Retour en Sicile (septembre 1998)

 

1.   Jeudi 10 septembre 98

 

                Ce jeudi 10 septembre 98, nous sommes 5 membres d’une association vulcanologique LAVE (L’Association Vulcanologique Européenne) sur le départ pour la Sicile et ses volcans : Sylvie, Simone Vulcanologue, Pierre, Daniel et moi-même.

                Sylvie, diététicienne de formation, est actuellement fonctionnaire à la préfecture de Bobigny. Simone vulcanologue de formation est documentaliste à l’INIST dépendant du CNRS à Nancy. Pierre ancien expert en métallurgie (trésorier de notre voyage) est retraité, comme Daniel, ancien professeur d’ébénisterie (notre boute-en-train). Simone est l’auteur d’une remarquable étude fouillée et complète, prolongement de sa thèse, sur le réveil dramatique, en 1902, de la Montagne Pelée en Martinique [1].

                LAVE qui compte presque 700 membres, édite une revue en couleur très intéressante.

 

                Nous nous rendons à Catane, par un vol régulier, de la Compagnie italienne Méridiana.

                Notre avion, fabriqué par British Aerospace, est un petit BEA 146-200, faible courrier quadriréacteur, ailes hautes, de 84 places.

                Quelques surprises au niveau aménagements intérieurs tels les téléphones individuels logés dans le siège devant soi. On peut appeler le monde entier, avec simple une carte bancaire mais son coût reste prohibitif : 9,9 $US soit 60 FF toutes les minutes, pour la France.

 

                Nous discutons de survie dans la nature, un début du voyage.

Pendant notre discussion, les paysages dégagés de la chaîne des Alpes et du massif du Mont Blanc défilent devant nos yeux.

                Des pâtes de fruits à la fraise nous sont offertes . Je les déclare excellente à l’hôtesse qui m’en rapporte alors un verre entier !

 

                La température élevée à Florence nous fait deviner qu’elle le sera encore plus à Catane.

A l’aéroport de Catane, Une somme d’environ 500 FF pour 2 véhicules est conclue par notre trésorier Pierre [2] avec les taxis. Le marchandage nous permet d’atteindre rapidement l’Etna.

 

Même plus que rapidement, puisque Simone et Sylvie sortent blême de l’un des taxis, conduit par un Fangio suicidaire, doublant régulièrement dans les virages sans visibilité.

                A Sapienza, je ne retrouve pas sans un certain « pincement de cœur » les nombreuses boutiques, marchands du temple du Dieu Etna et surtout les « ravissants » bibelots en lave couverts de paillettes bleues irisées.

Le refuge du Club Alpin Italien (CAI) choisi pour la nuit est un énorme bâtiment au confort spartiate. La demi-pension coûte 60000 lires (environ 55 F), grâce à une réduction de 10 %, obtenue avec ma carte du Club Alpin Français.

                Simone avec deux sacs à dos et un sac de voyage est lourdement chargée. Elle laissera heureusement deux de ses sacs au refuge du Club Alpin Italien avant l’ascension.

Nous allons visiter l’hôtel Corsario, où j’ai logé l’année dernière.

Depuis l’année passée, sa façade grise, a été repeinte en jaune canari, plus pimpant. La gérante française mariée à un sicilien, mère de 2 enfants, est toujours là.

Elle nous amuse en grimant et décrivant avec humour, certains dirigeants de LAVE qui viennent fréquemment ici.

Nous apprenons qu’aucune assurance ne couvre son hôtel.

Lors de sa destruction en 1984, un dédommagement a été versé par le gouvernement, mais ce dernier a précisé qu’il n’y en aura plus d’autre aide, si l’hôtel est encore détruit. La gérante nous dit que dans ce cas elle ne reconstruira pas.

En 1984, le refuge du CAI avait quant à lui résisté aux coulées de laves qui l’entouraient.

 

                Au-dessus du refuge du CAI, une forêt de jeunes sapins a été replantée, mais elle ne peut constituer une protection efficace face à toute nouvelle coulée.

 

Le soir, le village recouvert de brouillard prend un aspect fantomatique. Nous nous réfugions au café du refuge. Il est tenu par la femme du gérant, une femme plutôt sympathique, cherchant toujours à rendre service. A notre départ, elle se proposera, entre autre service, de remplir toutes nos vaches à eau pour l'ascension. [3]

Cette mère a six enfants. Et elle en désire encore d’autres !

                Nicoloso un vieux guide de l’Etna qui habite Nicolosi, nous rejoint au café. D’après lui, l’activité de l’Etna est pour l’instant dangereuse... Mieux vaut  se tenir à distance des cratères explosifs de la Bocca Nova et de la Voragine [4]. Seul le point culminant du cratère nord Est , à 3300 m, lui paraît sûr. Il nous prévient que tout le paysage a beaucoup changé depuis l’an passé, depuis la grande éruption du 22 juillet 98.

                En général, les guides sont plutôt sympathiques et on peut toujours trouver des informations sûres auprès d’eux sur l’état du volcan.

Ici, on peut acheter des timbres de la Poste Suisse et poster son courrier dans une boîte de cette même poste. Mais l’expérience ne nous montrera pas de différence de rapidité entre la Poste Suisse et la poste italienne dans l’acheminement, en France, de nos cartes postales.

                Notre dîner du soir est composé d’antipasta, de pasta, de thon, plats habituels en Italie. L’excellant vin de l’Etna « Cyclope » complète agréablement le repas.

                Le mari de la sympathique mère de 6 enfants, nous pousse quant à lui constamment à la consommation, nous faisant regretter l’hôtel Corsario, qui n’avait pas été retenu du fait de son coût plus élevé.

