Aventures arctiques

120 km à pied, seul, au pays des inuits, août 1998

 

 

A mon banquier, pour son infinie compréhension.

LA PREPARATION

 

                Une belle aventurière venue de Nouvelle Zélande a été l’inspiratrice de cette randonnée.

Notre quête était celle des loups blancs arctiques, présents sur l’île canadienne de Bathurst, proche du pôle Nord magnétique.

L’idée des loups, surtout, m’a enthousiasmé.

J'avais encore en tête, l'image d'un héros d'un film de Disney, courant au milieu d’une meute de loups, dans grande plaine scintillante, couverte de cotons arctiques, illuminés par le soleil de minuit.

D'après cette amie, pour un minimum de six personnes, avec 12000 F par individu, une agence de voyage lyonnaise, nous aurions été déposés, par avion à hélice, sur l’île, pour 15 jours.

Plus tard, cette aventurière a disparu de ma vie, mais l’idée était demeurée longtemps enfouie dans mon cœur, comme l'image de cette aventurière.

 

                En janvier 98, à l’Institut Océanographique, Nadine et Jean-Claude Forestier, présentent un très beau diaporama, sur leurs séjours sur la terre de Baffin et sur l’île de Bathurst, une île glaciale, désertique et caillouteuse.

M'apercevant qu'ils n'ont rencontré aucun loup sur l'île de Bathurst, je décide de choisir l'île de Baffin pour réaliser ma quête de ces loups arctiques. J'espère aussi y rencontrer des renards arctiques, des bœufs musqués, des caribous, les oies, des ours blancs et autres animaux ...

 

N'ayant que 15 jours de vacances en août, bien que cela soit trop court pour des observations animalières dans l’Arctique, je décide malgré tout de tenter l'aventure et de maintenir mon projet.

Je laisse une annonce lors de cette projection diapo, pour trouver des compagnons de voyage. Une seule personne, une jeune infirmière, me répond. Son souhait étant de naviguer en kayak de mer dans l’Arctique, je me lance alors dans un entraînement au kayak.

                Pendant deux mois, je tente de joindre les numéros de téléphone des guides inuits fournis par l'ambassade du Canada, tout en m'équipant. Ces derniers, peu ponctuels lors de nos rendez-vous téléphoniques, sont souvent à la chasse. Le mauvais anglais de tous, dont le mien, ne facilite pas de plus les communications.

Pendant 6 mois, mon travail m’accapare si fort, qu'il m'est difficile d'avancer dans mon projet et je me demande s’il est raisonnable de partir. Mes amis pensent eux que c’est de la folie.

                Au printemps, malgré son coût exorbitant (20000 F), je maintiens ce voyage. Mon infirmière elle y renonce.

                 

                En juin, toujours rien en vue au niveau guide sérieux et les avions semblent tous complets !

Finalement, un équipementier québécois vivant sur la terre de Baffin, Guy,  semble plus rigoureux. De plus parlant la même langue, la communication entre nous est facile.

 

 

                Pour 325 $ canadiens[1] + taxes (environ ~1200 FF), il propose de me déposer à l’entrée du parc arctique de Katannilik, situé près d’Iqaluit, sur la Terre de Baffin, une île grande comme la France. Il veut vérifier mon matériel et me fournira l’équipement manquant.

                D’après lui, on peut acheter sur place, des explosifs dissuasifs anti-ours “Bear Bangers” ainsi que les plans et guides du parc, au musée inuit d’Iqaluit.

                L'aplanissement de mon problème de protection face aux ours blancs,[2] ainsi que le moindre coût d’une randonnée dans ce parc, me rassurent et me convainc de choisir Guy.

Pourvoyeur et Pourvoirie

 

                Au Québec on parle de “ pourvoyeur ”  ou d’“ équipementier ”, une personne chez qui il est possible se fournir en matériel de toute sorte (de chasse, de pêche, d’expédition, de survie, essence, en réchaud etc...) . Celle-ci peut aussi fournir des prestations : de guide, de location de matériel (motoneige...), d’hôtellerie. 

                Quant à la “ pourvoirie ”, elle est souvent une sorte de comptoir, éventuellement comportant une hôtellerie, située dans un lieu isolé, où l’on trouve de tout (En anglais, on l’appelle souvent “ lodge” pour ce type d'hôtel).

 

Après discussion, la solution, la meilleure marché, semble être une randonnée solitaire dans le parc, de 12 jours, le long d’une piste inuit de 120 km, nommée la “Itijjagiaq trail” (le coût des guides inuit étant 900 F/jour et étant trop élevé pour mon budget).

Influencé par un livre “ marche dans le ciel ” de Sylvain Tesson et d’Alexandre Poussin, je pourchasse sans cesse le moindre gramme. Je pèse tout, rogne tout, jusqu’aux bordures des sachets de nourriture lyophilisée. Mon couteau suisse minuscule ne fait que 5 cm de long, et 50 grammes. Avec 10-12 jours de nourriture lyophilisé et 500 grammes de médicaments variés, je parviens à un poids total de 15 kg, pour mon sac ! Un poids vraiment exceptionnel !

                Avec mon équipement (12000 F), mes billets d’avion (10500 F), achetés à la plus mauvaise période, au mois d’août (à cause de contraintes professionnelles), mais avec un itinéraire sûr, je peux enfin partir … fort endetté. Heureusement, mon banquier est fort compréhensif.

Jeudi 30 juillet 98 (1er jour)

 

                Dans l’avion à Roissy, je suis enfin libéré des mois d’incertitudes et de la lancinante question “ irais-je ? n’irais-je pas ? ”. C'est sûr, je suis enfin sur la route de l'Arctique.

 

Dans l’avion, je passe en revue, pour une nième fois, ma check-list. N'ai-je rien oublié ? A tout hasard, je récupère la mini brosse à dent et le masque pour dormir, ultra légers, offert par la compagnie British Airway.

                Une Polonaise, habillée avec élégance, revenant d’un séjour dans sa famille en Pologne, m'informe que la communauté des Polonais immigrés au Canada est importante : 75000.

                Avant Montréal, l’avion survole d’immenses champs rectilignes et de nombreux lacs, puis le fleuve Saint-Laurent aux reflets bleu roi profond, à cet heure tardive. Une beau spectacle.

                Arrivé à 19h à l’aéroport, une taxe d’aéroport de 10 $, non prévue dans ma check-list, me surprend.     

Mon taxi, traversant de grandes banlieues industrielles, éclairées d’une lumière rasante d’un coucher de soleil très lent, m’emporte vers un hôtel bon marché. La chambre, à 63 $, climatisée, de l’auberge est tout à fait correcte.

J’ai le temps de visiter, en bus, une ville moderne, belle, très américanisée.

N'ayant pas les 25 cents nécessaires pour le bus, la conductrice du bus m’offre alors le trajet, tout en me souhaitant au petit français un chaleureux “ Bienvenu à Montréal ”.

A 21h, la chaleur est encore caniculaire. Dans la très longue rue commerçante Sainte Catherine, la foule est étonnement dense.

De retour, dans la chambre d’hôtel surchauffée, noyée par le vrombissement du climatiseur poussif, le sommeil reste difficile à trouver. J’envie le navigateur Eric Tabarly, capable de dormir sur commande.

 

LA LONGUE ATTENTE

Vendredi 31 juillet 98 (2ème jour)

 

Tôt, j’embarque dans un avion-cargo 727 B100 de la compagnie canadienne First Air. Au départ, il fait 19 °C.

Dans l’avion, nous ne sommes pas nombreux. J’ai de la place pour mes jambes. L’avant de l’appareil est réservé au fret, l’arrière aux passagers. Parmi les marchandises, beaucoup de caisses de whisky. Quand je pense que l'alcool est interdit aux inuits et qu'il existe une “ NWT Liquor Commission ”, une commission des alcools, destinée à les protéger !

 

 

Vous êtes ici sur "Baffin Island"

Nunavut et Nunavik

 

                L’état du Nunavut, qui fait 5 fois la France (2,5 millions de km²), ne compte que 24665 habitants dont 83 % d’inuits. Il s’étend sur au Nord de l’état des Territoire du Nord Ouest au Canada, dont il dépendait administrativement avant son autonomie le 1er avril 1999.

                On y parle 3 langues : l'Inuktitut, la langue des inuits, puis l'anglais et le français.

                Sa capitale Iqaluit, 4220 habitants dont 62% d’inuits, est situé sur L’île de Baffin.

