La randonnée des enfants en forêt de Bretonne

(les 19/6/99 et 20/6/99 - seconde partie)

 

            C’est le second volet de la préparation de la randonnée des enfants, de cet été.

Ce WE, nous irons dans le parc régional naturel de Bretonne, situé entre Rouen et l’estuaire de la Seine. Le parc sera atteint uniquement par les transports en commun, train et bus.

Nous partirons de Bourg-Achard une commune conseillée par une employée de la gare routière, longerons un GR allant vers le nord du parc, le long de la Seine et coucherons sous la tente. Le lendemain, nous traverserons la forêt de Bretonne, enfin retournerons à notre point de départ.

            La veille, j’ai obtenu un billet collectif SNCF.

            Ce matin, les enfants, Mathieu, 9 ans, et Quentin, 11 ans, et leur père arrivent légèrement en retard. Qu’il est vraiment dur se lever pour un train partant à 7h32 de Paris Saint-Lazare.

Arrivés à Rouen à 8h30, nous tuons le temps, en visitant une rue piétonne de Rouen. Elle passe sous une horloge astronomique et aboutit sur la merveille de dentelle qu’est la cathédrale Notre Dame de Rouen. Nous préférons marcher que de prendre le « métro » d’ici. C’est un beau tramway bleu, neuf, muni d’un accès handicapé, en site propre, dont certaines portions, comme la rue Jeanne d’arc que nous empruntons à pied, sont souterraines. D’autres portions traversent des parterres de gazon.

 

            La gare routière, où nous devons prendre notre bus de 10h10, est indiquée nulle part. Nous la découvrons enfin. Elle est vieille et peu engageante.

            Le bus coûte 31 F aller pour les adultes et 22F pour les enfants.

            Arrivé à Bourg-Achard, nous nous ravitaillons au supermarché local.

Pom’Pot, une compote de pomme, semble avoir la côte auprès des enfants et cela deviendra un refrain de la randonnée « Pom’Pot, la compote de pomme ».

 

            La randonnée débute par une départementale droite et monotone, que nous longeons sur la gauche et fréquentée par les bisons à moteurs, dont il faut se méfier.

            Mathieu souffre : une bretelle de son sac à dos 40 litres lui fait mal. Pourtant, il n’y a pas grand-chose dans son sac, comme dans celui de Quentin : juste une popote et une gourde d’un litre remplie, un duvet d’un kilo, que son père vient de lui acheter comme le sac et les chaussures de randonnées. Je lui ajuste ses bretelles, équilibre son sac et transfère la gourde dans le sac de Quentin.

Dans mon propre sac de 75 litres, j’ai toute la nourriture pour 2 jours et plus, un réchaud à alcool (le moins dangereux des carburants), mon duvet, 2 tentes deux places double toits (pour résister aux orages), une pharmacie et plusieurs gourdes 1 et 1,5 litres. Je dois en tenir compte. Quentin joue lui au gros dur et au conseilleur, face à son petit frère. Ils se disputent souvent mais s’adorent.

            Mathieu découvre la première joie de la randonnée : la bretelle qui tire sur l’épaule et fait mal. Je le lui dis.

Un chemin champêtre, bordé de chênes vénérables, donne l’occasion d’une escapade à travers prés et bois, plus jolis, que les champs de blés, bordant cette route peu rassurante.

Notre premier « chemin-aventure », encaissé et étroit, est bordé de ronces et d’ortie. Une partie est entretenue et fauchée.

Il aboutit dans une vallée, puis remonte une pente raide dans un bois.

En haut, deux magnifiques chevaux fauves acceptent nos miches de pain. Par contre, un seul des deux accepte nos crocos Haribo. Notre conclusion : un cheval sur deux aime les Haribos (je plaisante).

            Après 2 km de marche, à Barneville sur Seine, nous rejoignons le GR23. Nous découvrons nos premières demeures à colombage. Le GR longe le grand mur d’une propriété, en surplomb de prairies et puis descend très en pente, à travers bois, vers la Seine.

            Je mets en garde les gamins face aux risques de glissades et les incite à bien poser les pieds bien à plat dans la descente.

            En bas, nous nous arrêtons au milieu du chemin, en bord de Seine pour pique-niquer. La règle est le partage : chips, pâté, saucisson, camembert, tomates, pommes ... et Pom’Pot.

Manque de pot, il manque le vin, que la gourde de jus de pomme remplace fort heureusement [de toute façon, Mathieu et Quentin n’ont pas l’âge]. A côté de nous, dans un jardin, un barbecue propose des grillades bien tentantes.

Je montre aux enfants, ma pharmacie avec Aspi-venin, pansements anti-ampoules... et d’autres gadgets comme le curvimètre, pour mesurer les distances sur la carte, ma montre boussole...