                Daniel, grand ronfleur, dormira dans une chambre séparée.

                En m’endormant, je me sens un instant coupable d’avoir laissé mon chat à Paris, confié à ma gardienne.

 

2.   Vendredi 11 septembre 98

 

                Le beau temps est de retour.

                D’abord, une photo souvenir de nous tous, dans l’air doux et frais du matin, sur les pentes d’un des deux cratères Sylvestri, éteints.

Le temps doux nous rend nonchalants. Nous ne sommes pas du tout pressés de grimper l’Etna.

                A 1900 mètres d’altitude, les plantes poussent difficilement sur le pourtour de ces deux cônes adventifs, d’un siècle d’existence.

                Tout le paysage environnant se teinte de jolies couleurs variées pourpres, ocres, terre de Sienne, gris violet ... parfois parsemées de rares touffes d’herbes jaunies. Peu de fleurs subsistent. Il est vrai que l’on est en septembre. Et le soleil intense, des mois d’été passés, a grillé la végétation.

 

                Pour monter au sommet, nous prenons un télécabine jusqu’au Picolo rifugio (Petit Refuge) situé à 2500 mètres d’altitudes.

Nous décidons de ne pas emprunter un bus 4 x 4 jusqu’au sommet, pour « économiser » nos sous.

                Nous marchons pendant 5 à 7 km, pour un dénivelé d’environ 400 mètres.

Un jeune papa italien nous accompagne transportant dans un siège à bretelle sur son dos, un jeune gamin, normalement protégé par une ombrelle solidaire du siège, pour l’instant repliée.

 

                Le transport du Cubitainer d’eau de 15 kg, acheté en prévision du bivouac, nous occasionne bien des soucis, et une tâche de portage littéralement herculéenne.

                Je regrette qu’il n’existe pas de bouteilles pliantes, de plus petite dimension, qui auraient pu nous permettre de répartir les 14/15 kg entre nous tous.

Nous nous relayons tous les 100 mètres. Heureusement deux allemands nous viennent en aide.

L’économie de bout de chandelle ne vaut pas l’effort investi et le temps perdu. Il aurait été plus judicieux de confier le Cubitainer à un passager d’un bus 4 x 4 allant vers le sommet.

                De nombreuses coccinelles se promènent dans ce paysage lunaire, jusqu'à 3000 mètres d’altitude.

On ne peut s’expliquer leur présence dans ce monde minéral, sans plantes, ni fleurs, ni eau. Sont-elles égarées, transportées par les vents ? Mangent-elles des pucerons, des plantes ou autre chose ... ? Mystère...

                A la Toro Del Filosofo (la Tour du Philosophe) [5], atteint vers 15h, nous rencontrons des membres de la « société volcanologique genevoise », une association amie de notre association « LAVE », éditant une sympathique revue ne cherchant pas à atteindre le niveau scientifique de la notre.

Au sommet, je suis surpris par l’énorme différence entre l’aspect actuel des pentes de la Bocca Nova et du Cratère Sud Est, et celui observé il y a un an. De loin, les pentes de la Bocca Nova semblent couvertes d’un doux tapis de cendre, remplaçant le chaos de rochers de l’année dernière. Le cratère sud-est entaillé de « barrancos » _ sortes de sillons verticaux dus à l’érosion [6] _, semble lui inactif. Un tout petit cratère situé à sa base semble récent.

                Les cratères de la Bocca Nova et de la Voragine émettent régulièrement des panaches de cendre grise ou beige.

                Nous allons rendre visite aux guides de l’Etna, réfugiés dans leur petite cabane en bois, servant de magasin à souvenirs et de débit de boisson.

                Ensuite, nous allons planter nos tentes dans un petit repli de terrain plat et cendreux situé en face du cratère sud-est.

Notre Cubitainer, qui sert de fontaine, est placé sur des blocs de lave.

Je construis un abri en pierre, pour protéger notre futur feu contre d’éventuelles tempêtes fréquentes à cette altitude, mais mes collègues ne semblent pas très convaincus par l’intérêt de cette construction et me laisse travailler ! C’est comme dans certains pays du sud, où l’on voit trois ou quatre spectateurs autour d’un cantonnier au travail.

Le nombre considérable d’allumettes grattées et consommés sans résultat pour allumer la flamme du réchaud dans la future tempête du lendemain sera le verdict de la non-compréhension de l’intérêt de cette construction par mes amis.

Le soir sous l’effet du vent, un des mâts en fibre de verre de la tente Sylvie se casse. Du scotch et du sparadrap remédieront provisoirement à l’incident.

                Cette nuit, la température descend en-dessous de zéro. Mal couvert par mon léger duvet, le sommeil est difficile à trouver. A côté, Pierre équipé d’un chaud duvet de montagne dort du sommeil du juste et sans vêtement ! Les pointes de quelques grattons de laves scoriacées, noyés dans le gravier volcanique, à travers la mousse du matelas, ajoutent encore à la relativité du confort ! Heureusement, en ce qui me concerne des boules Quies atténuent un peu le fort bruit du vent.

 

3.   Samedi 12 septembre 98

 

                Le lendemain notre Cubitainer est chargé de glaçon. Il faut vraiment prendre son courage à deux mains pour tenter une toilette de chat.

                Très tôt, le brouillard apporté par les nuages d’altitude envahit rapidement le site.

                Nous décidons malgré tout de nous rendre au sommet du cratère Nord Est, d’où l’on peut voir les autres cratères, avec notre équipement : casque, masque, bonnet, gants...