                L’état inuit du Nunavik, lui, est situé au Nord du Québec et dépend du Québec.

 

                Le steward dispose, devant moi, un copieux petit déjeuner, sur une vraie nappe en tissu.

Les jeunes inuits, garçons ou filles, dans l’avions sont aisément reconnaissables par leur morphologie asiatique et courtaude. Le visage rond de certains est grêlé par l’impétigo [3].

                Mes voisins sont deux jeunes inuits, Larry et Charly, issus d’un petit village côtier, du nord l’état du Nunavik, du Nouveau Québec.

                Charly se présente : “chasseur de baleine ” et Larry, “ chasseur de femme ”. A mon tour, je me présente “ chasseur d’image ”.

Ils reviennent d’une formation d’un an au métier de guide touristique à Montréal. Confiants, ils pensent faire retomber rapidement la manne du tourisme, sur leur village.

Ils ont été toujours chasseurs. Ils aiment traquer la rare baleine à bosse “bowhead” (le mot inuit équivalent que j’ai oublié veut dire grosse tête), hôte saisonnier de leur côte.

Ils chassent aussi le phoque barbu (burded seal) ou les morses (walrus). Le phoque est appelé “puijik” dans la langue des inuits, l’inuktitut.

Les femmes du village utilisent toujours la peau du dessous, pour confectionner des bottes, les “kamiks”.

Je leur demande si les shamans existent toujours et si les femmes pratiquent encore les chants de gorge ? ....

Ils me donne une réponse sans appel : “ shaman ... finish !” [4],, “ les chamans  (les sorciers), c’est fini ”. J’ai le sentiment d'avoir “ loupé un train ”, ma connaissance des inuits, livresque, étant restée au livre "les derniers rois de Thulé", de Jean Malory et datant des années 50.

                Charly et Larry me quitte à Kujjuack, “la grande rivière”, une courte escale de la ligne aérienne. C’est une bourgade de 2000 habitants, implantée sur la berge d’un immense fleuve, isolée dans la taïga du nord Québec.

Ils sont ensuite remplacés par Lazlo, un photographe portraitiste connu de Montréal, venu immortaliser les personnalités inuits du nord Canada, pour un livre commémorant l’an 2000, commandé par le gouvernement d’Ottawa. Il se rend, cette fois-ci, à Cap Dorset, photographier une femme inuit sculpteur.

                La taïga, la forêt de sapin, a disparu. Nous survolons maintenant des milliers de lac souvent recouverts de brume, entourés de toundra, une couverture herbeuse.

La ville d’Iqaluit survolée est uniquement constituée de préfabriqués, y compris les quelques barres d’immeubles de huit étages, la surplombant. J’apprendrais que la plupart des préfabriqués sont posés sur des pilotis de 8 pieds de longs enfoncées dans le pergélisol _ le sol gelé _ ou vissées dans le rocher. Presque tous datent des années 70.

 

Sur le tarmac de l’aéroport d’Iqaluit, la température est de 12 °C.

Le bâtiment jaune vif de l’aéroport, en forme de blockhaus, a été sûrement construit pour résister au froid et aux tempête de l’hiver.   

Cet aéroport construit en 1942, un ancien aéroport militaire de l’OTAN, faisait partie de la ligne rouge de défense antisoviétique, la “Dew Line”, à l’époque de la guerre froide. D’où la taille gigantesques de ses pistes, de 2 km de long, bordées de vastes hangars.

 

 

Laszo transporte presque 50 kg de matériels dont plusieurs 6x6 Hasselblad, sur un chariot et dans une grande sacoche portée à l’épaule. Il me souhaite bonne chance et me prend en photo.

Au sud-est de l’aéroport, je découvre des sortes de pipelines ou de canalisations en mauvais état sur pilotis, peut-être pour transporter l’eau chaude.

                Guy, que j’ai appelé gratuitement de la cabine de l’aéroport, arrive, en retard, habillé d’un simple tee-shirt ! C’est un colosse barbu, imposant, aux cheveux mi longs.

                Dehors, un ballet incessant de taxis américains, roulant lentement et soulevant des nuages de poussières sur les chemins de terres de la ville. Rares y sont les rues goudronnées. Il y en existe 4 ou 5 maximum. Les entretenir, face au gel, doit être un défi permanent.

                A midi, le beau bleu roi de la mer toute proche, me donne l’envie d’une baignade. Mais la plage proche reste désespérément vide de baigneur et l’eau voisine les 0° C. En août, la banquises a disparue. Quelques rares glaçons (floes) subsistent échoués sur les plages.

Dans la grande baie désespérément vide de Fröbicher Bay, en face d’Iqaluit, les hypothétiques cargos se font attendre. Seuls sont ancrés dans le petit port, des petits bateaux de pêche. La marée peut y faire 11 mètres, une des plus fortes du monde. Vers 15 h, la marée basse, laisse découvrir de grandes étendues vaseuses.

 

Le majorité du fret n’arrive par cargos que durant les 4 mois de dégel de la mer, ou par avion. Les prix pratiqués ici sont donc prohibitifs, en moyenne deux fois plus cher qu’à Montréal.

 

Le hangar de Guy entrepose des motoneiges “Arctic Cat”. Guy en est l’unique concessionnaire de la région. Les prix indiqués 600 $, 900 $ sur les motoneiges ne sont que les réductions accordées sur les prix. Il faut plutôt compter, 10 000 $ minimum, par véhicule. Les intérêts des prêts sont ici élevés de l’ordre de 9,75 % à 12 %.

Guy me montre, fièrement, un journal francophone local, où l’on apprends qu’il est sorti indemne d’un accident et d’une culbute à plus de 130 km/h cet hiver, lors d’une course de motoneige. Lui et sa société en organisent régulièrement. Il sort la plupart du temps vainqueur de ces épreuves.

Devant le hangar, sont garés de vieux pickups (4x4) déglingués, certains à l’état de ferrailles. A cause des difficultés d’approvisionnement et des coûts, ici tout le monde conserve et répare tout, les épaves demeurant souvent devant les maisons. Par ce fait, ses terrains vagues et la platitude de son site, la ville n’est guère attirante. Il n’y a pas de bordures de rues, de trottoirs goudronnés, des squares remplis de fleurs ou des jardins. Iqaluit, rapidement poussé, a tout de la ville des pionniers du Far West.

 

Guy me dépose au “ camping ” gratuit de la ville, un carré d’herbe, sans aménagement, au bord d’une rivière torrentueuse et sauvage, situé à 3 km d’Iqaluit.

Les rochers ou plaques de granites rouges, de gneiss, les schistes et micaschistes affleurent partout, aux alentours.

Au saut de cette rivière se tiennent de nombreux pêcheurs inuits, pêchant l’omble arctique, un poisson à la chair rose très fine et la morue ogac. Les moustiques ne sont pas très dynamiques (on peut les écraser facilement). Mais ils sont, par contre, nombreux.

Partout, même dans le rue, poussent les plumeaux blancs des cotons arctiques (les linaigrettes). Les pavots arctiques, aux allures de petits coquelicots jaunes et surtout le épilobes roses violettes sont aussi nombreux.

 

 

Epilobes arctiques

Les épilobes, une variété arctique, ne dépassent pas quelques cm de haut, alors que dans les Alpes et le Jura elle peuvent atteindre 1 mètre de haut.

 

                Le soir, Guy et de ses amis francophones aussi costaux que lui, m’emmènent manger à la Captain’s Table, un endroit correct. La caisse informatique du Snack est équipée d’un écran tactile moderne. Nous avalons des frites couvertes d’une épaisse couche d’emmental fondue, tout en ingurgitant beaucoup de bières.

Ils rient de mon pieux en aluminium, censé me protégé des ours, ... une idée de pied-tendre selon eux.

 

Guy : “ Tu as déjà vu un ours blanc Benjamin ? ... C’est gros comme un camion. Tu crois que ton truc va résister à un ours ? Un coup de patte : plus de Benjamin !”. Suivent leurs récits sur l’Arctique, où il en ressort qu'on y meure gelée, de faim, de froid, mangé par les ours ...

                Mes compagnons rient. Plus tard la bière aidant, on s'amusera à comparer les jurons québécois et français.

 

Samedi 1 août 98 (3ème jour)

 

                Le temps extérieur est toujours aussi doux et calme.

