Sur la Route de Saint-Jacques (juillet-août 1999)

 

          Mes neveux, Matthias et Quentin, âgés, à l'époque, de 9 et 11 ans, et l’auteur, avons effectué, en août 1999, une petite randonnée de 100 km, sur la Route de Saint-Jacques, entre la ville du Puy-en-Velay et la petite bourgade d'Aumont-Aubrac.

 

          Sachant que cette randonnée serait exigeante, ils s'y sont préparés, lors de deux randonnées, l'une d'une journée le long de la vallée de l’Epte, dans le Vexin, sur le GR125, l'autre de deux jours, avec tente, en forêt au parc régional naturel de Bretonne (à côté de Rouen).

Je leur ai aussi "confectionné" un sac à dos léger, adapté à leur âge.

          De mon côté, je me suis "surchargé", d'un … téléphone portable (au cas où), et d'un mini-disque enregistreur, en plus de l'appareil photo, pour conserver le souvenir de possibles événements marquants ou des chants, durant le pèlerinage.

 

          Ce samedi 30/7, nous sommes fin prêt. Mes deux petits neveux sont en possession de leur tout premier sac à dos, flambant neuf.

Le train Corail nous emmène de la Gare de Lyon de Paris, à la gare du Puy.

Avant l’arrivée au Puy, le train longe une jolie vallée en V, où coule une jolie rivière torrentueuse, la Loire, proche de sa source.

Un couple dans le compartiment passe son temps à fabriquer des scoubidous.

 

Le soir, nous dormons au gîte d’étape la Ferme de Bel-air, situé sur une colline, et où, de notre chambre, nous avons une vue panoramique sur cette ville historique et ses deux pitons volcaniques _ deux necks, le rocher Saint-Michel portant l’église sanctuaire de Saint-Michel-d’Aiguilhe, et le rocher Corneille, supportant une énorme statue en fonte de la Sainte Vierge, peinte en rouge.

 

          Le lendemain dimanche 1er août, nous nous levons de bon  heure, afin d'être prêt à partir avec les groupes de pèlerins.  La ville que nous traversons est belle, pleine de rues tortueuses, en pente.

 

Nous parvenons, après une longue montée, à la magnifique cathédrale romane Notre-Dame du Puy, où se trouvent deux vierges noires et une statue en bois de Saint-Jacques. Puis nous nous rendons à la sacristie.

Nous devons y obtenir notre "créantiale", le passeport du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle. Sur ce "passeport", seront apposés un coup de tampon, preuve de notre passage aux étapes marquantes du chemin de Saint-Jacques.

 

Mme Jeannine Warcollier, responsable ecclésiastique et membre de la Société des Amis de Saint-Jacques, nous délivre gratuitement, ce document symbolique, signe, maintenant, de notre appartenance au peuple des pèlerins de Saint-Jacques. C’est un peu notre lettre de créance, auprès des prêtres, nous ouvrant leur presbytère ou leur salle paroissiale. En fait, ces derniers nous les ouvrent, même sans cette recommandation.

 

          Sur le parvis, couronnant un impressionnant escalier, assez raide, d'une centaine de marches, dominant lui même une rue en pente pavée de galet, nous étions déjà nombreux (peut-être déjà plus d’une centaine).

Cette année 1999, est une année sainte, dite « jubilaire », comme tous les 6, 5 et 11 ans, selon certains cycles solaires, chaque fois que la fête de Saint Jacques le Majeur (le 25 juillet) tombe un dimanche. C’est arrivé en 1965, 1971, 1976, 1982, 1993 et 1999.

Selon la légende, Saint-Jacques aurait été frère de Saint-Jean l’évangéliste, puis apôtre en Espagne. Il aurait été enterré à Saint-Jaques de Compostelle.

Le 25 juillet serait la date de la redécouverte de la tombe du saint apôtre, par un ermite, à Saint-Jaques de Compostelle (Santiago de Compostella), en Espagne, il y a plus de mille ans.

 

          Nous devions partir vers 9h, finalement nous sommes partis à 10h.

Comme dans une course pédestre, nous sommes partis d'abord groupés, traversant des ruelles étroites, continuellement bordées de monuments historiques.

 

Il y a déjà ceux qui se détachent ou caracolent en tête et ceux progressivement distancés, se "perdant dans les profondeurs du classement". 