                Sur le chemin faisant le tour des sommets, nous rencontrons une femme et un homme de l’institut géophysique de Catane, effectuant au pas de course, des mesures topographiques avec leur théodolite. Ils posent d’abord leur théodolites et leur niveau, font leurs relevés en quelques secondes, courent de nouveau 20 mètres, reposent leurs appareils, ainsi de suite, comme dans une scène de Charlot du film « les temps modernes ».

                Au pied d’une coulée de lave refroidie venant du Nord Est, datant du mois de juillet, nous rencontrons trois jeunes vulcanologues japonais, venus prélever quelques échantillons de gaz au sommet.

Je les accompagne, mais ils marchent vite. Je m’efforce de les suivre, tenaillé par une forte curiosité envers leur travail. Ils semblent connaître parfaitement le chemin. Mais le « club des cinq » ne suit pas et disparaît dans le brouillard. La tempête se lève progressivement, réduisant toute visibilité. Je perds mes compagnons de vue, j’hésite, décide de rebrousser chemin puis me ravise. Pensant qu’ils sont peut-être passés plus à l’est, je rejoins de nouveau les vulcanologues.

Quand je les rejoins, ils plongent déjà leur thermocouple dans une crevasse du bord du cratère, pour mesurer les températures des fumerolles (je noterais une température mesurée : 172°C).

                Comme mes compagnons ne montent toujours pas, sachant qu’ils vont s’inquiéter, je décide de les rejoindre dans la tempête.

Le blizzard, pourtant cause d’importants refroidissements ou de risque de déséquilibre dans le chaos rocheux du volcan, ne m’effraie pas. Je les ai déjà affrontés dans le massif du Mont Blanc puis dans l’Arctique.

La force du vent me déséquilibre quand même, je dois avancer constamment à « quatre pattes » dans un « white out » total, une purée de coton éliminant toutes perspectives, se déchirant par moment et laissant apparaître alors de brusques renforcements d’une nébulosité poudreuse d’un soleil impuissant à percer la couche nuageuse.

Sous l’effet du déchaînement des éléments, les fumerolles, sortant des crevasses jaunies par le soufre, fusent, couchées à l’horizontale. Le spectacle est celui d’un début ou d’une fin du monde.

Je suis fasciné par ces moments intenses de déchaînement des forces de la nature ... La folie serait de laisser impressionner par le fort sentiment d’une manifestation d’un Dieu immanent à cet instant et d’en oublier le danger.

Rétabli que depuis 15 jours d’une entorse, j’avais pris la précaution de m’équiper d’un bâton de marche qui me rend bien des services dans ce dédale de blocs branlants. Ayant descendu 200 mètres de dénivelé, je repère enfin la coulée nord-est, de cet été, s’arrêtant au niveau la route du sommet où je retrouve mes amis extrêmement inquiets. J’ai le droit au sermon mérité que j’attendais.

                Nous allons nous réfugier à la cabane des Guides de l’Etna, où je découvre une affiche en français très complète sur le mal des montagnes et où nous buvons l’alcool « Fichera Fuoco del Etna », « le feu de l’Etna », à la couleur rouge feu, titrant à 70 ° ( !), au goût insipide d’alcool à 90 °. Une autre variété à 50 ° de cet alcool, se laisse, lui, plus facilement boire.

                Les guides nous disent que la météo annonce une dépression de 4 jours. Ce qui nous convainc de redescendre, d’autant que Simone n’aime pas le froid et le blizzard et a envie de retrouver le chaud et un toit plus rassurant que celui de la tente dôme de Sylvie au mât bricolé.

                Rapidement (très rapidement) nous plions bagage dans la tempête, retenant fermement les toiles de nos tentes pour éviter qu’elles ne s’envolent comme dans « Tintin au Tibet ».

                Je suis assez attristé de vider sur le sol le contenu du Cubitainer après toutes les peines du monde pour le monter ici.

                Par chance, nous arrivons à pendre « au vol » le dernier bus 4 x 4 redescendant à Sapienza. Notre descente est aussi rapide et que notre monté a été lente. De plus, le chauffeur tient à la gratuité de notre course !

                Nous croisons en chemin un groupe de randonneurs courageux ou fous montant à pied vers le sommet !

Après le blizzard du sommet, nous avons la surprise de ne trouver aucun vent à Sapienza à 1900 mètres et un thermomètre à 13 °C  à la gare du bas du télécabine !

Durant la descente, je laisse mon imagination vagabonder. J’imagine à Sapienza, l’implantation d’un cinéma Dôme Imax montrant le spectacle permanent des éruptions volcaniques, pour ceux qui ne peuvent y assister. Mais, les coulées de lave le détruiraient, et ce n’est donc pas une bonne idée.

Au retour vers Catane, dans le bus, une bande de joyeux drilles mettent une chaleureuse ambiance, par des chants populaires italiens. Tout le monde s’y est mis même les personnes âgées. A Catane, nous quittons le bus à regret.

Avec 26°C, il fait chaud et étouffant. Pendant que les autres attendent dans un jardin public décoré d’une horloge fleurie, Simone et moi partons à la recherche d’un hôtel, « la pension Gracie » Via Pachini, qu’on nous a recommandé dans le bus.

Malheureusement, la coquette pension est complète et nous nous rabattons sur autre pension nommée « Süd Land ». Elle donne sur la rue la plus fréquentée et la plus bruyante de Catane, la via Etna. La pension est vieillotte, il y fait chaud et n’est pas insonorisée. Mais à 80 F la chambre, on ne peut pas faire le difficile. Et une bonne douche peut faire oublier le reste.

Un restaurant, donnant sur l’arrière cour de l’hôtel, se révélera excellent et bon marché (18 000 lires, moins de 70 F). Ses tables, occupant toute la largeur de la rue la transforment en impasse le soir !