                Guy me rejoins : "Mauvaise nouvelle, Benjamin, plus de produits anti-ours, au magasin “Arctic Survival” ! Pas, non plus, de pistolet pour lancer les fusées éclairantes. Le stock ne sera pas renouvelé avant 2 mois. Idem pour Arctic Venture et Nothern où il a pourtant un rayon armurerie.

                Sans permis de chasse, difficile à obtenir avant 2 mois, il m’est impossible d’avoir un fusil. Guy, très scrupuleux sur la réglementation, refuse de m’en prêter un. D’après lui, si l’administration l’apprenait, il devrait fermer boutique.

                Me sentant coincé ici, je demande à Guy de me fournir rapidement une solution de remplacement.

Selon Guy, les ours sont très rares dans le parc. Il y donc pas lieu de s’inquiéter.

Je lui fait comprendre que même si la vie est plus précaire dans l’Arctique, je n’ai pas l’habitude de jouer à la roulette russe. J’ai compté sur lui. Je lui demande donc tenir ses engagements. Sinon, si les fusil ou les Bear Bangers ne sont pas disponibles, je lui demande alors de me procurer une bombe chasse-ours. Guy argue que la bombe contre les ours n’a pas vraiment été testé. De plus quand il y a du vent, comme souvent dans l’arctique, elle deviendrait inefficace.

Guy me propose une autre idée : me déposer à un endroit sur la côte, où il a des fossiles à ramasser (ammonites...). Des inuits y ont installé leur camp d’été et il n’y aura donc pas d’ours.

                Auparavant, Guy avait essayé d’obtenir, sans résultat, une bombe auprès des gardes du parc, celle-ci étant un moyen d’autodéfense, à usage réglementé. Quant aux services d’un guide inuit, à 900 F par jour, je ne peux me les offrir.

 

Evitant de ressasser ma contrariété, la nuit dans le hangar de Guy où je dors, je contemple le matériel de survie m'environnant : au moins 8 combinaisons marines “Mustang Survival”, des bottes arctiques de la marque “Sorel” (modèle Arctic Kaufman), que je surnommerais “ bottes de sept lieux ”, comportant au moins trois couches d’isolants, d’énormes duvets militaires de 8kg permettent de dormir par -40 °C ... Impressionnants !

Le lendemain, un groupe de cinéastes animaliers arrivent chez Guy, mais ne veulent prendre personnes avec eux ! Frustrant, très frustrant !

Durant cette d’immobilisation, je sillonne la ville à pied de long en large. Je lis les nouvelles locales. Dans un journal local, j’apprends, la mort de deux kayakistes partis seuls sans guide, du côté de Cap Dorset.

Le soir, comme la plupart des magasins sont fermés à cinq heures, peu de restaurants ou bars restant ouverts à 20-21h, j’ai l’impression d’être au bout du monde, loin de tout. Les longues avenues semblent les grands boulevards des rêves brisés “ Brocken dream avenues ”.

Au milieu de ville, la forme moderne en igloo de la grande cathédrale anglicane d’Iqualuit St. Jude's, m'étonne. Je visite tout, y compris les magasins.

Les supermarchés “Arctic Venture” et “Nothern”, sortes de Monoprix, sont bien achalandés.

Tout ou presque tout s’y trouve, sauf peut-être une grande variété de livres. Des livres de Barbara Cartland, Au Nothern, et des livres sur l’arctique et sur le bricolage, à “Arctic Venture”. Les rayons vidéo sont par contre immenses. Beaucoup de films d’actions.  Il n’y a pas de librairie à Iqaluit.

Une grande bibliothèque municipale est attenante au musée d’Iqaluit.

Nommé “Unikkaarvik Visitors Center”, il est gratuit et consacré à la culture inuit. Tous les explications y sont en trois langues : en anglais, en français et en inuktituts.

L’écriture inuit du canada n’utilise pas l’alphabet latin, comme celle du Groenland. Elle a son propre alphabet constitué de signes cabalistiques, à mi-chemin entre les rondes de la sténo et les cursives tamoul. Elle aurait été inventée au 19° siècle par un pasteur, à partir des signes de sténos.

Une belle tapisserie inuit, présentant la vie des inuits, couvre le mur d’une ses pièces.

Par les explications de ce remarquable musée, j’apprendrais le mode de chasse et les animaux chassés par les inuits : la baleine boréale (bowhead), la morue arctique (arctic cod), le phoque annelé (ringed seal), le morse (walrus). On y présente les instruments des femmes inuits, comme le “ulu”, toujours vendu au supermarché Nothern, dans sa version inox, un couteau en demi-lune, pour équarrir les peaux, le “saliguut”, un couteau qui permet d’enlever la peau des phoques, le “tasiqqut”, permettant d’enlever l’huile de la peau des caribous.

 

Un autre tableau présente la différence de coût de la vie entre ici et Montréal :

 

Poste budgétaire

Montréal

Nord

Epicerie (panier standard)

130 $

281 $

Fuel

900 $

2600 $

Eau

700 $

550 $ (1700 $ de subvention)

Electricité

820 $

1350 $

 

                Ce tableau indique que plus de 20 % de la population est au chômage.

 

                J’achète au musée le guide du “Jtijjagiaq trail”,  ainsi que cinq cartes aériennes au 50000ème du “Ministère Défense Nationale” (à l'origine des cartes de l'OTAN). J’apprends du vendeur, qu’une femelle ours et ses deux oursons ont été vus dans le parc.

 

Cet après-midi, ne troupe folklorique inuit venu du Mackenzie, se produit gratuitement devant un parterre clairsemé, constitué uniquement d’inuits. Les chanteuses, les percussionnistes avec de grands tambourins en peau et les danseurs soufrent dans leur habit traditionnel et ce local surchauffé. Mais il règne une ambiance bon enfant. Tout le monde rit. Les enfants participent aux danses. Par leurs rythmes et balancements lents, leurs danses sont très proches, de celles des indiens d’Amérique du Nord. Finalement, tout le monde enlève les pelisses en peau de caribou et se retrouve en tee-shirt.

Les seuls touristes rencontré, durant les quatre jours seront un couple d’américains âgés.

Devant la plupart de maisons, des inuits sont attachés des chiens de type husky. Certains ont conserver leur attelage, les chiens étant alors souvent attachés à un filin, le long duquel ils tournent sans fin, en rond, tristement.

Sur le fronton d’un magasin et station service “Baffin Gas Bar”, est inscrit “Bar operated and opened by inuit”. bar et station-service ouvert et est tenus par des inuits”, la volonté d'une affirmation inuit.

Ici, les gens se disent souvent bonjour, par une interjection qui se prononce “ Aï ” (Hi).

Des vieux inuits me sourient, sourire que j’ai pris au début pour de la timidité. Une vieille femme édentée ne cesse de me sourire, dans un bar le “ Snack ” au décor Rock n Roll des années 50. Ce sourire signifierait Bonjour.

L’internet est partout présent, y compris ans les administrations. Un bâtiment privé affiche sur sa devanture “Nunanet Internet Service”. Plusieurs immenses paraboles servent pour les communications téléphoniques de Bell telephon, offrant des abonnements pour 30 $ par mois.

 

Tous les immeubles en cours de construction sont des bâtiments administratif. Le nouveau parlement, est d’ailleurs en train de se construire jour et nuit, à côté du hangar de Guy, pour être prêt, le 1er avril 1999, au moment de l’autonomie du Nunavut.

 

Le soir Guy m’emmène chez un jeune ami élu municipal, ayant une belle demeure circulaire.

Ce soir-là, Guy me fournira un plat qui se réchauffe tout seul, en versant de l’eau dans une pochette, placée sous le plat.

Il est tard, quand Guy me donne rendez-vous au cercle du Royal “Canadian Legion branche 4”. L’entrée est y soigneusement filtrée, par un solide services d’ordre, en épais pull bleu marine. Certains inuits semblent refoulés sans ménagement, d’autres non. Est-ce en raison du problème de l’alcoolisme, crucial ici, ou simplement, parce que pour rentrer dans ce lieu, il faut en être membre ou être parrainé par un de ses membres ? je ne sais.

Avec la recommandation de Guy, je suis reconnu et je pénètre à l’intérieur sans problème. Ce local surchauffé est complètement clos et fort vaste. On y découvre 3 billards français, une télévision, un juke-box, un bar et un très étrange jeux utilisant des palettes en plastiques cerclées d’un anneau de métal brillant. Ce jeu, appelé le Shuffleboard, consiste à les lancer sur une grande surface rectangulaire, polie et vernie, de trois mètres de long, sur 50 cm de large, saupoudrée de sciure, en évitant de faire tomber la palette dans la rigole, bordant la surface polie. Au moment de mon arrivée, une femme semblait particulièrement réussir à ce jeux.