En ce mois de juillet, à 10h, il fait déjà très chaud.

Les nom de rues expriment la poésie des lieux : ferme Bel-air, rue des Sources, Place Farigole, … La ferme Bel-air est une maison des jeunes et des loisirs, et en même temps une vraie ferme avec des oies, des chèvres, des poneys et un lama (je crois).

 

Dans les rues, beaucoup de randonneurs !

Emmanuel est élève ingénieur à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne, tandis que sa fiancé Anne-Laure, natif comme lui du Puy, est étudiante en philosophie à la Sorbonne.

Des allemands et un écossais nous accompagnent. L'écossais se dit "pilgrim sherpa", peut-être à cause de sa lourde charge. Un allemand marche depuis le lac de Constance. Cela fait une sacrée marche déjà. Il continuera, pour arriver à Saint-Jacques de Compostelle, 1600 km plus loin et 2 mois plus tard. Il fait des étapes moyennes de 40 km par jour.

Sortis de la ville, nous sommes maintenant, selon un panneau, sur une ancienne voie romaine (la « via Potensis »), couverte d'un antique pavement de galets.

Le flot de marcheurs devient progressivement clairsemé.

Nous allons de hameaux champêtres, en villages traditionnels (Liac 1,9 km, Lic 0,9 km …). Nous atteignons Rouche à 1035 m d'altitude.

Ce G.R.65, tracé par la F.F.R.P. _ Fédération Française de Randonnée Pédestre _, est, en fait, la reconstitution du sentier de Saint-Jacques disparu. Son tracé actuel passe continuellement, par de forts jolis villages.

 

Je suis ému par la présence de nombreux bleuets, au bord du chemin et dans les champs, preuve du non emploi ici d'herbicides si destructeurs pour ces fleurs. Les bleuets, avec leurs rosaces complexes de sépales et pétales bleues et rouges, est une merveille de la Nature, à mes yeux. Ces fleurs, si fragiles (bien plus que la centaurée des Alpes), sont maintenant très rares dans nos campagnes. C'est donc un émerveillement de les rencontrer, ici, en si grand nombre.

 

A midi, notre premier pique-nique champêtre, sous les hautes frondaisons d'arbres majestueux. Notre dessert sera agrémenté de merises (cerises sauvages) provenant d'un véritable verger de merisiers. Souvent, dans les prés, nous découvrons de grosses sauterelles vertes, portant un immense rostre, sur la partie terminale de leur abdomen.

A 14h, nous atteignons une chapelle, dédiée à Saint-Roch, ouverte aux pèlerins, remplie de candélabres scintillants.

Matthias perd son bob couvre-chef, … heureusement rapporté par un autre marcheur.

Repos. Matthias, le plus jeune, le dos en sueur, a le plaisir d'enlever son sac, le faisant souffrir. Un groupe d'enfant est accompagné par une camionnette de location, portant sur son toit de nombreux jerrycans d'eau.

 

Nous croisons la route d'un berger, accompagné par grand troupeau de moutons totalement noirs. Les enfants courent et font s'enfuir les moutons affolés.

 

Nous lions facilement avec une famille, composée des deux parents Benoît, Bénédicte et de leur quatre enfants, Antoine, Alfred, Camille, Quitterie, le plus grand étant Antoine 12 ans, et la plus petite, Quetterie  (un nom d’une sainte landaise), 7 ans. Cette famille nous accompagnera, tout le long de notre randonnée. La maman est blonde comme une suédoise. Ils sont accompagnés de leur setter irlandais.

Le père, un colosse d'un mètre quatre-vingt, portant un sac de 20 kg, me dit d'un air mystérieux "je fabrique des billets de banque".

En réalité, j’apprendrais qu’il s'occupe de l'approvisionnement logistique, d’une fabrique de billets de la Banque de France, située dans la région.

Le long du sentier, poussent des grandes épilobes en fleur (aux fleurs mauves), des framboises, des orties (nombreux sont d’ailleurs les pèlerins en short) et des chardons aux grandes boules vertes presque blanches, rondes comme des boules de Noël.

Nous passons à côté d'un village appelé "Bains". Mais ce n'est pas une ville d'eau. L’eau serait pourtant, la bien venue, avec cette forte chaleur.

