VOYAGE EN U.R.S.S - Août 82

Par B. LISAN

 

 Parti par vol Aeroflot, dans un Iliouchine, qui était aussi vaste qu'un Airbus.

 

A la douane j'ai été fouillé jusqu'aux vêtements. Tous les objets de chaque touriste étaient passés aux rayons X.

Un jeune congolais, avec lequel je me suis lié d'amitié par la suite, et qui portait deux valises de vêtements féminins, pour sa future femme résidant à Leningrad, se les ai vu confisquées pour des motifs futiles.

Finalement, réclamant ses valises plus tard en menaçant de faire un scandale international en faisant jouer des relations importantes à Leningrad (où il avait été étudiant pendant 5 ans) il a pu obtenir, ...le retour, par avion, de ses valises … en France !

 

Pour tout le groupe, la fouille a duré plus de trois heures!

 

Le secret

 

Plus de 40 ans après, je peux enfin révéler le secret de ce retard de 3h.

Comme je l’ai expliqué dans mon premier compte-rendu de voyage en URSS, en 1980, j’avais rencontré Boris, un refusenik. Alors, ce dernier m’avait demandé de lui écrire, en lui envoyant régulièrement des lettres en recommandé avec A/R [dans le cas contraire, elles seraient systématiquement perdues], voire de lui téléphoner, même si le maintien de cette correspondance allait lui attirer des ennuis avec les autorités sociétés. Il m’avait même demandé de revenir quand je le pourrais. J’ai tenu ma promesse. J’avais échangé, avec lui, durant deux ans, par courrier et au téléphone (même régulièrement, le son de sa voix au téléphone subissait des oscillations, puis diminuait lentement, jusqu’à devenir inaudible). Comme nos échanges étaient assez neutre, je ne savais pas étaient les ennuis, qu’il avait pu subir durant ces deux ans. Comme je lui téléphonais régulièrement, notre relation et amitié étaient parfaitement publiques, au regard de la police secrète, le KGB. Était-ce prudent ? Je ne le savais pas. Je ne faisais que suivre sa consigne. 

Finalement tenant ma promesse, je suis retourné en URSS, en 1982.

Je décidais d’emporter avec moi, trois Bibles, dont une en russe, et un catalogue de la Redoute, dont tous les Russes sont friands.

Auparavant, j’étais allé voir la « Bibliothèque Juive Contemporaine » (BJC), pour tenter de me faire aider. Mais, ayant apprès que j’étais chrétien et non juif, elle ne semblait plus disposée à m’aider.

Arrivé au passage des douanes, à l’aéroport de Léningrad, je me suis rendu compte qu’un groupe de policier ne cessait de me suivre du regard (et ce n’était pas de la paranoïa, de ma part). Je changeais de file et ce groupe immédiatement changeait de place. Donc, j’ai vite compris qu’ils allaient me « cueillir ». Après avoir franchi, les douanes, ils se sont saisis brutalement de moi et de mes bagages. Je me suis retrouvé dans une pièce, sans fenêtre, au sous-sol, entouré d’une dizaine de policiers, dont une femme qui parlait français et servait de traductrice. Ces policiers, certainement, pour me faire peur, avaient balancé mes bagages, sans ménagement, au travers la pièce, et m’avaient obligé à me déshabiller totalement, en ne pouvant conserver que mon slip sur moi. Les policiers fouillaient minutieusement tous mes bagages, mes vêtements, mon portefeuille, tandis que la policière traductrice m’interrogeait sur les raisons de ma venue en URSS.

Pour la première fois de ma vie, j’ai été envahi par le plus gigantesque et terrible sentiment de peur, ressenti dans ma vie, une peur totalement incontrôlable, au point que j’aurais pu « pisser dans mon pantalon » ou vendre père et mère.

J’étais atterré de constater qu’ils avaient saisi mes Bibles et surtout mon carnet d’adresse, qu’ils avaient photocopiés. Or j’avais eu l’imprudence d’y inscrire les coordonnées de Boris et de son épouse, Hélène, ainsi que celle de sa mère.

Pourtant, lors de mon premier voyage en URSS, un scientifique, qui dirigeait notre groupe de scientifiques, nous avait conseillé d’apprendre par cœur, les adresses des refusniks, que nous allions rencontrer, et de n’en garder aucune trace papier. Mais j’avais oublié ce conseil.