Un bon nombre d’inuits sont attablés, buvant packs de bière sur packs de bière.

J’apprendrais que le principal fléau, surtout chez les jeunes inuits désœuvrés, hantant les bars d’ici, sont la drogue et l’alcool. A Iqaluit la délinquance est élevée et les vols nombreux. Toutes les motoneiges d’Iqaluit sont d’ailleurs cadenassées à l’aide de grosses chaînes.

Tous les jeunes fument. Le prix élevés des cigarettes ne les dissuadent pas.

Autre apport de la civilisation, le sucre et les bonbons, dont se gavent les enfants, souvent maintenant obèses. Les caries inconnues dans les année 30 avant sont maintenant fréquentes.

 

Dimanche 2 août (4ème jour)

 

                Etant juste en dessous du soixante deuxième parallèle, je n’ai que deux heures d’obscurité, durant lesquels un froid vif, comme en montagne, s’installe. Pour dormir, je porte un masque noir.

                Au réveil, un vent violent, fait vibrer les haubans de ma tente. Par prudence, je renforce la tente, par des haubans supplémentaires. Le ciel est constamment voilé.

                La famille de canadien anglophones vivant à Iqaluit et plantant leur tente ici chaque WE, avec qui j’avais partagé mon repas hier, a disparu.

L’eau des torrents et des sources, coulant de partout, est si pure, que mes comprimés désinfectants d’Hydroclonazone ne se révèlent vraiment pas nécessaires.

                A 500 mètres de mon campement, je surprends un couple d’inuits, d’une cinquantaine d’année, en train d’écouter un émission de musique Country, sous une tente surchauffée par un poêle à mazout. Leur grande tente canadienne de grosse toile écrue blanche est fortement haubanée de tous côté, pour résister aux forts vents d'ici.

                Tout l’intérieur de la tente est sale et jonché de détritus, de morceaux de poissons et de coquilles d’œufs. Ils m’offrent gentiment le café.

Dans la tente, je rencontre Walaya l'épouse, Joseph (Jo) le mari, celui avec qui je discute le plus souvent et leur fille de huit dix ans Louisa. Ils ont encore deux enfants Ronnie et Rhoda.

                Walaya réalise, avec dextérité, une pochette, en perles de plastiques, destinée à ranger un briquet. Elle tentera ultérieurement de la vendre à l’intérieur du Royal Canadian Legion, sans succès. Joseph (Jo), lui, est en train de s’épiler consciencieusement la barbe pendant que je parle.

Il ont établi leur camp à côté de la grande décharge de ferrailles et d’épaves de véhicules, laissées par l’armée américaine, au moment de l’abandon de la base aérienne. Les grands corbeaux noirs (Corvus corax) prolifèrent sur cette décharge. Avant l’arrivée des Américains en 1940, d’après Jo, Iqaluit _ qui signifie poisson _ se réduisait à trois maisons inuits.

Ils sont là pour pêcher. Jo pêche, le plus souvent, l’ombre arctique (arctic shar, une sorte de truite). Ils consomment aussi les palourdes (clam) abondantes de la baie de Fröbisher.

Il s’inquiète d’une pollution aux hydrocarbures dans la baie et de la disparition des animaux. D’après Jo, cela serait du à une pollution au pesticide PCB (en français, BPC).

                Sinon, en septembre, ils cueillent les airelles arctiques. Jo fabrique aussi des filets.

Il m’offre un morceau d’omble et un morceau de viande crue de baleine, découpés avec un magnifique, mais maculé, couteau suisse Victorinox bleu, le plus gros modèle de la marque. Ce couteau lui a été offert par la compagnie maritime “ Clearwater ”, du temps où il y travaillait. Je lui montre mon propre Victorinox, un modèle de seulement 5 cm de long. Littéralement emballé par ce couteau à l’aspect de jouet, il désire que le lui offre. Devant mon refus, il insiste alors pour que je le lui vende. Mais comme ce couteau est essentiel pour moi dans l’arctique, je lui fais comprendre qu’il est vraiment nécessaire à ma survie.

                Apprenant mon projet, il me dissuade de partir sans fusil, seule arme sûre face aux ours, d’après lui. Il regrette que je n’ai pas choisi juillet, la meilleur période pour marcher dans le parc, car la pluie commence la seconde semaine d’août, c’est à dire bientôt.

Jo, peu pudique et volontiers gouailleur, aborde la question du sexe “ l’acte sexuel il n’y que ça de vrai et ça tient chaud l’hiver. La vie est meilleure avec le sexe ! ”. Ce serait presque peut-être une religion pour lui ou un principe de vie.

                La femme est très surprise de ma connaissance du mot inuit, pour l’acte sexuel, “kouyapock”, lu dans le livre de Jean Malaurie, « le Dernier Roi de Thulé ». “How does he know it ?” “comment le connaît-il ?” dit-elle surprise à son mari. Je lui parle de Jean Malaurie.

                Tombé sur la tête sur le bateau de pêche où il avait embarqué, Joseph serait devenu malade et n’aurait plus la possibilité de chasser. Depuis, il vit d’une pension d'invalidité versée gouvernement. Pourtant, il semble avoir toute sa tête, de plus il marchera avec moi, plusieurs km. Je constaterai ultérieurement qu’il a une forte tendance à quémander. La plupart des inuits dépendant des pensions gouvernementales, deviennent paresseux. D'où la volonté d'aller vers l'indépendance des leaders autonomistes inuits, pour leur permettre de ne compter que sur leur propre force, comme avant l'arrivée des blancs.

                Walaya me montre ses pieds, gelés l’hiver dernier, aux ongles encore noirs. Elle s’est achetée depuis des chaussettes chauffantes avec des piles (de marque Lectra Sexo), qu’elle porte constamment au pied.

Jo n’a pas de préférence pour une église et chrétien, il me dit prier dans toutes les églises.

 

                Un neveux arrive avec un "quad", une moto à quatre roues motrices (un “four wheel”, ou un “quatre roues” [motrices] selon la terminologie québécoise). Il apporte des bidons de fuel pour le réchaud de la tente. Le neveu m’en montre toutes les possibilités, puis me met aux commandes. C’est assez facile. Le quad se révèle assez puissant pour grimper de gros rochers ou même des pentes à 45 °.

 

                Louisa, que je photographie, me montre toute fière les deux ombles qu’elle vient de pêcher.

 

                Le neveu me dit chasser caribous, belugas, phoques annelés, baleines à bosse du côté de Frais Island ( ?) ...

 

                Pour la réussite mon expédition, Walaya m’incite à reconnaître les plantes comestibles. Tout d’abord les feuilles d’un petit arbuste nain à chatons, souvent rampant sur les rochers, le saule nain (Salix polaris). Puis les feuilles rondes, comme celle de la giroflée, et riches en vitamine C, au fort goût d’orange, des Oxyria, dont on peut faire des boules semblables au chewing-gum en les malaxant entre les doigts (une Oxyria digyna ?). Les Oxyria, que j’appelais “ma salade arctique”, une sorte d’oseille arctique, poussent entre les rochers, en général exposés plein sud.

                Je n’ai pu identifier une plante aux graines rouges aux bout d’une tige, comportant des petites feuilles piquantes à sa base. Elle vit dans les endroits humides, contre les rochers, et sert à préparer une sorte de thé.

 

                Il faut que ses feuilles aient des piquants pour être comestible. Enfin elle me fait découvrir une plante appelée “bruyère”, une camarine, ressemblant à cette plante, utilisée pour le feu et dégageant une bonne odeur.

 

                Sinon, les lemmings seraient aussi bons à manger (si on arrive à les attraper, ce qui est loin d'être facile).

                Je demande à Walaya de quand datent les crottes de caribous entourant le camp. “De sept ans” me dit-elle. Car on n’a pas vu ces animaux dans les parages depuis 7 ans. Je suis étonné par l’état de conservation de ces crottes. Elle paraissent fraîches comme datant d’hier.

                Tous les inuits que j’aurais rencontré paraissent bon enfant et peu pressés, comme souvent dans les populations traditionnelles. Il ne semblent pas connaître le stress de la civilisation.