Le soir, dans une forêt de sapin, à côté d'une tourbière, le lac de l’Oeuf, nous avons la surprise de découvrir un bal musette où dansent des personnes âgées. Un danseur âgé me parle du "Bal lurette". D'année en année, d’après un danseur, ce bal traditionnel se maintient (au profit d'un organisme de donneurs de sang (?)). Mais pour combien de temps ? … les personnes âgées se faisant de plus en plus rare ici.

Timothée, Marc, Thérèse esquissent un pas de danse, mais c'est la fin de la journée, et il fait déjà frais à mille mètre d’altitude et on ne reste pas. Dévorés, on s’asperge d’anti-moustique.

Nous arrivons vers 17h, dans un très beau village, Saint-Privas d’Allier, possédant les restes d’un petit château et une église plantés sur un promontoire rocheux. Halte au refuge « La Cabourne », très propre, tenu par 2 jeunes, Christine et Michaël, qui tamponneront nos "créantiales". Dans ce gîte ou refuge, la confiance règne, les chambres restant ouvertes la nuit.

Une publicité, annonce que, pour ceux ne souhaitant pas porter ses bagages durant le pèlerinage vers Saint-Jacques, une société [1] se charge de les convoyer, l'été, de gîte en gîte (pour, je crois, 250 F/ semaine).

En général, sur le sentier, les gîtes nombreux, ne sont pas chers _ en général, 45 F le lit (dans un dortoir) et 65 F le repas.  Le succès de ce sentier a reconverti de nombreux établissements hôteliers en haltes pour pèlerins ou a contribué à leur multiplication.

Mais en raison du succès du pèlerinage, mieux vaut, toutefois, réserver avant. L'obligation, pour nous, de camper le lendemain, sera justement du au manque de place à Saugues, notre prochaine étape.

         

Lundi 2 août 1999 :

 

          Avec la journée d’hier, entouré de nombreux pèlerins du monde entier, avec qui nous discutons, nous nous sentons maintenant déjà de vrais pèlerins.

          J’avais choisi cette randonnées, non pour des motifs religieux. Je savais simplement que l’ambiance serait bonne pour les enfants. De plus, je souhaitais donner un but un peu plus spirituel à notre marche et faire que celle-ci soit l’occasion de rencontres enrichissantes avec des personnes de tout horizon (j'ai rencontré des personnes aux noms aussi divers que Groetjes, John, Washinta … ).

          Cette marche ne comporte pas trop de dénivelés importants comme dans les Alpes, une autre raison de ce choix, pour les enfants.

          Les villages sont joliment fleuris. Une maison est même entourée d'une centaine d’œillets.

Nous grimpons le rocher de Rochegude, pour atteindre sa chapelle sommitale dédiée à Saint-Jacques. Dans, cette très ancienne et petite chapelle, dominant la trouée de l’Allier, à la simplicité biblique, comme l’étaient les chapelles cathares, les pèlerins en prière sont nombreux. Pour y pénétrer, on doit faire la queue.

          Un quart d'heure de repos nous permet de retrouver en nous de nouvelles forces.

          Après la montée, succède une descente "engagée" dans la forêt, jusqu'à Monistrol d'Allier situé au fond de la vallée, où nous franchirons cette rivière, par un pont métallique.

J'admire intérieurement, les pèlerins tirant ou poussant, chaque année, sur ce chemin caillouteux, des "joëlettes" _ brancards à 4 bras, munis d'un unique roue centrale en dessous _ permettant de transporter les pèlerins paralysés.

Le GR 65 sert aussi aux VTTistes mais j'ai du mal à imaginer qu'ils puissent passer sur cette portion raide, étroite et caillouteuse.

         

          Pour se donner du courage, dans la raide montée, exposée au soleil, sur le versant opposé, le père des quatre enfants, dont j'ai parlé, nous abreuve de quelques sentences humoristiques : "ce qui est fait, n'est plus à faire", "Une montée, n'est qu'une descente à l'envers". « Si on s’arrête, c’est pas ça qui raccourcira le chemin ». La sueur nous pique les yeux. ". « Facile les enfants ?! » « Bof … » est leur "cri du cœur" désabusé.

Sur cette partie goudronnée, la plante des pieds des enfants commence à leur faire mal (c'est le métier qui rentre). Les pieds travaillent. Le soir, j'examinerai la plante de leur pied, pour y déceler d'éventuelles ampoules. Heureusement, je possède tout ce qui faut pour les soigner, dont des pansements spéciaux anti-ampoules Compeed, très efficaces.