            Le GR suit le chemin de halage du fleuve, vers le nord sur plusieurs km, jusqu’au bac de Jumiège.

            La Seine apparaît sale et vaseuse. Sur ses bords poussent souvent des poids de senteurs retournés à l’état sauvage.

            Nous voyons passer sur le fleuve notre premier cargo, un tout petit, tout rouge, dont le port d’attache est Ténériffe. En s’y embarquant, peut-être irons-nous aux Canaris. Les bateaux sont toujours pour moi un magnifique appel au voyage. Un peu de nostalgie s’envolent toujours avec un bateau qui, au loin, s’éloigne.

 

            Sur le chemin, nous découvrons un orvet de couleur marron, bien vivant. Je le déplace et le replace délicatement sur le bas-côté du chemin. Quentin qui n’aime pas les serpents se tient prudemment à distance. J’ai beau lui dire que l’orvet n’est qu’un lézard aux pattes atrophiées, insectivore, inoffensif, il n’y touche pas. Un autre orvet tout proche n’a pas eu sa chance, la tête écrasée récemment, son corps est encore mou.

Comment éduquer les gens à ne pas écraser ce qui leur paraît détestable ? Il y a encore un long chemin pédagogique à entreprendre dans les écoles pour faire prendre conscience aux enfants de l’intérêt à préserver notre patrimoine Nature, que nous sommes en train de dégrader à toute vitesse sur notre planète.

 

            Il fait très chaud et nous buvons beaucoup.

            Tous les cinq cents mètres, des lanternes, comme celles que l'on trouve à la sortie des ports, bordent le fleuve, vertes de ce côté, rouges de l’autre, servant à guider les bateaux de haute mer, la nuit. Ce samedi, le trafic des gros bateaux est important : gigantesques porte-conteneurs, gros cargos, minéralier, méthanier ... Plusieurs portent des pavillons étrangers : anglais, hollandais, espagnol...  Sur l’un d’eux armés par la compagnie Delmas, on y lit « Delphine Delmas », peut-être un bateau d’une compagnie détenue par une seule et richissime famille.

            Sur la carte, je montre à Mathieu et Quentin, que le bac est encore à 2 km d’ici. « Facile ! » dit Quentin. Sur les cartes, même au 25 000ème, les distances paraissent plus courtes que dans la réalité. Cette portion toute droite paraît longue à tous. Enfin, nous voyons apparaître le bac au loin, ainsi qu’une pancarte « Bac à 800 mètres ».

Beaucoup de petites maisons de campagne sont coincés entre la rive et le coteau abrupte.

Les jardins sont très fleuris dans la région et c’est un vrai plaisir pour les yeux.

Je photographie une petite maison en brique dont le jardin est particulièrement fleuri et fourni.

            Sur les pentes sèches abruptes, il y aurait des orchis [des sortes d’orchidées de climats tempérés], à découvrir, mais on n’a pas le temps de les escalader.

Lorsque nous montons dans le bac, gratuit pour les piétons, le courant s’est inversé et semble remonter le fleuve. Mais pas de mascaret en vue, cette dangereuse vague, due à la marée, remontant le courant depuis l’estuaire.

Après le bac, nous voyons vu notre première maison à toit de chaume. Nous nous dirigeons vers l’est, vers l’abbaye en ruine de Jumiège, mais les abbayes et les vieilles pierres ne semblent pas les enthousiasmer. Ils me disent préférer la nature. Nous obliquons alors vers le nord-Ouest, pour couper à travers champs.

Certains champs sont occupés par des cultures de petits pois. J’explique que beaucoup de ces petits pois servent pour les farines animales et non pour la consommation humaine.

Un chemin sur la carte n’existant plus, un agriculteur l’ayant probablement « phagocyté », englouti dans un de ses champs, nous sommes obligés de traverser un champ de maïs. Nous retrouvons ensuite un beau chemin bordé d’arbres, malheureusement se terminant lui aussi en un chemin de chasseur. Il n’est plus du tout entretenu, remplis d’orties. Il est devenu pour nous un cul de sac, à cause de nos jambes nues, sous nos bermudas.

Nous traversons pendant cent mètres un champ d’orties. Je dis aux enfants « ne vous inquiétez pas. Les orties ne sont pas dangereuses. Dans une heure les picotements vont disparaître. De plus c’est bon pour la santé. Cela fouette le sang. ». Ce qui sera effectivement le cas une heure après. Des tapis de filaments de cuscutes, suçant la sève des orties, les recouvrent parfois entièrement. Je le leur expliquerais plus tard la particularité de cette plante parasite.