Notre jolie serveuse, en minijupe sexy, ayant vécu en France, parle français. Comme le service est un peu désorganisé, elle se trompe plusieurs fois de plat. Elle nous dit que c’est courant en Sicile.

Comme d’habitude, il y a des anti-pastas (hors d’œuvre), des pastas à crème, aux aubergines, à la tomate ... Une saucisse se révèle être une sorte de saucisse de Toulouse. Daniel est mis en appétit par une belle escalope à la crème.

Sylvie aime Tzero qui passe en fond musical, nous dit être une grande romantique et adorer la musique italienne, comme celle de Zucchero, Renato Sero ...

Dans la nuit à l’hôtel, Pierre allume la lumière comme d’habitude !

 

4.   Dimanche 13 septembre

 

                De la fenêtre de notre chambre, Daniel espiègle nous montre l’Etna totalement dégagé. Simone reste sceptique. Dans une heure, elle aura finalement raison.

                Nous déjeunons tôt le matin dans une boulangerie où les croissants sont fourrés à la compote de pommes. En Sicile, les croissants sont fourrés.

                Nous loupons le train de 9h et prenons celui de 10h40, profitant de l’attente pour rédiger nos cartes postales.

                J’utilise ce délai, pour aller retirer, en ville, de l’argent à un distributeur. Celui de la gare est hors service. Je me dirige vers un autre que m’a signalé une dame. Après 20 minutes de marche, j’introduis ma carte dans le distributeur de la banque San Paolo.

Il s’éteint brutalement. Ensuite, son écran égraine lentement le compte à rebours d’une bombe à retardement : 175s, 174s ... 1s ... Durant ce temps, je prie tous les saints de Sicile. Enfin, ne semblant pas avoir bien « digéré » ma carte, il la recrache. Tout cela aura duré 15 mn.

                En retard, je cours pour rejoindre la gare. Heureusement un jeune en motocyclette me prend sur son porte-bagages. J’arrive sur le quai, juste avant le départ, comme si de rien était.

                Le train longe une partie de la côte, traverse de beaux paysages fertiles et de jolies gares fleuries. Il passe sous le nid d’aigle du joli village de Taormine. Il traverse de nombreux tunnels et roule de temps en temps à droite. Au loin, l’Etna se couvre progressivement de nuages.

                Sylvie a des petits yeux fatigués. Elle répond à mon interrogation muette, par ce commentaire, « j’ai les yeux rêveurs ».

                A Messine, un mouton descend du train devant nous !

                La mode des « Tags » colorés a aussi « gagné » les murs de la gare.

                A Milazzo notre port d’embarquement pour les îles Lipari, il n’y a plus d’hydroglisseur, appelé Aliscaphe, en raison de la forte houle. Heureusement, les ferries fonctionnent encore mais seulement pour Vulcano. Nous avons juste le temps d’en prendre un, sur le départ, pour cette destination.

                La mer couverte d’écume blanche sous un ciel sans nuage est vraiment belle. A un moment, je distingue une tâche aigue-marine, isolée, dans le bleu marine environnant de la mer, que le ferry traverse. Un haut fond au beau milieu de la mer ? nouveau mystère.

                Le ferry accoste au port de Vulcano. Une foule immense et de nombreux véhicules enchevêtrés attendent sur le quai, bloquées par deux jours de tempête.

Mais le ferry ne termine pas sa manœuvre d’ouverture de porte avant et repart sans avaler sa cargaison, laissant certainement cette foule dépitée.

 

                Nous arrivons le soir à l’Ile de Lipari, où des agents d’agences immobilières démarchent les touristes, proposant des locations. Nous nous laissons convaincre.

                Les rues étroites et pavées de Lipari sont toujours aussi ravissantes.

                Un des agents immobilier obèse, en scooter, me prend sur son porte-bagages. Surchargé comme nous sommes, avec mes bagages à la main, il y aurait un sujet de photo. Mais personne n’a pas présente d’esprit de prendre un cliché.

                Le bungalow de rêve que nous découvrons, offre une splendide vue sur la mer, une terrasse ombragée et un jardin où se mélangent ibiscus et bougainvilliers. Tout cela pour seulement 300 000 livres soit environ 270 F, pour nous tous et pour deux nuits.

                Nous nous baignons pour la première fois, dans la mer bordée par une plage de sable noir.

 

5.   Lundi 14 septembre

 

                Nous nous levons aux aurores pour une jolie randonnée vers un volcan éteint depuis 6000 ans, le mont Pilato où nous comptons bien découvrir de grandes quantités d’obsidiennes.

                Un sculpteur a exposé sur un muret, le long de la promenade du bord de mer, des sculptures en lave, aux formes mégalithiques.

                Notre itinéraire longe la très belle baie de Lipari, puis monte progressivement dans les collines, où abondent les blocs d’obsidiennes dans les murets, les affleurements verticaux de tufs au bord de la route. Nous atteignons, au niveau du village de Pirrera, la coulée d’obsidienne préhistorique géante, bien visible par ses reflets brillants au soleil. Cette coulée, descend jusqu'à la mer. Elle recouvre l’énorme dépôt de ponce constituant le mont Pilato.

Elle témoigne d’un volcanisme extrêmement explosif. Il y a 6000 ans, des ponces de cette éruption, dont on retrouve les dépôts sur Vulcano et d’autres îles, ont été projetés à plus de 30 km. Il ne faisait pas d’être bon dans les parages à cette époque.