Nous passons au pied de quelques magnifiques ensemble d'orgues basaltiques d'une hauteur impressionnante (plus de 20 m de haut), reposant sur un socle de granite orthosique, puis devant la petite chapelle, troglodyte et néo-classique, de la Madeleine.

          Enfin, nous  rejoignons un village, Escluzel, nid d'aigle dominant la vallée. Un groupe se repose déjà. Nous y retrouvons notre écossais. Une agréable brise et une fontaine viennent agrémenter notre halte.

          Le franchissement de la vallée de l'Allier, aujourd'hui, sera le seul grand dénivelé de notre randonnée (600  m de dénivelé). Ensuite les jours suivants, le chemin sera assez reposant et plat.

          Le temps se couvre et l'air se refroidit. Le vent se lève.

          Les enfants pourtant fatigués, sont d'une énergie débordante. Parfois, ils me rendent fou.

Juste avant notre arrivée à notre prochaine étape du soir, la petite ville médiévale de Saugues, nous traversons une forêt de sculptures modernes en bois, dont une énorme loup, à la forme de dragon, représentant le loup du Gévaudan. Le soir, nous visitons cette jolie cité.

          Nous y découvrons la confrérie des pénitents de Saugues, dont l’église baroque est exceptionnelle ouverte (elle n'est ouverte que très rarement).

Un membre de la confrérie nous explique, que les pénitents, le jour de Pâques, marchant pieds nus, portent à deux une lourde croix sur un kilomètre (je la soulèverais : elle me paraît effectivement très lourde. Elle pèserait plus de 40 kg). Parfois les pénitents se coupent et il n'y a pas de pharmacie sur le chemin menant au calvaire.

          Dans l’église, une colonne en bois représente la colonne où le Christ fut flagellé, des pics portants des symboles présentent chaque étape de la « passion » du christ. Au milieu du cœur, un beau retable 17° siècle baroque.

          Le doyen de le confrérie a 80 ans. Les pénitents doivent observer une vie pieuse, sans écarts.

          A côté de la chapelle, se trouve la "Tour des Anglais", sorte de donjon du 14°, dans laquelle s'ouvrira bientôt un musée consacré au loup du Gévaudan.

          Dans les boutiques de souvenirs, sont vendus des boufadoux, des bâtons percés sur toute leur longueur, destinés à ranimer le feu, en soufflant dedans.

          Ce soir, là, inconséquemment, j'avais réservé une place au camping municipal afin que les enfants connaissent les joies du Camping. Ils vont être servi. Je leur avais prévu une tente 2 place, tandis que de mon côté, je dormirais dans un sursac de duvet.

          Un violent orage éclate dans la nuit.  L'eau traverse mon sursac et mon duvet est mouillé. Je suis obligé de me réfugier sous l'auvent d'une caravane, heureusement inoccupée. La tente des enfants a elle résisté.

 

Mardi 3 août

 

Le matin, on constate les dégâts : par endroit, le camping a été envahi par 80 cm d'eau, obligeant les pompiers à intervenir avec leur motopompe. Heureusement, nous ne sommes pas dans la partie du camping, inondée par la crue de la petite rivière canalisée, le traversant en son milieu.

Heureusement le soleil est revenu rapidement, et les vêtements des enfants et la tente mouillés, seront très rapidement secs (Quentin et Matthias avaient poussés, trop fortement, la nuit, leur sac couvert de vêtements contre le double toit de la tente. De ce fait, tout ce qui a fait se toucher les toits intérieur et extérieur de la tente, s’est trouvé trempé).

A 11h, nous reprenons notre pérégrination.  Le sol granitique est fortement siliceux. On trouve surtout des genêts et les « clochettes » des digitales, parfois des grandes gentianes jaunes, des myrtilles, et beaucoup de framboises délicieuses. Nous faisons souvent des haltes pour ces dernières.

Depuis la percée de l’Allier, nous avons quitté le Velay, et ses sages champs de céréales et de lentilles, ses terrains et puys volcaniques, pour la Margeride granitique.

On retrouve notre famille au setter. Ce vrai chien de chasse part constamment en maraude. Il est heureux.

Les randonneurs (les enfants) deviennent bons. Les petites tensions d'hier, entre eux, sont oubliées. L'ambiance est "bon enfant".