Heureusement, dans mon « malheur », j’avais une liste de dissidents, sur un papier minuscule, que j’avais dissimulé, le faisant tourner dans ma main, comme un prestidigitateur, tout le temps de la fouille, liste que les policiers n’ont jamais découvert.

Pour tenter de maîtriser ma peur, j’ai pris le parti de jouer à l’imbécile. Je racontais que j’étais ami avec Boris, en raison de nos relations scientifiques. J’ai tellement joué au con, qu’ils ont considérés que j’étais stupide et inoffensif et ont décidé de me relâcher. Me précisant que je n’avais le droit qu’à avoir qu’une seule Bible, avec moi, durant mon voyage, ils m’ont proposé de garder une seule Bible, et j’ai alors gardé la Bible en russe. Ils m’ont laissé mon catalogue de la Redoute.

Cette expérience a été extrêmement formatrice. J’ai compris que tout le monde n’est pas égal face à la peur et que tout le monde n’a pas les qualité d’un Jean Moulin, qui ne craque jamais face à la torture et, déjà, face à des menaces purement psychologiques. Je suis ressorti de cette expérience, rongé par une terrible honte, qui a duré des années (honte de m’être surestimé, honte d’avoir « vendu Boris », pour sauver ma peau, honte de mon imprudence, en ayant emporté mon carnet d’adresse.

Voulant ne pas tenter le diable, j’ai décidé de ne jamais retourner en URSS (et même encore actuellement, de ne pas me rendre dans la Russie de Poutine, étant donné que, tout comme l’URSS, elle n’est pas un état de droit et, où, à l’inverse, règne l’arbitraire).

 

Nous sommes ensuite arrivés à l'Hôtel Europe à Leningrad, à la nuit tombée (10h locale) par temps froid et pluie fine.

 

Le lendemain, une forte pluie nous a accueillie à la sortie de l'hôtel et la température extérieure était de 16°, ce qui est peu pour un mois d'Août.

Et partout la présence militaire que j'avais déjà remarquée et constatés, il y a deux ans. Accentué par le fait que les soldats, même en permission, ne peuvent quitter leur uniforme.

 A noter qu'à la descente de la passerelle, notre avion était ceinturé d'un cordon de soldats.

 

L'après-midi, je prends un taxi pour me rendre à la première adresse d'un "refusenik[1]", laquelle on m'avait donnée avant mon départ.

 

Mais (par précaution), je fais arrêter le taxi un bon nombre de numéros avant celui précisé. L'endroit est une zone de H.L.M à perte de vue, mais boisée de bouleaux et de peupliers(?) qui poussent de manière désordonnée dans les jardins et terrains vagues entre les bâtiments.

 

Comme je cherche l'adresse, je tombe sur un jeune militaire qui très gentiment me conduit à l'endroit indiqué. Ne trouvant personne, je dois rentrer ("bredouille" et déçu) et regagne l'hôtel par un trolleybus puis par un taxi.

 

Le soir, je crois avoir perdu ma feuille de change, et ma guide française, l’apprenant, est assez affolée.

Nous nous rendons chez le policier de l'hôtel qui après de grandes palabres, sur un ton grandiloquent, au téléphone avec les autorités, nous dit que nous devons nous rendre tout simplement à la milice le lendemain.

 

Finalement, le lendemain matin je retrouve cette feuille, ce qui rassénère le guide et m'évite des démarches, sans doute, longues et fastidieuses.

 

Dans la soirée je tente d'appeler Boris au téléphone, mais le téléphone marche très mal. Je remarque que dans ce pays où le téléphone est automatique il faut quand même donner son propre numéro,  lorsqu'on appelle une autre province.

Le lundi, j'accompagne mon ami congolais qui m'emmène au Palais des mariages et à la maison des étudiants où l'on peut trouver une personne qui facilite toutes les démarches administratives dans ce pays.

Je suis étonné du nombre de papiers que doit remplir cet ami (congolais)

Dans cette maison des étudiants, la propagande _ par affiches, brochures gratuites … _ est omniprésente.

Au palais des mariages, j'ai pris deux photos de cortèges descendant l'escalier d'honneur au son du concerto N°1 de Tchaïkovski.