Nous redescendons ensuite, par un sentier, recouvert de pavés plats de basalte, séparé de la coulée par un grand canyon, vers le village de Canetto situé bord de mer, où nous dégustons d’excellentes « gelatis » (« glaces » en italiens), en attendant le bus. Les Italiens sont vraiment les maîtres des glaces et des cafés. Cette pause au bord de la mer restera pour nous tous un beau souvenir.

                Vers midi, un minibus régulier nous conduit, dans la montagne, vers un autre village, point de départ de notre prochaine randonnée. Une australienne rencontrée dans le bus se rend en pèlerinage au Mont Pilato où elle est née.

                Dans le chemin que nous empruntons l’obsidienne noire et brillante affleure partout et Daniel ne peut résister à la tentation d’en casser un morceau avec le marteau de géologue de Simone, pour constater la belle cassure conchoïdale brillante dont elle nous a parlé.

                Simone, toujours prévoyante et prudente, a beau insister, répéter, lui dire de faire attention, de prendre des précautions, de se munir de gants et de lunette, ... Daniel comme un enfant n’écoute pas. A un moment, un éclat jaillit et perce la main de Daniel qui pisse le sang. Simone « tu vois », Daniel penaud « Ah oui tu as raison » (heureusement, l’éclat n’avait pas jailli vers l’œil).

                Après avoir essayé différentes voies d’accès vertigineuses et risquées pour tenter de rejoindre la plus importante carrière de pierre ponce du monde, je découvre un chemin à 45°creusé par des moyens artificiels (scrapers ?), nous conduisant directement dans la carrière au beau milieu des engins de chantier en activité. Le site, une sorte de cirque aux parois grises ou blanches, est immense. Je me presse craignant d’être refoulé par les ouvriers, mais ces derniers du haut de leur engin nous saluent aimablement.

                La majeure partie de la production n'est pas constitués par les pierres-ponce utilisées dans la salle de bain, mais plutôt par des absorbants industriels et des granulés de litières pour chat. Un jour le mont Pilato disparaîtra victime des chats et de leurs besoins.

                A la fin de la randonnée, je montre la coulée d’obsidienne mouchetée ou bulleuse, qu’Inès, de l’agence Aventure et Volcan, nous avait montré l’année passée.

                Le stock d’obsidienne que nous avons rapporté est énorme et nous n’en conservons que les plus belles pièces, après les avoir triés sur la terrasse de notre bungalow. Celles que nous laissons feront certainement, des heureux parmi les locataires suivants.

                Le propriétaire de notre bungalow, un restaurateur nous a fait la publicité de son restaurant « La Nassa ». Je m’y rends pour connaître les prix, mais la discussion en italien se révèle fort difficile. Je répète «prix, price menu global, total ...». On inscrit sur une serviette 7000 lires, me faisant comprendre que rien n’est cher ici. Je me contente naïvement de cette affirmation.

                Mes amis se laissent séduire par ce restaurant aux murs couverts de tableaux d’art naïf, d’art brut ou de style brésilien.

                Finalement, le repas affirmé bon marché composé de poissons nous coûtera presque environ 250 F par personne ! Par contre, les plats sont corrects et fins.

 

6.   Mardi 15 septembre

 

                Une pluie diluvienne aussi soudaine que brève nous surprend, alors que nous attendons l’ouverture du comptoir portuaire situé juste à côté du port des ferry.

Nous y apprenons que le port des hydroglisseurs n’est situé pas ici mais de l’autre côté de la Citadelle _ sorte de piton rocheux, coupant la grande baie de Lipari en deux _ au niveau du port de pêche.

Là, on nous informe qu’il n’y a pas d’hydroglisseur pour Stromboli et qu’il faudra attendre ou revenir après 11h. Toujours et encore ce fichu vent.

                Nous en profitons pour visiter rapidement la Citadelle, déjà explorée personnellement l’année dernière, l’église baroque aux magnifiques plafonds en trompe l’œil, le petit musée vulcanologique gratuit, dont les panneaux uniquement en italien n’aide pas à la compréhension. Heureusement, la connaissance de l’italien de Simone nous tirera d’affaire.

                Pierre, toujours adroit quand il est question d’argent, fort de notre carte de membre de LAVE obtient la gratuité de l’entrée du musée archéologique, remarquable par la richesse de ses collections et visité au pas de course. On y découvre que l’homme est présent sur l’île depuis presque 5000 ans.

                Daniel s’amuse à photographier les plus belles pièces, dans ce musée où il est interdit de photographier.

                Finalement, nous prenons un ferry pour Vulcano.

                A l’arrivée, nous trouvons un joli logement avec bougainvilliers. Daniel les adore, depuis son service en Algérie et les photographie à tout bout de champ.

En début d’après-midi, nous montons au sommet du Vulcano situé à 400 mètres d’altitude.

                Je connais déjà son énorme cratère évasé, comme soufflé par une énorme explosion, sur les flancs desquels se dégagent de nombreuses fumerolles très soufrées, déposant du souffre en quantité.

                Dans les fumerolles, je constate l’efficacité du masque à gaz que j’essaye pour la première fois.

                A mon « grand dam », Daniel casse les belles concrétions et colonnes de souffre entourant les sorties des gaz, pour ramasser des échantillons de souffre.

                Après passage devant les bains thermaux de boues à la forte odeur d’œuf pourri, dans lesquels se prélassent des curistes pachydermes, nous longeons la mer et une plage d’où sortent des fumerolles. Les flaques d’eaux de la plage, la mer, les bains de boues pétillent comme du champagne.

                Nous atteignons à la nuit tombée le sommet du Vulcanello, un volcan éteint. Dans l’obscurité, on peut à peine distinguer les carrières d’alun désaffectées, à l’intérieur du cratère.