Au lieu-dit le Fayard, nous traversons une grande forêt de charmes. C’est l’occasion d’une nouvelle leçon naturaliste. Dicton : « Le charme d’Adam est d’être à poil ». Cette phrase mnémotechnique rappelant, que le pourtour des feuilles de charme est dentée, tandis que celles du hêtre, sont tapissées de poils, sur le dessous et leur pourtour.

          Au village du Falzet, nous passons à côté d'une étrange tour isolée octogonale, légèrement penchée, construite sur un énorme rocher rond et visiblement très ancienne. Elle aurait appartenu à un château, du 12° siècle, maintenant disparu.

Partout dans les prés, des boules de foin enrubannés de bande plastique. La technique de l'enrubannage provoque la fermentation du foin. Il paraît que les vaches adorent cela.

          Après un longue route macadamisée, toute droite, de plusieurs km, nous arrivons enfin à la ferme du Sauvage, une immense ferme templière, en granite, vers 17H30. Cette route semblait interminable. Le nom du Sauvage vient de la déformation progressive, de « Sauveur », la ferme ayant été un refuge et un havre, pour les pèlerins.

          Avant la ferme (située à 1292 m), nous avons rencontré une kinésithérapeute, ayant fermé son cabinet lyonnais pour 2 mois et comptant faire l’intégralité du chemin du Puy à Saint-Jacques de Compostelle. Elle fait des étapes de 30 km par jour, avec un sac de 12 kg, alors que Quentin, Matthias et l'auteur, faisons seulement des étapes de 20 km, … c’est le maximum que l'on peut faire avec des enfants de 9 et 11 ans.

Arrivé, on se sent léger sans sac. Cette dernière ligne droite de plusieurs km nous a paru interminable. On commence à sentir les courbatures.

          Le gîte de la ferme étant complet, nous irons alors dormir parmi les balles de foins dans la grange, au grand amusement des enfants. La charpente de celle-ci est exceptionnelle par sa taille, comportant plusieurs centaines de poutres, disposées en carène de bateau renversé. Comme pour beaucoup de maisons ou granges en Margeride, son toit est couvert de lauzes. La grande porte de la grange est tenue par des piliers de bois.

          Cette immense ferme a été sauvée in-extremis. Deux familles, portant chacune le nom de De Chirac de Vaucours, se disputaient sa succession. Laissée à l’abandon, le Conseil Général de la Haute-Loire, l’a louée à un randonneur. Ce dernier, tombé amoureux de la bâtisse, l’a sauvé et restauré.

          Actuellement, trois employés s’occupent des 850 hectares de cultures et de forêts, d’un troupeau de vaches tarantaises, aubrac, abondances, de brebis, de la vente des produits de la ferme _ jambon cru, lait, œufs, salades … _ et du gîte.

          Le soir, dînant sur la margelle de rampe qui conduit à la grange, je contemple un oiseau avec un poitrail et une queue jaune, que je n’ai jamais vu. J’observe aussi de beaux développements orageux, ces fameux cumulostratus en forme d’enclume.

          Dans la paille de la grange, avant l’extinction des feux, les enfants aiment à dire « C’est trop bon », en raison de l’agréable l’odeur du foin et de l’herbe fraîchement coupés, et du confort de la paille (et de sa chaleur).

 

Le mercredi 4 août :

 

          Me levant de bon heure à 5h au chant du coq (la ferme est une vraie ferme avec une vraie basse-cour, des poules, des canards de barbaries, des tourterelles … et un chien de garde), je rencontre le berger de la ferme, entouré par ses moutons blancs, accompagné de sa chienne épagneul « Girolle ».

 

          Ce matin, le temps est gris et venteux. L’orage a éclaté au lieu-dit, le Sauzet, proche.

          Les enfants, Antoine, Quentin et Matthias, reprennent leur conversation de la veille, sur les jeux Tomb Rider et Red Alert. La maman n’aime pas trop les discussions de son fils Antoine, sur les jeux vidéos. « L’achat de l’ordinateur a été la pire idée de papa ».

          Le papa d’Antoine a perdu ses fines lunettes en titane, dans le foin. C’est comme chercher une aiguille dans une boite de foin, pire qu’une fève dans un gâteau. Malgré les prières à Saint-Antoine de Padoue et une heure de recherche, nous n'arrivons à les retrouver.