Nous franchissons un barbelé, toujours avec mon porte-carte, qui soufre à la longue de tous les mauvais traitements que je lui inflige en l’utilisant toujours pour franchir les clôtures. Il est percé en plusieurs endroits. Nous remontons un dernier champ de blé dur d’un beau vert. Je demande aux enfants de bien suivre les roues de tracteur, afin de minimiser les dégâts, espérant ne pas rencontrer l’agriculteur. Nous rejoignons enfin le chemin de halage de la rive droite de la Seine.

Un second bac à Yainville nous ramène sur la rive gauche, que nous longeons sur un km.

Des bigarreaux sur des cerisiers, élançant leurs branches au-dessus du chemin, nous font envie. Nous ramassons les cerises tombées déjà mûres, se révélant délicieuses.

Partant plein est, nous traversons maintenant une zone de marais, aménagés par l’homme comme dans beaucoup de régions de marais en France. Le long de grands canaux de drainages rectilignes, poussent les iris. Malheureusement, ils ne sont pas en fleur. Les libellules sont nombreuses.

C’est déjà le soir et nous recherchons un lieu pour camper. Un agriculteur nous propose de nous mettre dans son champ fraîchement coupé et rempli de gros ballots cylindriques de paille. Sans arbre, nous renonçons à cet endroit. Pourtant qu’elle est agréable l’odeur de l’herbe coupée.

Je rejoins alors la maison d’un garde forestier tout proche, après une raide montée, couverte de cailloux. Sa maison est entourée d’une clôture électrique et un gros chien loup y aboie bruyamment. En fait cette jeune chienne de 2 ans, prénommée Olga, nous fait déjà la fête.

Ce dernier, qui vit seul, accepte que nous campions dans une prairie toute proche, à l’orée de la forêt de Bretonne. Il nous fournit aussi l’eau. Je m’engage à ne pas faire de feu.

Je dégage toutefois un coin de terre sans herbe sous l’auvent à moitié refermé de ma tente et fait chauffer, avec le réchaud à alcool, une soupe, bien venue pour les enfants.

Tout le monde fatigué se couche tôt. Je mesure que l’on a fait quand même 19 km dans cette journée et je le prouve aux enfants, avec la carte et le curvimètre.

Je vois apparaître les cirrus dans le ciel et j’annonce aux enfants que le temps va changer demain ou après-demain. Il pleuvra peut-être. J’examine les pieds des enfants : pas d’ampoules.

Effectivement, le lendemain, le ciel est gris et venteux et quelques gouttes tombent pendant le petit déjeuner. Je me dépêche de plier les tentes et à la fin du pliage, le crachin breton s’installe déjà. Nous découvrons que des moutons farouches habitaient le pré, à côté de nous. Nous ne les avions pas vus.

Mathieu veut fermer lui-même le loquet de la barrière souple en fil de fer du pré. Mais celle-ci lui échappe, l’effet ressort de la barrière lui projette le loquet dans le nez qui se met à saigner. Mathieu pleure un instant et je lui donne un mouchoir servant de compresse.

Je discute avec le garde. Je lui dis : « cela ne doit pas être facile d’être garde forestier ». « Ah Oui ! les places sont chères ». « En quoi consiste votre travail ? ». J’apprends qu’il s’occupe surtout du recensement des espèces, de la ressource en bois, en gibier ...

Dans les années 50, on plantait surtout des résineux, maintenant on le plante plus dans que dans les terrains les plus pauvres. La forêt de Bretonne est une des plus belles hêtraies de la région.

Maintenant, on privilégie la diversité, assurant ainsi une meilleure protection contre les maladies des arbres : chêne, hêtre, autres essences. On a découvert que des planter des arbres fruitiers dans la forêt, en attirant les oiseaux, permet de mieux combattre les maladies. En un mot, on redécouvre l’écologie.

Un gros problème actuel est la surabondance des cerfs, provoquant des dégâts, mais les chasseurs avec lesquels l’ONF organise des battus, n’aiment pas tuer ces animaux imposants. Ils leur préfèrent les sangliers. « Il faut voir le plaisir des chasseurs avec les sangliers ». La chasse comme le tourisme ne sont que des petits revenus de la forêt, le reste, pour plus de 80 % des revenus, provient de l’abattage des arbres.

Un autre gros problème, serait d’après lui, les quotas de coupe prévus par les ordinateurs de Rouen, par rapport aux réalités, personne n’osant protester. « On le sait, personne n’ose rien dire, jusqu'à la catastrophe. L’affaire de la vache folle nous l’a montré. ».

Je me dis que même si l’on aime son métier, cela doit être triste, pour cet homme intelligent, de vivre tout seul ainsi.

