrible libération quand même (et pourtant, il n’avait pas choisi la plus méchante des femmes rencontrées, en la personne de cette jeune et jolie hollandaise. Elle avait eu de la malchance tout simplement). Il sentait et savait la loi des hommes « cruelles », prête à lui ravir à tout instant, son nouveau « bien-être » si difficilement acquis.

 

Il avait donc décidé de se consacrer à de grandes choses comme pour exorciser le mal.

            A l’asile, il s’était mis à peindre … des visions métalliques de cauchemar, schizoïdes.

 

            Finalement, les psychiatres de Sainte-Anne, avaient conclu qu’il était en état de démence au moment des faits (article 64 du code pénal français). Il échappait à la prison, à la grande, immense déception des parents et de la famille de la jeune fille assassinée, qui étaient présents le jour du jugement.

 

            Les parents de Richita Takenawa avaient tentés en vain, à coup de millions, de dédommager la famille éplorée de la jeune hollandaise assassinée. Celle-ci ne désirait qu’une chose était que Richita Takenawa fut puni et aille en prison.

 

            Les parent de Richita Takenawa fit tant et bien que leur fils fut transféré dans un asile du japon, d’où il pu être libéré rapidement (au grand désespoir de la famille hollandaise. Celle-ci ne renonça jamais à tenter de faire punir Richita Takenawa, mais ne réussit jamais).

 

            Richita Takenawa profita de sa nouvelle notoriété, pour vendre cher ses tableaux et pour tourner dans des films pornographiques, afin d’assouvir ses fantasmes, les plus avouables, et s’étourdir la tête pour tenter d’oublier son crime.

            Dans des interviews à des magazines  « peoples » japonais, il avouait qu’il était encore obsédés, par moment, par des fantasmes cannibales.

 

            Quand à la famille hollandaise, elle ne remis jamais de l’assassinat de leur jeune enfant si jolie, si innocente, si gaie, si prometteuse.

 

Benjamin LISAN

A Paris en 1988.