          Après une courte pluie, il fait plus frais.

          Depuis 1991, une réserve de bisons d’Europe, implantée à Sainte-Eulalie, jouxte le Domaine du Sauvage, mais nous n’avons pas le temps de nous y arrêter.

          Le papa sans ses lunettes, s’imagine être comme Paul sur le Chemin de Damas. Mais, contrairement à Paul, il est bien équipé. Dans son sac : chevillères, jambières, Compeed.

          Ces parents ont un projet fou, vouloir rallier tous les deux (sans les enfants), à pied, Istanbul (Constantinople) à Jérusalem, par la Syrie. Projet ambitieux, mais risqué.

          Nous traversons des forêts de sapins, des landes et des prairies remplies de vaches aubrac. Les myrtilles pullulent. Je regrette de ne pas avoir de riflette, de rifleuse, de brimbelle (appellation vosgienne), bref de râteau à myrtille, pour les cueillir.

La Margeride, par la préservation de sa faune, de sa flore et de son habitat (nombreux sont les maisons typiques avec leur portail en granite), n’est pourtant toujours pas encore un parc régional naturel. Le lobby des chasseurs, puissant ici, s’y oppose, ayant peur de perdre leur droit de chasser. Le dossier n’a toujours pas avancé depuis dix ans. Les pro-parcs éditent une revue. Les chasseurs prétendent que la Margeride, avec le Parc, deviendra, pour ses habitants, une réserve d’indiens. Ils avancent aussi l'argument que la région a surtout besoin d’usines. Dommage.

 

Dans la cour d’un élu municipal d’un village, est planté une sorte de mas de cocagne, portant la phrase « Honneur à notre élu, Gaston Gase, 1995 ». Je retrouve dans cette région, à plusieurs reprise, cette trace d’une tradition révolutionnaire, ayant survécu dans certains régions méridionales (comme l’Aveyron …).

Tout le long du sentier, on trouve de très anciens calvaires, des chapelles (ouvertes), parfois des chasses, comme celle d’une Sainte inconnue Saint-Benilde …

          Nous croisons sans cesse, des essaims de fourmis volantes. Des pensées sauvages bordent notre chemin, ce dernier utilisé comme piste de ski de fond, l’hiver, et aussi  de sentier de VTT l’été.

Des petits criquets s’enfuient, à notre approche, déployant leurs élytres, en de beaux éventails bleutés.

          Nous quittons la Haute-Loire, pour la Lozère.

          Le refuge de Saint-Roch, un ancien hospice (hospitalet) pour les pèlerins, est fermé. Le 16 août, s’y déroulera un pèlerinage annuel.

          Décidément, le téléphone GSM ne passe pas. Combien de zones sur ce sentier, ne sont pas encore couvertes par le téléphone portable. Et pourtant, il y a du monde sur ce sentier.

          Des pèlerins poussent le cri de ralliements des jacquiers « Ultréïa ».

          A Saint-Alban-sur-Limagnole, le dortoir de l’Hôtel du Centre nous accueille.

          Sœur Monique, de la congrégation Saint-Jean de Rimon (à Saumur-en-Brionnais), nous ayant suivi depuis le Puy, est rappelée par sa maison mère. Elle est obligée de nous quitter.

Sa gaîté, son entrain nous manqueront.

          Dans ce village, souvent le rebord des fenêtres est en grès rouge veiné, comme le marbre, tandis que le reste des maisons est bâti en granite.

          Dans le dortoir, le papa nous ressort ses lapalissades : « il dort en dormant », « la glace est glacée »…  La veilleuse éteinte, tout le monde ronfle.

 

Jeudi 5 août :

 

          Au lever, toujours le régime d’orage instable.

          Cette marche est une véritable ascèse pour les enfants.

Des hollandais, avec nous, viennent de Fécamp et vont jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port.

          Le papa fait tout pour maintenir haut le moral, racontant des histoires à tiroir, faisant chanter les enfants, portant leur sac, portant Quitry.

Le papa épuise tous le répertoire des chants scouts : « Celui qui est derrière, doit rattraper celui qui est devant ». « Dans la troupe, il n’y a pas des jambes de bois, il y a des nouilles mais cela ne se voit pas. La meilleure façon de marcher, c’est encore de mettre un pied devant l’autre et de recommencer. Nous en avons, vous en avez, ils en ont plein le dos, plein le sac, le fond des godillots, des pelles des pioches, des gamelles et des bidons, des carottes dans le ventre, et des navets dans le mollet ». Par ses chants, le papa trahit son ancienne appartenance aux scouts.

