Shéhérazade

 

Shéhérazade ! J’ai parlé au soleil, dans le désert pour te trouver. J’ai invectivé au ciel et sur tous les lieux de la terre, de ne t’avoir pas retrouvé. Et seul le silence de l’immensité m’a répondu. Je me parlais, tout seul :  « N’entends tu rien, que le vent au loin » ? « N’entends-tu pas, B., le mugissement du lion, le soir, sur la steppe de Mongolie ? Ou bien le cœur des loups entonnant un grand hymne à la nature ? ». J’étais fou. Car je ne cessais de penser à toi.

 

Je te coursais avec mon cheval, le poussant, sans fin, pour te rattraper, et t’attraper, avec mon urga, cette grande perche mongole, surmontée d’un lasso. Ou bien c’est toi qui m’attrapait. Puis, nous étions couché dans un océan de graminées, ondulant au vent …. Avec le soleil, souverain, bénissant notre union.

 

Je voyais un grand arbre, qui se détachait sur la steppe. Tout le monde riait. C., Vincent, Paul, Pascal et les autres … et tous mes multiples copains Patrick. Ton souvenir illuminait ton visage, comme le soleil illuminant la steppe, pleine de vie verdoyante, … comme un instant inoubliable …

 

C’était le sacre de l’univers … de la nature, l’explosion de la Vie.

 

J’étais accroché à l’arbre, je m’y suspendais … J’étais sur la proue de l’arbre et j’étais le « roi du monde ». Mais pourquoi étais-je attaché à cette arbre, par le cou ? Comme c’était bizarre et étrange. Pourquoi faisait-il si beau, comme dans un mariage, d’un film de Kunsturica ?

Etais-je dans  « le temps des gitans » ou dans « Underground » ?

Vivais-je au temps des mongols, ou au XXI° siècle ?

 

Pourquoi ton image se dissolvait au loin ? Pourquoi étais-tu comme l’ondine, et la fée, qu’on ne peut retenir ? Et je te voyais t’éloigner comme une apparition, un fantôme, un spectre ?

 

Pourquoi n’arrivais-je à te rattraper … Pourquoi t’éloignais-tu ? Que t’avais-je fait ?

 

Pourquoi cette félicité ? Mais, pourquoi, pourtant, cette tristesse infinie ?

Shéhérazade ! Tu sais que j’aurais été au bout du monde, au delà des limites des territoires connus ?

J’aurais découvert toutes les « terra incognita », pour toi, j’aurais à ta rencontre, je t’aurais recherché partout, dans le cosmos, dans les gouffres, le fond des océans et au sommet des montagnes …

 

Avec toi, la vie aurait eu une saveur infinie, pleine de senteurs et d’épices de l’Inde, de mystères insondables du Tibet ….

 

Pourquoi ais-je mal au cou ? Pourquoi ce soleil, cette chaleur et pourquoi cet immense froid, pourtant, coulant dans mes veines ?

 

Shéhérazade ! Shéhérazade ! je t’en supplie. Ne me quittes pas.

 

Un taraff de Aïdouk tzigane jouait un air roumain … Tout le monde nous souhaitais prospérité et bonheur … Et tu étais belle dans ta robe de mariée immaculée … Et le soleil éclairait le tout.  Tu te souviens de notre bon humeur ? Des 10 enfants que nous voulions ?

Le coeur des femmes berbères entonnaient leurs You-you- ...

 

Pourtant, pourquoi fait-il si sombre ? Pourquoi entends-je le hululement de la chouette ?

Pourquoi mon corps tourne-t-il sans fin, se balance constamment, au dessus du sol ?

Que fais-je ici ? Pourquoi fait-il si noir ?

 

Pourquoi ce nœud noué au fond de ma gorge ?

 

Je t’aurais déposé à tes pieds tous les cadeaux du monde, je t’aurais fait connaître des terres sauvages, que personne n’a foulé. Je t’aurais emmené aux confins de l’oeucumène … Des odeurs, des clameurs, de musiques, des multiples splendeurs, de peuples, que tu n’aurais jamais vues ou connues.

 

Rien ne serait plus comme avant …

La vie était belle et triste en même temps. Tout était espérance … Nous avions la vie devant nous … Nous étions fait tant de promesses …Quelles étaient belles, ces promesses …

Tant de bonheur. Nous avions tant de chance … Combien d’amis nous enviait de vivre tant de bonheur.

 

La gambette et la jonquille fleuriront ensemble …

 

Nous courrions sans la fin, dans la prairie rouge de coquelicots, constellées de bleuets …

Un petit sentier infini, musardant et prenant son temps, conduisait à l’horizon …

 

Il court le furet, du bois joli … … et nous courrions après le furet ….

 

Pourquoi ce sentier conduisait-il à ce grand arbre ? Pourquoi toutes ces personnes perchées sur ces branches ? Tient ! Mémère, Pèpère, Papy, Mamy, Dad, Bonjour ? Je vous croyais morts ? comme c’est étrange ? Ou suis-je ? Pourquoi ces mouettes rieuses, au rire sardonique ? Pourquoi ces corbeaux, au croassements sinistres ? Pourquoi ce nuage d’orage au loin sur l’horizon ?

 

Tient ! un TGV … tient ! un avion dans le ciel …. Laissant une traînée neigeuse dans l’azur infini … Peut-être étais-je Shéhérazade, finalement ?

 

Nous étions fous et raisonnables en même temps. Ou bien c’était moi qui était fou.

 

La vie vous fait de telle promesse … On espère dans la vie … des choses extraordinaires … la lune, les étoiles, la terre, le ciel, le soleil  … l’amour, l’amitié …

Je t’ai aimé … Vous étiez tous mes amis, je vous aimais bien … Patrick mon ami, de toujours, et toi C., … Et toi, Charles … que devenez-vous ?

 

Vlà le bon temps, Mamie m’appelle, et c’est le temps de tous les espoirs …

 

Votre ami qui va peut-être à sa dernière demeure ne l’oubliez pas … dans vos souvenirs et votre cœur …

 

Bella Ciao ou Vita è bella ? Cette belle vie était-elle une illusion ? La vie est belle … Mais, la vie reste, pourtant, un foutu sacre de la civilisation et de la barbarie, des noces sauvages … ou bien une sorte de « sacre du printemps », revue par Stockhausen.

 

Malgré tout, malgré toutes ses vicissitudes, la vie vaut la peine d’être vécue …

 

Benjamin LISAN

Paris, le 18/1/06