 

Lundi 3 août (5ème jour)

 

                Je me réveille enrhumé. Le vent souffle en rafale. Il a plu cette “nuit”. Le bruit lointain de compresseur, du saut de la rivière proche, sous l’effet du vent, parvient irrégulièrement, tantôt semblant proche, tantôt lointain.

                Le soleil revient et il fait soudainement chaud. Toutefois, le soleil souvent reste chiche ici.

 

                Guy m’emmène dans sa maison. Elle est grande et confortable. Sa salle séjour avec mezzanine est immense. Elle a de nombreuses pièces. Il l’a entièrement construite, comme son hangar. Guy n’est pas un “feignant”, comme il le dit (chose qu'il reproche aux inuits).

Sa femme Caroline, une inuit fort gentille, parle anglais comme Guy, mais non le français. Ils ont deux filles. Elles sont fort maquillées, comme les jeunes filles d’ici, comme ceux qu'on rencontre au complexe de cinéma d’ici, “l'Astro Hill”.

Guy possède le câble avec 33 chaînes de télévision.

Guy me parle de sa vie.

Guy avait eu une autre famille dans le sud, mais n’en dira pas plus.

Guy venu à Iqaluit pour un chantier de construction, a rencontré Caroline et est resté.

Il me raconte qu’à un Noël, alors qu’ils devaient fêter le réveillon à la maison, ils ont été surpris par une tempête de neige soudaine, lors d’un détour par le hangar. La visibilité ne dépassant pas 5 mètres, ils ont été obligés de rester dans le hangar, durant le réveillon.

                Lorsqu’il travaillait sur un bateau, il était tombé à l’eau. Pour une seule minute dans l’eau, il a grelotté deux heures. D’après lui, certaines personnes croient être sauvé, mais décèdent ensuite d’un arrêt cardiaque. Avec une de ses combinaisons de survie, on peut rester, par contre, d'après lui, huit heures dans l’eau.

                Guy me dit de me méfier des huskys des inuits, cet hiver, une petite fille d’Iqaluit a été dévorée par un husky, abattu ensuite.

Ensuite, il m’explique comment construire un igloo. Pour le réussir, il faut respecter une certaine pente, les blocks doivent avoir un bord inférieur légèrement concave, pour éviter de glisser sur la pente, et le toit n’est pas sphérique mais conique. L’entrée par un tunnel coudé doit déboucher sous le niveau de la surface sur laquelle l’on dort.

                Ce soir, je règle enfin Guy, soit 345 $.

 

Le mardi 4 août (6ème jour)

 

                Je revois Jo qui m’emmène jusqu’à à sa maison, une sorte de taudis, entourée d’un véritable dépotoir. Cette famille ne fait pas partie du “ haut du panier ” de la civilisation inuit.

Par contre, son frère à la retraite, possède une coquette maison. Cet ancien pêcheur, continue d'écouter les conversations à radio VHF. Il est ainsi tenu au courant de toutes les nouvelles de la communauté inuit. Catholique, de nombreuses saintes vierges décorent sa maison.

                Au Baffin gas bar, Jo me quémande un cigarillo, coûtant la bagatelle de 8,75 $ pièce (presque 40 FF).

Quand j’arrive, Guy est en train réparer un harpon pour un amis. En général, il répare plutôt ses nombreux véhicules. Je reste avec lui, en grignotant les chips et les cocas offert à volonté par Guy, la télévision restant allumée sur les nouvelles locales d’Iqaluit.

Guy m'expose sa piètre opinion des inuits. Selon lui ; les inuits sont peu travailleurs, ne sont et ne seront pas capables se prendre en charge, à l’échéance du 1er avril 99. Ce qui l’ennuie profondément surtout, c’est qu’on va donner 520 Millions de $ aux inuits pour les aider à créer leur état. Pour lui “ On donne aux paresseux ” . Le gouvernement actuel, comprenant des inuits, serait déjà corrompu, selon lui.

                D’après Guy, les inuits avaient demandé au gouvernement d’ouvrir le parc de Katannilik, afin de promouvoir ici le tourisme. Non rentable, ce sont les mêmes qui lui demanderaient maintenant de le fermer !

                Enfin, je déniche un vieux fusil à un coup de calibre 12 avec 13 cartouches. Son possesseur me préviens “ si on apprends que je t’ai donné un fusil, je te recherche partout en Europe. Sinon, Bang ! je te dépose ton corps sur la banquise. Et on ne te retrouve jamais ! ”. 

Im me semble qu'i vaut mieux vaut prendre au sérieux cet avertissement.

Cette recherche d’un moyen de défense sera le vrai point noir de ce voyage. A cause de lui, quatre jours de perdus : plus question de lambiner. Le fusil, démonté dans mon sac, et les cartouches, c'est 5 kg de plus. Pas dramatique.

 

Désormais, je déclare aux autorités du parc, mon plan de route, jouant le même rôle que le plan de vol en aviation, indiquant les dates et lieux approximatifs, de chacune de mes étapes dans le parc, pour, en cas de recherche, me retrouver facilement. J’achète enfin à l’aéroport, mon billet d’avion retour de Kimmirut, un petit village inuit terme de ma randonnée, à Iqaluit.

 

GO !

Mercredi 5 août (7ème jour) : le départ

 

                Cette nuit j’ai dormi dans le hangar, afin de bénéficier de la marée montante de 6h du matin. Je suis impatient.

                Touche finale à la dernière vérification, Guy me pose un bonnet sur la tête. Je n'a pas pris la peine de l'emporter, GNGL _ l’agence spécialiste de l’Arctique qui m’a vendu les billets pour Montréal et Iqaluit _ m’ayant déclaré que “le temps sur Baffin, l’été, est celui de la Bretagne”.

                Suivent les dernières recommandations : “ un animal, un ours par exemple, ce n’est pas aussi intelligent que tu crois ”. “ "Faut pas faire : il est gentil le petit renard, sinon il te mord”. “ Faire le mort avec un ours brun ou noir, cela marche peut-être, mais peut-être pas avec l’ours blanc ”.

 

                Enfilant une combinaison de survie orange, je monte dans le bateau de pêche de Guy équipé de deux moteurs, dont l’un puissant de 90 chevaux, l’autre prévu en cas de panne du premier.

                J’essaie, le fusil sur la mer. Puis, je m'entraîne à le monter et le démonter, au moins vingt fois.

La règle à respecter face aux ours est crier, jeter des objets d’abord, puis tirer un premier coup de semonce, un second enfin à 50 mètres tirer dans le poitrail. Sinon, se tenir à distance des crêtes et gros rochers, ne pas laisser de déchets, enterrer ses besoins (précautions que je respecterais rigoureusement), pour éviter d'attirer les ours blancs, très sensibles aux odeurs.

 

                Sur le bateau, je regrette d’être parti comme “ un voleur ”, sans avoir eu le temps de dire au revoir à Walaya et Jo. La veille, j’avais seulement dit à Walaya que j’avais un gros problème.

Elle doit peut-être s’inquiéter.

                Après une demi-heure de traversée de la baie, par beau temps calme et mer d’huile, Guy me dépose vers 7h, dans un crique, au départ du parc. Ne traînant pas à cause des ours en bord de mer, je marche très vite, le long d’une vallée herbue. J’y rencontre mes premiers caribous.

                Jo m’a indiqué sur ma carte l’emplacement de sa mine de stéatite verte _ ou "saltchalk", "soap stone", ou "pierre à savon" _, une roche de consistance très tendre, servant aux sculptures inuits. Il m’a indiqué aussi un cimetière inuit, plus proche, à Tunrgatalik (non indiqué sur ma carte de l'OTAN), qu’il me conseille d’aller visiter. Mais le manque de temps ne m’a pas permis de m’y arrêter.

                Dans le parc existent 7 petits refuges d’urgence (Emmergency shelter), dont un situé juste à une heure à pied d’ici. Celui au centre du parc, est le plus important. De plus il est chauffé.

                Vers 9 h, j’atteins le premier refuge, un “igloo” en bois, au toit vert, surmonté d’un mat de la même couleur, pouvant loger deux personnes. Avant le refuge, la marche a été facile, sur le dos d’une sorte de butte au profil plat, ressemblant à une route macadamisée. Son origine naturelle est due au gel.

Je traverse ensuite un moment une zone marécageuse, où l’eau suinte de partout et où les farouches caribous sont nombreux. Mes chaussures en Gore Tex de bonne qualité, ne prennent heureusement pas l’eau.