                Le soir versant par erreur deux fois la quantité d’eau requise pour mes pâtes déshydratées, nous mangeons des pâtes bonnes quoique ayant pris l’aspect d‘une « soupe aux pâtes ».

 

7.   Mercredi 16 septembre

 

                Le vent a enfin cessé : calme plat. Notre hydroglisseur arrive dans le soleil levant, occasion d’une belle photo. Daniel n’a pu se résoudre à se séparer de toutes ses trouvailles et trésors et embarque donc chargé, comme un mulet. Tout le monde est un peu plus chargé, sauf Pierre.

                Après deux arrêts aux îles de Panarea et de Bariluzzo nous voyons enfin apparaître le cône parfait du Stromboli, fumant, crachant, depuis 2500 ans.

                Nous trouvons, pour nous tous, une chambre spartiate, chez l’habitant de la « Casa Antonio Russo ». Puis nous nous dirigeons à 13h30 vers le sommet.

                Un avis officiel récent, manuscrit, placardé sur un panneau informatif de type routier sur le volcan, nous informe qu’il est interdit de monter au sommet.

                Après un vieux chemin dallé, étayé, serpentant dans les cannisses, un sentier mal balisé pierreux et raide, s’offre à nous.

Heureusement, Pierre a eu une idée de génie, pour permettre le retour de nuit, en nous confiant des craies grasses industrielles jaunes et blanches, comme celles vendues dans les magasins de bricolage, pour baliser le chemin.

                Ce sentier caillouteux surplombe un instant le précipice de la Chiaria del Fuego, une grande pente d’éboulis, descendant à plus de 45 ° depuis les cratères directement jusqu'à la mer, sur laquelle rebondissent régulièrement les bombes volcaniques.

                Le fait de nous baisser constamment pour déposer nos marques, que nous appellerons «nos marques-à-nous », tout le long de la piste, nous ralentit un peu et nous n’arrivons qu’à 17h30 à la Cima.

                Vers 700 mètres d’altitude, je découvre des « bouses » de lave fraîches, à l’aspect de mâchefer brillant et métallique.

                Cette année, il y a beaucoup de fumerolles au sommet du Stromboli et les bouches sont souvent noyées dans un brouillard piquant, se rabattant de temps en temps sur nous.

                En attendant le coucher du soleil, nous nous amusons à fouiller le sol en quête d’un trésor : de jolies macles de cristaux d’augite, en forme de croix, utilisables en joaillerie.

                Les explosions irrégulières provenant de 4 bouches ont lieu en moyennes toutes les 10 minutes. Il faut être patient pour attendre la suivante. Souvent, à cause du brouillard, on ne voit que le sommet des gerbes incandescentes.

Cela fait le bonheur de tout le monde.

En ce qui me concerne, je suis un peu déçu, par rapport à l’année dernière, où l’on percevait mieux les trajectoires des bombes retombant sur des empilements d’autres bombes encore rouges.

Ces feux d’artifices me paraissent par moment artificiels. A d'autres moments, je ressens la redoutable puissance et le danger de cette force naturelle incontrôlée.

                Attirés par le feu d’artifice, il y a au moins une cinquante de spectateurs, dont une trentaine d’allemands, souvent en tenue d’été, bien que l’on grelotte à cette altitude !

                Tous les petits abris, construits au sommet du Stromboli, par les touristes, avec des blocs de lave posés en arc de cercles pour se protéger contre le vent, sont occupés !

                Immobile, dans le froid, je m’amuse de mes réflexions, me disant qu’il faut être fou pour aimer les volcans, avec la poussière qui abîme les objectifs, les lapillis, les gaz piquants et odorants, le danger, la montée raide des volcans, le froid, la tempête, le brouillard qui masque les éruptions etc...

                Simone, pourtant pas une aventurière, veut rester jusqu’au bout de la nuit, dans le froid, le vent, les gaz suffocants, pour admirer le spectacle...

L’authenticité et la profondeur de la passion volcanologique de Simone ne font, à cet instant, aucun doute.

Simone, rationnelle, prudente et pondérée, ne se trompant jamais, est la scientifique du groupe.

Comment une personne, comme Simone, peut-elle aimer les dangereux volcans et rester une jeune fille au « coefficient de pondération » élevé? Mystère.

J’avais toujours cru qu’un bon vulcanologue, obligatoirement sur le terrain, devait avoir entre-autre qualité un caractère un peu casse-cou comme Haroun Tazieff ou les Krafts.

                Vers 21h, nous redescendons dans la nuit, guidés par nos géniales « marque-à-nous », _ version moderne de la piste des Petits Poucets _ et rejoignons le village sans incident vers 1h. En chemin, nous récupérons au passage un couple de japonais en petite tenue et sans lampes frontales qui nous suivront jusqu’au bout. Cependant, nos lampes consomment beaucoup de piles et nous devons en changer régulièrement !

                Au niveau de la pizzeria de l'observatoire, nous rencontrons un Belge, qui prudemment est resté à distance pour observer le volcan. Il nous informe que depuis la grande explosion du 7 septembre où des bombes sont tombées sur les abris, les guides ont interdiction par arrêté préfectoral, de monter au sommet. Ce qui ne dissuade pas les touristes eux de continuer d’escalader le Stromboli.

Dans un petit guide sur les dangers du volcan, vendu chez un photographe de Stromboli, une photo montre une bombe transperçant sur un matelas pneumatique. Peut-être est-ce là, la raison de la présence d’un duvet percé et abandonné que j’avais vu dans un abri au sommet.

Près du sommet dans un abri, un couple de suisses, inconscient du danger, enveloppé dans leur duvet, allongé sur leurs matelas, nous avaient demandé de ne pas les réveiller lorsque nous redescendrions dans la nuit !

