Stupeurs et tremblements téléphoniques

 

          Ce matin, comme cela arrive fréquemment, un portable sonne dans mon train de banlieue. Agitation, branle-bas de combat, dans le wagon. Chaque voyageur se précipite sur son appareil ou fouille dans ses poches, son sac.

Fréquent énervement pour retrouver, dégager, exhumer ce maudit, stupide portable, enfoui, caché, on ne sait où.

 

          Chaque fois, un seul gagnant, l’air triomphant ou contrit.

 

Ensuite, chacun, le regard vague, replonge son nez, dans sa lecture, son sommeil et la monotonie du trajet quotidien. Mais cette vacuité n’est qu’apparente. Chaque compétiteur restant prêt à bondir, au moindre signal sonore.

 

          Le club de ces heureux possesseurs est vaste.

 

          Le compartiment est régulièrement bercé par le doux bruissement des personnes conversant avec leur portable.

 

Une mère rassure son fils en lui disant « alors, mon bébé, je serais en retard, tu trouveras ton repas dans le frigo ». Une autre anxieuse demande « Si papa n’est pas passé, ne lui dit pas que j’ai téléphoné ».

Un mari, parlant à sa femme, s’inquiète « tout va bien à la maison ? J’ai beaucoup de travail, je serais en retard  ... » (comme chaque soir),

Malgré le caractère impudique certain de ces conversations, on y rencontre parfois une certaine délicatesse, telle celle rencontrée chez celui informant à l’avance de son retard « ne vous inquiétez pas, je suis coincé dans un embouteillage, j’arrive dans 30 minutes ou dans 3h » (avec l’appel des secours, cela est sûrement l’usage le plus justifié, de cette merveille de technologie).

 

D’autres, candides, vous font participer à la vie de leur bureau « je suis arrivé en retard, ce matin, et manque de pot, devine sur qui je tombe ? le chef ! ».

D’autres caractériels n’ont que faire du monde qui les entoure « Vous aurez de mes nouvelles ! Je ne veux pas le savoir ! Vous faites ce que je vous dirais de faire etc ... »,

Parfois un businessman traite ses affaires, à guichet ouvert «200 MF de stock exchanges, pour solde de tout compte, monsieur Jaffray, ...? »,

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D’autres, comme ces jeunes hypnotisés, essayent toutes fonctions de leur nouveau portable ou Game Boy « Weez ! Spack ! Schtark ! Bong ! Boum ! Beep ! Wooh ! Tilt ! Tild ! Sabah ! Schti ! Doung ! Doung ! ... »

Quelques maniaques encore consultent régulièrement leur messagerie «dernier message reçu à 13h42.., nouveau message reçu à 14h05 ... ».

Plus loin, un petit gamin, déjà familier d’une trompette chez lui, se donne à cœur joie, à son nouveau portable factice « dring-dring, drelot, dring, dling, diling... »

Enfin, une bavarde impénitente raconte sa vie « Tu te rends comme de ce qu’elle a dit, quel culot, mais moi, je ne me suis pas laissée faire et je me suis dit tu vas voir, et je lui ai répondu, comme ça, tu gloses, déblatères sur mon compte etc, etc ... » ...

 

          Nous sommes maintenant, constamment environnés de bruits quotidiens, des « bip, bip », des « tut, tut », des « bzi, bzi... », devenus familiers. Il y a, à peine 15 ans, ces sons auraient semblé être sortis tout droit d’un film de science-fiction.

 

Pas un instant, sans que ces engins modernes, indispensables à notre bonheur, ne se rappelle, avec « douce » insistance, presque sournoise, à votre bon souvenir.

 

 

La grande famille de ces perturbateurs est devenu un large inventaire à la Prévert.

Il y a par exemple :

le vibrato du téléphone sans fil,

le « buzzer » de la porte de l’immeuble,

le miaulement bref de mise en garde de l’antivol de sa voiture,

le hurlement crispant et assourdissant, de l’antivol oublié de cette même voiture,

le Klaxon régulier d’une moto changeant de direction,

le piaillement incessant d’un engin de chantier en mouvement,

le tintinnabullement prolongée de la porte de l’ascenseur emprunté pour descendre dans les entrailles du métro,

la crécelle des portes du métropolitain,

et surtout le hurlement, fortissimo, sans appel, de la fermeture brusque, comme un couperet, des portes du wagon de banlieue.

les modulations stridentes du réveil électronique,

le ding-ding de la cafetière programmable, du micro-onde,

le bip, bip inoffensif du retardateur de l’appareil photo compact,

la vibration aigrelette la montre électronique égrainant les heures,

la chansonnette des touches du téléphone, lors de la composition d’un numéro,

et la « douce » alarme régulière des friteuses géantes des Mac do et autres ...

 

Au lever du lit, que ne constituent-ils pas de doux réveils matins, pour nous, banlieusards, aux cellules grises encore embrumées !

 

          Que d’alarme se déclenchant immuablement au moment importun et pimentant agréablement nos nuits blanches.

 

          Que de palpitations mettant notre coeur en chamade. Confusions, tremblements, stupéfaction.

A quel saint se fier ? Par exemple, avec ce « Tuh ! Tuh ! Tuh ! «  régulier dans la maison ? Une alarme anti-incendie ? Non, c’est notre réveil matin.

Ce « Wouh ! wouh ! ... » : dans la rue ? l’alarme de ma voiture? Non, celle du voisin.

Ou encore ce « Bui ! Bui ! Bui ! Boui ! ». ? Un coup de fil, tant attendu ? Non un coup de bigot dans du sit-com diffusé, à ce moment à la télé. Consternation, enfer et damnation.

 

Ah ! ces doux bruits électroniques, nouveaux version du chant des cigales, annonciateur de temps nouveaux, d’avenirs électroniques radieux et de lendemains qui chantent (synthétiquement) ....

 

Que ne donnerait-on, pour être bercés, par les « bzzu-bzzu », « bzzi-bzzi » électroniques, plutôt que les chants de la Nature, des sauterelles, des oiseaux, des grenouilles ...

 

Soyons heureux et rassuré : rien ne pourra arrêter cette belle marche en avant du merveilleux progrès de notre civilisation moderne.