                J’atteins l’immense et magnifique lac “Tasiq”, d’une beau bleu profond, vide de toute embarcation et présence humaine. Je le longe et j’ai la chance de débusquer sur la berge un beau caribou mâle, à la belle ramure. L’occasion d’une belle photo.

                Je dois maintenant traverser un rapide, considéré, par mon petit guide, comme l’un des plus difficile à franchir. Je décide de prendre un raccourci en coupant à travers la toundra, sur une sorte de moquette élastique.

Mais bizarrement, j’arrive à la rivière, trop au sud. Je m’inquiète alors de cette mystérieuse dérive. Peut-être, est-elle due un mauvais calcul de ma part de la correction de la dérive de mon cap avec la déclinaison magnétique ?

Ici, le gué de la rivière “Rumbling river” est sableux, large, peu profond. Je me déchausse. Au sortir de l’eau, mes pieds, sous l’effet de l’eau glacé, apparaissent bleus. Je les frictionne, mais la serviette rêche de randonnée les sèche peu. Je redoute toujours l’humidité dans les chaussures, favorisant les ampoules.

                Après cette mise en jambe, les difficultés apparaissent.

Je remonte maintenant une vallée glacière peu profonde, la Tasiu Kounga, envahie par un immense chaos de rochers. Escaladant sans fin, de gros blocs de 1 à 5 mètres de diamètres, avec mon sac de 20 kg, la progression est pénible.

                Vers midi le vent se lève, soufflant de face à plus de 70 km/h, me déstabilisant constamment. Le ciel reste désespérément et étrangement bleu. A 14h j’atteins mon second refuge, où je m’arrête une heure, espérant voir le vent retomber, en vain.

J’ai solidement refermé la petite porte du refuge, avec son énorme traverse en bois, glissant dans l’encoche du chambranle.

                Sous l’effet du vent, le refuge vibre comme la carlingue d’un avion à hélice au point fixe, bien qu’étant fixé par de gros blocs de pierre, servant de contrepoids.

Tant qu’il y aura une vitre dans le monde, il y aura toujours une mouche derrière et ici aussi des mouches sont collés derrière la vitre en Plexiglas.

                La boîte à ordure, fermée par une trappe très lourde, est éloigné du refuge à cause des ours.

                Comme je ne dois pas me mettre en retard, je repars malgré le vent. Finalement, je m’habitue à ce vent redoutable. Mais surtout je redouble de prudence, on n’est jamais trop prudent.

Dans ce désert rocheux, je pensais ne pas rencontrer de vie. Or, je rencontre régulièrement des caribous, des albatros arctiques, immenses voiliers blanc neige, volant loin de la mer, des abeilles, des minuscules papillons et leur cocons, et des petits oiseaux gris, virtuoses des gazouillis, à dos noir, de la taille des moineaux, appelés bruants arctiques. Je verrais même deux lièvres variables de grande taille.

                Je franchis le croisement de deux vallées glacières à angle droit.

                La plupart du temps les pistes des caribous évitant les gros chaos rocheux. Je les suis le plus souvent. Mais parfois, il grimpent raides.

Le soir enfin, le calme plat succède au vent. 

                Vers huit heure du soir, je plante enfin ma tente, à côté d’un petit lac, sur l’unique carré d’herbe, de la taille de ma tente, d'où j’ôte les derniers cailloux. Fatigué, j’ai marché 13 heures durant cette journée !

 

Jeudi 6 août 98 (8ème jour)

 

                Ce matin un brouillard total, le “ white out ” selon le jargon d’ici, il a remplacé le vent. Pour éviter le risque de me perdre et de me faire surprendre par les ours, je décide de pas bouger et d’atteindre. Le brouillard se lève heureusement vers 11 h.

                Je débusque derrière un rocher deux petits oiseaux, brun beige, de la taille d’une caille, certainement deux jeunes lagopèdes des saules.

                Très haut dans le ciel à plus de 8000 mètres, régulièrement passent des avions de lignes. Vers midi, un avion à hélice, passe à ma verticale, à 300 / 400 mètres d’altitude, prenant la même direction que ma vallée, la Rocky Creek. Dans ce dédale rocheux, tout avion serait bien incapable de me repérer.

                Sur la carte du guide, on conseille de passer à droite du second lac rencontré dans cette vallée. Je me retrouve face à une petite falaise qui plonge directement dans le lac. Je ne peux passer, à moins de faire de l’alpinisme au-dessus du lac glacé.

                J’en tente malgré tout l’escalade avec mon sac de 20 kg. Mais avec trop de dévers et pas assez de prise, je renonce.

Par contre, dans la falaise, je découvre de la “ salade arctique ” dont je fais une grande consommation. Elle est fort bonne à défaut de beaucoup nourrir.

Entêté, je jette alors de nombreux blocs de rochers dans le lac, pour créer une jetée, juste à l’endroit de la séparation, de seulement 2 mètres, des deux bords du lac, là où ils n’ont pas réussi à se rejoindre et où la falaise plonge à pic. Pourtant je renonce à me risquer sur ce pont, dont les pierres en équilibre instable oscille sous mes pieds. Finalement, je fais demi-tour.

                Ce chaos rocheux sans marque ou balise, où je valse en permanence d’une prise à l’autre rendu “ ivre ” à force de monter et descendre, où il faut sans cesse créer son chemin, est effrayant. Je le surnomme le “ Rocky horror show ”.

Par la crainte constante du faux pas et de la jambe cassée, j’avance toujours prudemment et lentement, ménageant mes forces. Je crains les jambes flageolantes et tremblantes. Cela fait une journée déjà que cela dure et je n’en vois toujours pas la fin. Etrange, tous les pierriers rencontrés jusqu’ici, comme ceux des Alpes, ne dépassent pas en général 1 km.

Dans les blocs morainiques, tous fendus, sans exception, par le gel, se trouvent souvent des cristaux, par exemple des grenats péridot, éclatés par le gel. Cette région, très ancienne géologiquement, doit être sûrement riche sur le plan minéralogique. La diversité des blocs prouvent qu’ils ont été roulés et charriés sur de grandes distances. Je n’ai pas malheureusement, en raison du poids, un marteau de géologue pour extraire les cristaux.

                Les caribous, toujours présents, sont en général silencieux, hormis les petits qui grognent et émettent leur petit “ Honk, Honk ” caractéristique, pour appeler leur mère.

                De temps en temps, je retrouve un objet perdu ou abandonné _ un bidon, une conserve, une ficelle effilochée, un bonnet, une cuillère en inox... _ preuve que je suis bien sur la piste inuit empruntée l’hiver en motoneige, que les inuits font en 6 h seulement. L’hiver, les rochers sont recouverts d’une épaisse couche de neige et les rivières et lacs, d’une épaisse couche de glace. L’été seuls quelques fous comme moi, s’y risquent.

                A midi, après avoir longé une joli petit lac qui domine une grande plaine, je découvre l’immensité bleu du lac Tasialu. La marche devient alors très facile. Le bord du lac est assez découpé obligeant à de nombreux détours.

                Vers 14 heures, j’aperçois au loin les vastes méandres paresseux de la rivière Tasialu Kounga.

                Le gué de plus de 100 mètre de large est parsemé de rochers. Je décide de ne pas déchausser et d’essayer de sauter d’un rocher, souvent glissant, à l’autre. J’aurais presque réalisé un sans-faute durant cette traversée, mais mon pied glisse sur l’avant dernier rocher. Les derniers mètres se font dans l’eau. Heureusement, l’intérieur de mes chaussures est resté sec.

                Mon guide du parc indique qu’il faut aller maintenant sud-ouest puis plein sud, pour attendre le lac Welcome (le lac bienvenu).

Ne voyant pas l’intérêt de ce trajet anguleux, les courbes de niveaux étant très faibles, je décide de couper tout droit. Mon cap sera corrigé de la déclinaison magnétique de 44° indiquée sur ma carte militaire (déclinaison mesurée en 1971).

                Je découvre d’abord des dizaines de petits lacs, dans le paysage, non indiqués sur la carte. Le contour de certains lacs ayant changé avec la fonte des neiges, ne sont pas plus d’ailleurs reconnaissables. L’orientation devient de plus en plus difficile. Au bout d’un certain temps, toujours pas de Welcome lac, alors que j’aurais dû déjà l’atteindre depuis ½ heure.

A l’évidence, je suis perdu.

Je m’en veux un instant, de ne pas avoir pris, de balise de détresse et de radio, pour une question de poids, de coût et pour éviter la tentation de l’utiliser au moindre problème.