 

8.   Jeudi 17 septembre

 

                En général, le ballet des Aliscafi entre les îles est bien rodé (sauf en cas de tempête), et c’est par un Aliscafi ponctuel, celui de 9h45 que nous rejoignons Milazzo où nous déjeunons dans une pizzeria du port. Puis par le train, avec une halte à Messine, nous atteignons Catane vers 17h.

                A Catane, Simone et Sylvie recherche l’hôtel « Roma » situé à côté de la gare, malheureusement complet. Nous traversons la ville lourdement chargés, pour la pension « Bellini », située 41 via Landolina, près du Théâtre Bellini, l’opéra local, un des plus important monument historique de la ville. Elle se révélera confortable, du moins pour ceux qui auront un lit (Daniel dormira par terre).

                Nous dînons copieusement, bon marché, dans un restaurant, en face de notre pension, le « Kneipe » située au 60 via Landolina. Un bon plat d’escalope à l’huile d’olive et de pâtes aux vrais champignons accompagnés d’un petit rosé pétillant nous rassasient amplement. Une sauce aux vrais champignons change d’ailleurs tout dans un plat de pâtes. Pierre toujours difficile nous signifie qu’il n’aime pas le chocolat. Pierre n’aura donc pas le droit au désert au chocolat ... Parfois mes souvenirs gardent une fraîcheur de bombes volcaniques pour ce genre de petites anecdotes.

 

9.   Vendredi 18 septembre

 

                Nous quittons la pension Bellini de bon matin, repassant devant le magnifique théâtre du même nom et par un bâtiment néoclassique, de l’époque mussolinienne semble-t-il. Un monument métallique à la gloire de Pirandello, montre la tête du romancier, couverte d’un chapeau, sortant des pages d’un livre ouvert.

                J’ai juste le temps de photographier l’entraînement, pour les paris clandestins, d’un trotteur tirant un jockey assis sur son sulky, dans une grande avenue vide à cette heure matinale. Le scooter de l’entraîneur dès qu’il me voit oblique brutalement vers une voie latérale.

 

                Nous retentons l’ascension de l’Etna, espérant cette fois-ci la clémence du temps et de Vulcain.

                Quelle surprise au sommet, atteint à 13h, de découvrir sous un ciel bleu lumineux, le cratère sud-est en pleine activité.

                Enfin, l’éruption que j’attendais depuis des années.

Devant mes yeux fascinés et émerveillés, un extraordinaire et continuel feu d’artifice, composé de fortes projections stromboliennes de laves rouges (au moins 20 mètres de haut), qui la journée, paraissent noires.

L’éruption précédente n’est pas terminée, que la suivante déjà commence, ainsi de suite dans un enchaînement sans fin. Cela semble ne jamais vouloir s’arrêter.

Rien ne peut nous lasser de ce spectacle gratuit, qui durera une journée, bien plus longtemps que le feu d’artifice du 14 juillet.

La seule différence est la monotonie des couleurs : toujours rouge orangé.

En ensemençant le volcan avec un peu de sel de cuivre, de cadmium, de baryum, de strontium, de sodium ... on aurait pu obtenir des belles vertes, bleues, pourpres, jaunes ... du plus bel effet.

La prochaine fois il faudra que j’en reparle aux guides de l’Etna.

 

D’après les guides de l’Etna, l'éruption débutant par une explosion aurait commencée mardi vers 11 h.

 

Nous observons tout cela du même lieu de bivouac que lors de notre premier séjour.

Je suis quand même un peu frustré, solidaire de la discipline du groupe, d’être contraint d’observer tout cela à 1 km de distance, alors que je voudrais tant être à 50 mètres de l’éruption.

Je sais que tant que l’éruption sera régulière comme maintenant, il n’y aura pas de danger, si l’on reste toutefois attentif aux bombes dans le ciel. Le danger c’est quand l’éruption s’arrête soudainement (risque de bourrage de la cheminée puis de débourrage explosif) ou lorsque le cratère déverse soudainement sa lave dans notre direction.

Tout le monde est hypnotisé particulièrement Simone.

Le froid, le vent, tout est oublié.

Pourtant, le vent, toujours le vent !! Il s’écoule et s’immisce partout, comme l’eau d’une rivière se faufilant entre les cailloux ou les branches mortes de son lit.

Le soir il est impossible d’allumer une allumette ou un briquet. De plus l’alcool froid ne s’enflamme pas. Finalement, Daniel est obligé d’allumer le réchaud sous sa tente canadienne.

Je regrette à cet instant de ne pas avoir emporté le pare vent de mon réchaud de montagne.

La nuit le froid mordant, le vent et le spectacle qui dure jusqu’à 4 heures du matin, nous empêchent de dormir.

En fin d’après-midi, nous visitons rapidement le cratère nord-est. Nous observons des projections de cendres, de couleur blanc beige à grise, des cratères Voragine et Bocca Nova, souvent masqués par les panaches de vapeurs ou les écharpes de nuages défilant à grande vitesse et montant à notre rencontre.

 

10.    Samedi 19 septembre

 

                Le lendemain, la belle éruption de la veille s’est malheureusement arrêtée. Le temps reste beau. Mais il gèle toujours.

                Le vent a tourné et nous rabat de temps à autre les fumerolles et les poussières du volcan.

                La prochaine fois, j’apporterais un vrai duvet de montagne, d’autres sous-vêtements et un vrai matelas mousse (qui se respecte), de 2 cm minimum d’épaisseur.