Ce matin, j’ai pris un risque ne prévoyant un fort long trajet pour les enfants, afin de leur montrer un maximum de merveilles. J’ai décidé d’aller au nord du parc dans cette boucle de la Seine, à la maison du parc, un lieu pour touristes.

Nous longeons de nouveau une départementale. Nous nous mettons en file indienne à chaque croisement de voiture. « file indienne » dis-je avant chaque croisement de voiture. Le sac est un peu dur sur l’épaule.

Nous nous arrêtons un instant pour prendre dans nos bras une jolie chèvre blanche, aux beaux yeux. Nous aurons vu aussi beaucoup de vaches, normandes, charolaises, de chevaux et de moutons, lors de notre randonnée.

Beaucoup de maisons à toit de chaume, dont le faîte est planté d’iris, bordent la route. Ici les chaumiers ne chôment pas. Un cheval gris pommelé, court avec élégance sans se laisser approcher. Que c’est beau un cheval qui coure.

Un gentil husky, les yeux vairons, l’un marron, l’autre bleu ciel, se laisse caresser.

La maison, une jolie ferme XVIII° siècle à colombages, restaurée est atteinte après 5 km de marche. Dans le jardin, est planté un vieux colombier, à côté duquel une reconstitution d’un four gallo-romain a été réalisée. Dans la maison, se tient une exposition sur les parcs régionaux français. Pendant que je découvre des objets traditionnels, les enfants s'amusent sur un jeu concernant les parcs, sur un ordinateur. Les bruits bizarres « Schting, bong, doung... » de l’ordinateur inquiètent la personne à l’accueil. Un dépliant « paysage mode d’emploi », montre aux habitants du parc, comment respecter et aménager harmonieusement les paysages aux alentours. Il déplore « les architectures sans qualités, les bâtiments disparates, les prairies de vallées remblayées, la disparition des alignements de saules, les haies remplacés par des clôtures artificielles ... ».

On redémarre après 30 mn. Je le leur rappelle, mais comment puis-je me permettre le leur rappeler, moi qui aie le nez toujours bouché, de toujours bien respirer. L’eau dans les gourdes est bien lourde, Ah ! pourquoi n’invente-t-on pas l’eau lyophilisée ? !

Nous traversons à grande vitesse, la forêt de bretonne du Nord vers le sud, en faisant des haltes toutes les dix minutes. La hêtraie est effectivement belle. Dans une vallée, nous découvrons de véritables parterres de digitales pourprées. Le sentier en bordure de forêt passe des endroits magiques, forêts et prairies mélangées, dommage que l’on voit tout cela sous la pluie.

La pluie se met à tomber drue. Je mets mon poncho de secours, une sorte de sac poubelle à moitié déchirée. Nous en marchons pendant des kilomètres sur le « macadam », mais il est vrai sur le macadam de jolies vicinales. Et les pieds deviennent douloureux.

Nous arrivons à un moulin de pierre à toit conique, le moulin d’Hauville, dont les ailes tournent et où se tient une fête. Il y a un peu trop de monde à mon goût. Une file d’au moins 500 mètres de voitures bordent le chemin. De nombreux ânes sont réunis ici, ainsi que des hommes en costumes de meuniers, et femmes portant la coiffe de dentelle.

Je vérifie de nouveau les pieds des enfants. Les chaussures qu’ils ont achetées hier semblent bonnes, mais pas leurs chaussettes. Je leur fais comprendre que de bonnes chaussettes sont aussi importantes pour la randonnée.

La pluie s’est enfin arrêtée. La dernière partie sur la départementale joignant Yvetot et Elbeuf, rectiligne et fréquentée, est bien monotone. J’apprendrais plus tard par un dépliant du parc que la personne de la gare routière nous avait induit en erreur et qu’il existe un bus nous rapprochant beaucoup plus du parc et s’arrêtant à Jumiège.

Nous voyons au loin le bourg de Bourg-Achard. Pour Quentin, cela semble tout proche, comme la fin de son calvaire. Je leur montre sur la carte qu’on est encore à 4 km. 4 km sont 4 km, et 4 km est environ une heure de marche ... incontournable.

Arrivé à l’église à 17h, nous apprenons que l’arrêt de bus est encore à 200 mètres plus loin. Encore 200 mètres ! Les enfants sont fourbus, mais leur oncle encore plus … avec ses 15 kg sur le dos. Il faudra revoir le poids de mon sac pour la prochaine randonnée de cet été.

En cette journée de test, les enfants auront fait 25 km ? Il s’en doutait et en sont fort fiers.

Dans le train un guadeloupéen sympa, qui aime la randonnée, marié à une métropolitaine, père d’une jolie petite fille, offre aux enfants les derniers morceaux d’une immense barre de Toblérone. C’est la petite fille, elle, qui vient en offrir aux enfants.