Mais, il n’est plus le temps de regretter mes choix. Je dois garder mon calme. De toute manière, je pourrais toujours revenir sur ses pas. Le seul problème est la perte d’au moins une demi-journée à une journée, alors que mon “ timing ” est très serré, si je fais demi-tour.

Finalement, je décide de continuer, en effectuant de grands zigzags, d'une dizaine de km, d’un bout à l’autre de l’horizon, lors d’une marche forcée, quasi militaire, confiant dans la solidité de mes jambes.

                Relativisant ma situation, je me dis que le temps est beau et qu'il est exceptionnel de marcher parmi les nombreuses hardes de caribous, composés en général de 6 ou 7 individus, avec une mère et ses petits. Dans mon esprit, ils sont devenus, mes amis. Mon seul regret est qu’ils ne me répondent pas, quand je leur demande mon chemin.

                Dans cette région, je découvre des sols polygonaux, où une sorte de gravier se répartit en grandes dalles polygonales, voire hexagonales. Je rencontre aussi des blocs de granite blancs très altérés et réduis à l’état de pains de sucre. Tous sont le résultat du gel.

Je retrouve enfin, dans un paysage presque totalement plat, les boucles de la Tasalui Kounga. J’avais trop dérivé au sud, en me fiant à la déclinaison de la carte mesurée en 71, devenue fausse en 1998 (car elle change chaque année).

Je me dis que la prochaine fois, j’emporterais un GPS et peut-être une balise de détresse (à défaut d’une balise ARGOS plus chère).

                Vers 17h, après trois heures de marche forcés, ma persévérance paie enfin, retrouvant une vallée plate alluvionnaire, où coule une rivière, identifiée rapidement comme celle de la Sanguqiak. Un examen à la jumelle me confirme que le point rouge vu au loin est bien le refuge de Sanguqiak Igluralak.

“ Merci mes jambes ! ” me dis-je, conscient en même temps que je leur en ai trop demandé.

Toutes sortes de sentiments contradictoires se bousculent dans ma tête : peur, puis joie, et soulagement. Je me reproche, quand même, de ne pas m’être entraîné auparavant à la course d’orientation. Je ne suis pas très fier. Je me reproche ma légèreté. On ne s’improvise pas explorateur.

 

Mon plus gros soucis est maintenant la fragilisation de mes chevilles, en “ ayant trop poussé la mécanique ”, lors de cette marche forcée et lors de la traversée du pierrier. Cela aura des conséquences dont nous reparlerons.

Je me dis que mes amis n’auraient pu me suivre dans cette expédition. Oui, il leur aurait été vraiment difficile de me suivre. Heureusement, ils ne se sont pas embarqués dans cette galère. Que suis-je venu faire dans cette galère ? (Cf. les Fourberies de Scapin).

                Heureusement, j’ai encore un jour d’avance, par rapport à mon plan de route.

                A 20h, j’atteins enfin le refuge n°4, courbaturé, mon sac me sciant l’épaule. Ayant froid, je me couvre de ma couverture de survie, qui me tient d'abord très chaud. J’avale mes “ Musculine-G ”, des dragées fades, utiles pour l’effort, composées de viande maigre et de miel, que j'ai commandées aux moines trappistes de l’abbaye de Notre Dame des Dombes (dans l'Ain).

                A côté du refuge, j’ai trouvé sur le sol un set complet de fourchettes et de couteaux en inox.

 

Vendredi 7 août 98 (9ème jour)

 

                Cette nuit, me sentant très seul après mes émotions, j’ai rêvé d’une jolie fille. Ce genre de rêve est toujours agréable au réveil.

                Je jette un coup d’œil dans la boîte blanche émaillée de premier secours, équipant tous les refuges. A l’intérieur ni radio, ni couverture de survie, ni ciseau de chirurgien. C'est maigre.

Par contre, elle renferme une petit registre concernant les accidents de travail à déclarer, un n° à appeler 1.800.361.69.11 (en plein milieu de l’arctique !), un minuscule guide pratique du secourisme d’urgence, réalisé par l’hôpital Saint Jean fort bien fait, 2 “ restguard ”, un dispositif de protection hygiénique pour le bouche à bouche, 6 rouleaux de tissu en coton, 8 bandes de gaze, 2 bandages de compression, 3 bandages triangulaires, 20 tampons antiseptiques Povidone, des protections pour les yeux en plastique, des épingles de nourrice, 4 compresses pour les yeux, 4 compresses éponges, 1 bande Latoband, des cotons tiges, une très grande pince à épilée, une paire de ciseaux à bec courbé. Des choses utiles, d'autres inutiles dans l'Arctique.

 

                La vallée de Sanguqiak semble longue. A un coude de la rivière, je continue dans une basse vallée glacière, semblable à celle quittée ce matin, tapissée d’un immense pierrier plat et faisant curieusement plusieurs S prononcés, en s’élevant.

 

                Le long d’une grande falaise près du lac “ Falcon lak ” (lac des faucons), planent deux faucons pèlerins. L’un d’eux pique vers le sol. Il ne semble visiblement pas soumis aux contrôles de vitesse.

                Pressé par mon plan de route, je ne prends pas suffisamment le temps d’apprécier le paysage, ni d’observer ces faucons. Je le regrette vivement. Si j’avais pris le risque de ne pas emporter de fusil, j’aurais gagné 4 jours, j’aurais pu flâner. Mais était-ce raisonnable ? Pessimiste, je crois à la “ Loi de l’Emmerdement Maximum ”. Elle stipule qu'un emmerdement qui a des chances de survenir, surviendra toujours ! Donc, ne prenons pas de risques et ne tentons pas le diable.

 

                Dans le nouveau pierrier, que j'emprunte maintenant et où s’insinue des torrents cachés, les traces humaines et déchets sont nombreux. Je suis donc toujours bien sur la bonne piste. La surface du pierrier, arasés par d’anciens glaciers, étant plate, je voudrais bien marcher ou sauter d’une pierre à l’autre. Mais elles sont souvent trop éloignées l’un de l’autre. Il me faudrait des bottes des sept lieux.

                A 17 h, je rejoins, enfin le refuge de Twin Lake (les lac jumeaux), à 600 mètres d’altitude, le point culminant de ma randonnée. Près du refuge, ont été déposés un collant troué, une paire de chaussettes et un bâton de ski brisé. Faire du ski ici ! J’espère que le malchanceux aura eu un bâton de rechange. Trois bougies ont flambées sur le rebord de la fenêtre. J’imagine le pire durant cet hiver. Des inuits seraient-ils restés bloqués ici plusieurs jours, par un blizzard en hiver ?

En fait, ce refuge à mi-chemin d’iqaluit et de kimmirut est le plus fréquenté et c’est pourquoi on y trouve autant d’objets laissés là. Donc nul drame en réalité, juste mon imagination qui galope.

A l’intérieur du refuge, je trouve un gros de paquet de cacao, peut-être “ délesté ” ici pour une raison de poids, tout comme pour le set de couverts trouvé à côté du refuge précédent.

                Ce soir, au menu : pâtes aux champignons lyophilisés. Regret de ne pouvoir l’accompagner d’un bon vin. Nombreux, sont les pays ont je regrette de ne pas pouvoir me procurer facilement du vin.

Samedi 8 août 98 (10ème jour)

 

                J’ai eu vraiment froid cette nuit, surtout entre 23 et 3 heures, entouré, comme je le suis, de ma couverture de survie. Elle a provoqué une forte condensation de ma transpiration et mouillé encore plus mon duvet. Ce n’était finalement pas une très bonne idée.

                Je pars à 9h15. Je longe plusieurs grands lacs perpendiculaires rectilignes. Je suis toujours dans le pierrier.  J'imagine une buvette construite ici. Elle s’appellerait le “ Hard Rock Café ”.

.              Enfin, le pierrier disparaît progressivement.

                Vers 12 h, je pique-nique au bord des jolies “ lacs ronds ” (Round lake), logés au creux d’un cirque glacière, semblable à certains sites alpins. Avec le fort ensoleillement de ce midi, je pourrais presque me croire dans la Vanoise.

Je retrouve enfin un paysage vert. Cela me change des précédents paysages rocheux, gris ou beiges.

Les berges humides du lac sont couvertes de grands champs de cotons arctiques.