                Le miroir ou les optiques de mes deux appareils photos sont légèrement sales, à cause de cette poussière fine et abrasive qui pénètre à l’intérieur des objectifs, malgré les scotchs de protection autour des bagues de réglages. La prochaine fois, il faudra se munir de boîtiers étanches.

                Les guides nous confirment que le cratère sud-est s’est égueulé et qu’une coulée de lave a descendu ses flancs direction sud-est.

Nous nous précipitons vers cette coulée. Nous franchissons les barrières de protections empêchant les touristes d’aller plus en avant (vers les cratères). Seuls les vulcanologues, les guides et les membres de LAVE et d’autres associations vulcanologiques, ou l’agence Aventure et Volcan, connus depuis des décennies ici, sont autorisés à le faire.

Sur notre chemin, une ancienne bouche inactive, occupée par un névé s’est transformée en une sorte de gouffre glacé.

Une longue coulée de lave de 500 mètres descend d’abord d’une faille du bord du cratère sur une pente très raide avant de se séparer en trois langues encore très chaudes sur une zone plus plate, seule la langue du milieu semblant avancer à une vitesse de quelques mètres par heure.

La lave peu fluide, avance par mini-éboulements continuels, produisant un bruit de vaisselle cassée ou de brique pilée. L’air chaud vibre au-dessus de la coulée. Les blocs sont marron foncé en surface, mais dès qu’un bloc du front de coulée, plus gros que les autres, tombe, le rougeoiement des blocs sous-jacents apparaît.

Simone passe son temps à explorer tout le tour des coulées.

Par ce beau soleil, la chaleur et le rayonnement près de la coulée sont intenses, on pourrait se mettre en maillot de bain et envisager de bronzer sur une serviette posée sur le sol cendreux. Il ne manquerait plus qu’une étendue d’eau à proximité pour compléter le tableau.

Si la coulée n’avançait pas, on aurait pu planter nos tentes ici.

On déjeune à côté de la coulée. Les papiers déposés sur les blocs se consument instantanément, sans flamme, sur la coulée. Et nous trouvons ainsi un moyen rapide de nous débarrasser de nos déchets.

Mais tout beau et bon moment a une fin et nous devons déjà repartir après.

Un dernier verre de « Fuoco del Etna » offert par Pierre, le soir autour de notre « feu de camp ». Déjà, la nostalgie du retour, nous gagne.

 

 

11.    Dimanche 20 septembre

 

Nous replions nos tentes de bonne heure, car notre avion décolle à 15h30 de Catane.

Nous vidons de nouveau notre Cubitainer et nous descendons à pied au téléphérique, ce qui est plus facile dans ce sens et sans Cubitainer.

Dans un café de Sapienza tenu par une Française, nous nous offrons un copieux petit déjeuner, en regardant une chaîne locale câblée. Elle diffuse des images de la course automobile « le Rallye de l’Etna ». La première voiture ouvrant le Rallye est conduite par un illusionniste aux yeux bandés.

Des centaines de cars sont garés sur le grand parking du village, une foule dense est déjà rassemblée sur le trajet des coureurs. L’ambiance est bon enfant. La route est neutralisée.

Mais Bon Dieu, ce Rallye ... c’est ici ! ! réalisons-nous tous soudainement. Comment allons alors nous faire nous nous rendre à Catane, d’autant qu’on vient de nous apprendre qu’en raison de la course, le bus attendu a été supprimé. Il est déjà 11h30 et Catane est à 30 km.

Un début de panique gagne le « club des cinq ». Heureusement, un automobiliste se propose d’être notre taxi, moyennant une compensation (200 000 lires soit 180 FF par personne).

Nous nous engouffrons tous cinq avec le chauffeur et avec tous nos nombreux sacs dans la voiture. Une joue est même « écrasée » contre le plafond ou le pare-brise. Plus aucune place disponible pour un seul membre. Mais hommes et bagages, tout est casé ! Exploit digne du Guiness book.

Dire « on est serré » serait un euphémisme, on devrait déclarer « Tout est coincé à mort » ! Daniel, pendant la descente, s’amuse à photographier nos grimaces et contorsions.

La pensée du moment : « surtout ne pas rencontrer un policier ! »

Heureusement, à Nicolosi, notre taxi fait appel à son gendre et nous pouvons nous répartir entre deux voitures. Un peu d’espace et d’air nous fait du bien.

Nos deux taxis improvisés, après avoir récupéré nos derniers bagages laissés à la pension Bellini, nous conduisent à l’arrêt du bus de l’aéroport, l’Alibus, qui lui-même nous conduit à temps à l’embarquement.

Dans le hall de l’aéroport, nous avons même le temps d’écrire nos dernières cartes et de mettre de l’ordre dans nos sacs.

Hormis l’épisode rocambolesques du taxi et les aléas climatiques, tout notre voyage se sera bien déroulé.

 

Tous, nous garderons un excellent souvenir du voyage et de la bonne ambiance qui y régnait.

 

En janvier dernier, nous avons organisé une projection de toutes nos diapos du voyage chez Pierre.

 

Maintenant, depuis presque un an, nous sommes restés amis et continuons de randonner ensemble.



[1] « La Montagne Pelée se réveille, comment se prépare une éruption cataclysmique », S. Chrétien, E. Brousse, Ed. Boubée, 1988.

[2] Les taxis en Sicile n’ont de compteur. On doit donc discuter pour les longues courses.

[3]  Toute l’eau à Sapienza est livrée par camion citerne.

[4] L’année dernière, seul le cratère de la Voragine était considéré comme dangereux, car potentiellement explosif.

[5] à cet endroit, selon la légende, le philosophe Ependocle aurait construit une tour d’observation

[6] Arrêtes aiguës, alternant avec de profondes crevasses.