Tout le monde a son bâton de marche. D’autres pèlerins ont le bâton de jacquier (le bourdon), surmonté de la coquille Saint-Jacques.

Le papa porte régulièrement Quitterie, quand elle n'arrive plus à marcher. Antoine me dit que « mon papa est très costaux. Lors d’un déménagement, Il a déjà porté, tout seul, un frigo avec toutes ses victuailles ».

          Sur la route, un prêtre de la congrégation de l’Arche ( ?), nous ayant accompagné tout le long du sentier, organise sur l’herbe une messe surprise. L’hôtel est un tronc de bois, sur lequel est posé une nappe, deux bougies, aux flammes tremblotant dans la brise, et deux bouquets de pensées alpines dans deux verres.

          A Aumont-Aubrac, notre étape finale, nous nous arrêtons pas et continuons, accompagnant la famille amie, pour 10 km de plus. Nous explorons ainsi le commencement de cette région désolée ou désertique, sans arbre, l’Aubrac, où les ravitaillements sont rares.

          Matthias en a vraiment assez (comme Quitterie le jour précédent) et nous rentrons à Aumont-Aubrac, grâce à un minibus, passant par là et servant à l’assistance de certains marcheurs.

 

          La petite ville d’Aumont-Aubrac comporte aussi ses richesses historiques.

          Sur la place de la bourgade, une banderole « honneur à notre conseillé général ».

          La salle paroissiale nous accueille. Il a des déjà des tendinites parmi les marcheurs et un marcheur âgé est obligé de renoncer à sa marche. Un violent orage éclate vers 16h.

          Profitant de la présence d’une estrade pouvant servir de scène de théâtre, les enfants montent spontanément, un spectacle.

          Un panier tourne dans l'assemblée, recueillant des offrandes pour le curé, nous ayant ouvert les portes de sa salle paroissiale.

          Le lendemain, nous nous retrouvons seul, un pincement au cœur, la famille d’Antoine continuant le sentier jusqu’à Conque, 50 km plus loin, alors que nous devons rentrer. Dommage de quitter, au bout de seulement cinq jours, cette famille honnête qui nous a accompagné tout le long du trajet.

Je pense aussi à la pauvre Quitterie, 7 ans, très fatiguée, qui va continuer encore à marcher 50 km de plus. Nous devons déjà rentrer, pour raisons familiales, et aussi parce que les enfants sont fatigués. Il ne serait pas prudent et raisonnable de continuer. Mes neveux sont trop lourds, pour que je puisse les porter sur les épaules, comme le fait le papa de Quitterie.

Nous errons dans la ville, comme des âmes en peine. Une bonne tartiflette, bien « bronzée » (c'est à dire, ayant bien attachée au poêlon) _ la tartiflette  étant une purée de pomme de terre et de fromage, rehaussée d’un soupçon d’ail _, nous  remonte, un instant, le moral.

 

Et voici déjà, en fin d'après-midi, le train pour Paris, arrivant en gare.

Ces cinq jours ont défilé, comme un train à grande vitesse, rapidement, trop rapidement.

Peut-être, reprendrons nous un jour avec cette famille amie, la suite de ce pèlerinage.

 

Benjamin LISAN - Paris - août 2001

 

Informations et bibliographie complémentaires sur le pèlerinage

 

1.     Trans-bagage, tél.: 04.66.65.27.75, mobile: 06.80.06.32.19, fax; 06.80.20.93.44, demander Hygonnet Jean-Philippe, 18 allée des soupirs, 48000 MENDE.

2.     Spécial Saint-Jacques de Compostelle, Le Guide Pratique du pèlerin randonneur, Hors série de "la MARCHE" magazine, 122, avenue des Champs-Elysées, 75008 PARIS tél.: 01.42.89.09.19, Note : ce guide, comme le suivant m'ont aidé à préparer, de cette randonnée.

3.     Sentier de Saint-Jacques de Compostelle, Le chemin du Puy, Le Puy / Aubrac / Conque / Figeac, GR65, Ref. 651, Fédération Française de Randonnée Pédestre.