J’en profite pour faire sécher mes chaussettes, mes sous-vêtements techniques et mon duvet, sur un rocher sombre, orienté plein sud. Tout y sèche rapidement. J’y attrape même un magnifique coup de soleil. Qui aurait pu croire qu’on puisse attraper des coups de soleil dans l’Arctique ?

                Je retrouve les campanules, les abeilles et les moustiques, heureusement toujours aussi peu dynamiques. Paf ! paf ! paf !

                J’ai l’impression maintenant de faire une retraite dans un monastère paisible. Un monastère à l’échelle de toute une région. Dans ce lieu magique, la communion avec la nature est forte. Souvent dans ce genre de lieu, je deviendrais presque animiste, comme Saint François d’Assise déclamant “ frère soleil, frère caribou... ”.

                Pourtant la nature sauvage, lieu de vie par excellence, n’est pas un lieu de sérénité. Tous les animaux rencontrés vivent dans la crainte, comme ces caribous m'entourant et fuyant régulièrement à mon approche.

                Je longe un torrent, le “ Panorama Creek ”, bordé de parois rocheuses, difficiles à suivre. Sa partie plate finit sur une grande cascade, plongeant dans une grande faille. Je dois alors faire un très grand détour, pour éviter le précipice.

                En bas, je retrouve l’herbe élastique de la toundra et la vallée de la grande rivière Soper, au cours de plus de 100 km de long, le plus grand cours d'eau du parc.

                Le long de cette calme rivière, je passe mon temps à franchir de nombreuses petites vallées latérales. Combien de fois aurais-je du franchir de torrents, dans ce parc (sans presque jamais déchausser, d’ailleurs) !

                Le refuge n°6 est toujours invisible, bien que pressenti à proximité. L’aurais-je dépassé sans le voir. Enfin, je l’aperçois à 18h dans un dépression de terrain, au bord d’un torrent, son mat et son toit en bois peint en vert, dépassant à peine du niveau du sol environnant.

                De gros blocs de pierres permettent de monter au refuge. L’un d’eux, désolidarisé, roule sous mon pieds. Je ressens une douleur. Dans les heures qui suivent, ma cheville gonfle. C’est l’entorse. Pourtant, j’avais été vigilant ! Quel accident stupide à cause d'une simple seconde d'inattention ! Sur; le coup cela m'apparaît dramatique.

                A chaque repas, j'essaye de varier mes repas lyophilisés. Je cueille souvent des airelles arctiques. Ma cueillette serait plus facile, si j’avais un râteau à myrtilles. Si quelqu’un inventait une machine à ramasser les airelles, il ferait fortune ici, car les airelles sont très chères, même à Iqaluit.

Dans ce refuge sale, une revue consacrée aux motoneiges “ snow gear ”, me distrait.

Un grand papillon nocturne aux couleurs ternes et sombres me tient compagnie.

 

Dimanche 9 août 98 (11ème jour)

 

                Etant trop couvert et ayant trop chaud, je dors mal. La planche de couchage en bois où je dors, de ces maisons des Schtroumpfs, ne fait que 1,70 m de long.

                Je rêve cette nuit à une amie habitant une chambre, au décor de conte des mille et une nuits, remplie de joyaux et de bonbons. Moment magique illuminant mon réveil, alors que la faible lumière d'un matin gris et froid, entre par la fenêtre.

Je calque ma route sur les nombreuses traces de caribous dans cette vallée. Un jeune caribou très sombre et très curieux me suit sur un km.

                S’il n’y avait le froid, le soleil, les grandes étendues de gazons et les belles plages de la rivière Soper, l’absence de présence humaine, inciteraient au nudisme, comme dans la scène du héros du film de Disney entouré par les loup.

Dans mes rêveries de promeneur solitaire, je réfléchis à un “ guide de la randonnée ”, à mettre en image ou à consigner par écrit.

Question “ Dans une randonnée, doit-on se fixer, un chrono, un but ? ” Réponse “Seuls, le terrain et la condition physique décident. Il est nécessaire de se ménager des haltes régulières, de se reposer et se restaurer ”. Dans le monde moderne, il y a les échéances, les plannings. Dans une vraie randonnée, ceux-ci devraient être abolis, on devrait prendre le temps de vivre".

Ah ! que j’aimerais retrouver le temps de la vie nomade. Mon boulot ne me le permet pas.

                Vers midi, je détecte ma première trace de pas humains, au bord de la rivière.

                A 14h30, arrivé au plus gros refuge du parc : le “ Grouped Shelter ”, le refuge groupé ( ?).

                Une grande antenne radio part du toit du refuge. A 50 mètres, se trouvent deux cabinets d’aisance, comportant chacun un trou percé dans une planche en bois.

                Dans un placard accolé au bâtiment à l’extérieur, sont rangés des pièges. Que font-ils ici ?

                Ce refuge dispose d’une serrure sur la porte. Heureusement, la clé est attachée à une ficelle à côté de la porte. L’intérieur est vaste et il y fait chaud. On y trouve, un poêle à mazout, une pompe, un évier, une lampe à essence Coleman, 3 balais, une grande poubelle, un grand réchaud à essence deux feux Coleman, un extincteur, des casseroles, couvercles, bouilloire, du liquide vaisselle, des pâtes, des condiments, des pinces à linge en quantité, de la lecture et l’éternel conduit d’aération présent dans tous les refuges. Un inventaire poétique.

                Dans le livre de bord, encore peu rempli, je trouve même des dessins d’enfants ! Comment des enfants sont-ils venus ici au beau milieu de l’Arctique ? Sûrement en motoneige avec leurs parents. J’y dépose aussi ma “ bafouille ”, avec le secret désir de laisser une preuve de mon passage.

                Il y a une grande table le long de laquelle sont disposés deux bancs.

                Le fil à étendre le linge supporte quatre paires de chaussettes féminines et masculines. Mais il n’y a personne. Le chalet est pourtant visiblement occupé, ses occupants ayant laissé un matériel un peu lourd mais de qualité et neuf _ matelas autogonflants, gros matelas en mousse, un petit réchaud Coleman, avec les bouteilles à essences associés, plusieurs paires de chaussures, bottines de plongée ...

Je recherche la radio. Je n’arrive pas à trouver la clé du gros coffre en bois, peint en bleu, où est peut-être stockée la radio.

                Je me trouve tellement bien ici que je renonce à aller plus loin.

                Enfin, dans l'après-midi, les occupants des lieux arrivent.

L’un deux Bruce K. Downie est un beau et grand quinquagénaire à cheveux blancs. Il est le créateur du parc et auteur du petit guide que j’utilise actuellement. Il y a encore Lindsay sa femme, une second couple Jamie et Jan leurs amis. Lindsay, à plus de 50 ans, est encore fort belle. Bruce dédicace mon guide.

                Ils sont tous originaires de Victoria, aux environs de Toronto.

Bruce est un consultant en création de parc. Il revient du Zimbabwe et de Gambie, où il travaille sur des projets de parc. Le plus dur pour lui sont les changements de mentalité nécessaires pour la création de ces parcs, toujours longs à se produire en Afrique. J’apprends que le parc de Katalinnik a été ouvert en 93.

                Il m’explique que tous les refuges ont été déposés par hélicoptère ou par motoneige, l’hiver, comme dans le cas de ce “ refuge groupé ”.

                Ses bottines de plongées “ White’s ” lui servent à franchir l’eau des rivières, voisine des 0°C. Une bonne idée, que je réutiliserais en Islande.

                Des gardes lui ont signalé un ours du côté du Mont Joy, tout proche. Prudence donc.

                Durant le repas, Lindsay me confie une mission chevaleresque : retrouver à mon retour sa fille Janet, 18 ans, passionnée par le moyen âge et effectuant un job d’été en tant que guide à Notre Dame de Paris. Mais à mon retour à Paris, elle n’est plus là, étant déjà repartie au Canada. Une jeune fille sûrement intéressante. Dommage. Une occasion manquée. La vie en abonde.

 

(Suite du récit dans la seconde partie)



[1] Dans la suite du récit, lorsque je parlerais de dollars, il sera toujours question de dollars canadiens (environ 4,50 FF).

[2] Voir les annexes de ce récit intitulés “ Face aux ours blancs ” et “ Le kayak de mer dans ‘arctique ”.

[3] J’apprendrais plus tard que ce problème d’hygiène est lié à la sédentarisation des inuits et au manque d’eau courante dans leur maison.

[4] tous les villages inuits du nord Canada ont été christianisés depuis au moins un siècle.