L'après-midi, nous sommes allés visiter Petrodvorets [ou Palais de Peterhof], le palais d'été de Pierre Le Grand ... Le "palais aux mille fontaines". En fait le parc en comporte deux cents, alimentées naturellement par des sources.

Nous avons traversé ensuite un grand quartier de H.L.M avant de nous rendre au château. J'ai noté d'importants marécages bordant la Baltique le long de notre trajet.

Des Seize (je crois?) palais des grandes familles nobles du temps des tsars, il n'en reste que très peu en état; certains transformés en Instituts, d'autres en ruine, depuis l'offensive nazie.

Je ne parlerais pas plus de Petrodvorets, cité, détaillé dans toutes les brochures touristiques et dans les nombreux guides de Leningrad.

Je dirais simplement que ce palais fût entièrement détruit durant la dernière guerre, a été entièrement reconstruit (de A à Z!) tout comme le palais de Pavlovsk, qui a été décrit dans mon précédent compte-rendu de voyage.

Le soir, je me suis rendu aux ballets sibériens. Ils ne sont pas proprement dits folkloriques mais plutôt modernes, même parfois d'un "avant-gardisme modéré".

La nuit, je me suis dirigé de nouveau à l'adresse où je m'étais déjà rendu sans succès. Cette fois-ci j'emprunte le métro qui a été construit par les Français, à une grande profondeur. Cela s'explique par le sous-sol marécageux sur lequel repose la ville.

Je trouve enfin le "refusenik" que je désirais voir. Tout d'abord méfiant, il me fait parler, puis me reçoit alors avec beaucoup d'amabilité. Il me raconte alors son "histoire".

 

En mai 1979 il demandait un visa pour Israël, ce qui a provoqué, en juin de cette même année» la perte de son emploi.

Depuis trois ans il effectue de petits travaux mineurs. Actuellement, pour l'été, il s'occupe de distribuer des coupons de transport en commun aux entreprises.

Au début de sa vie de refusenik, il avait deux correspondants, l'un Israélien, l'autre anglais. L'un d'eux lui avait d'ailleurs envoyé une invitation. Puis sans aucune explication, il n'a plus rien reçu d'aucun de ses correspondants. Il m'a demandé alors de recontacter, de sa part, le correspondant qui l'avait invité.

Sa femme était au lit, souffrant d'une rage de dents, mais très courageusement n'en a rien fait savoir et a discuté avec nous avec beaucoup de gentillesse, après avoir préparé du thé.

Leur fils est étudiant dans une école d'Ingénieurs concernant les Chemins de Fer. Pour l'instant il n'a pas été inquiété, ce qui est rare.

Pour partir le mari m'a aidé à regagner mon hôtel en hélant un des nombreux taxis clandestins (voitures civiles) qui sillonnent la ville la nuit.

Devant l'hôtel j'ai été témoin d'une scène étrange: un jeune homme, la tête ensanglantée, était entouré de policiers, tandis qu'une ambulance attendait un peu plus loin.

Cette scène n'avait hélas certainement rien de spécial mais la maladresse du portier qui voulait détourner mon attention de celle-ci en me poussant dans l'ascenseur, contribuait bien au contraire à me poser des questions.

 

Le mardi, avec le groupe touristique, j'ai visité Saint-Isaac (?), une immense cathédrale, monumentale, à la décoration classique néo-baroque.

 

La "sensation" d'une scandaleuse richesse y persiste, malgré la disparition de son mobilier vers les années vingt,  après l'expulsion des religieux ayant refusé de participer à la Révolution, par des dons réclamés par les soviets lors de la grande famine due à la guerre civile. L'église est devenue depuis un musée.

 

Je me suis souvent promené dans Leningrad et j'ai été très étonné du nombre considérable de chaussures de sport de style américain, des lunettes "Ray Ban" portées par deux tiers des gens alors que l'on sait que tous ces objets viennent en fraude !  

 

Pour ma part, je soupçonne que tous ces arrivages ne sont pas dus uniquement aux touristes (vu le contrôle à la douane!) mais organisés à un échelon officiel.

L'après-midi, nous avons visité le Célèbre musée de l'Hermitage, un des plus beaux du monde. (Comme je l'avais déjà visité et que le récit de cette visite est déjà transcrit, lors de mon précédent voyage, je m'arrêterai là).

Le soir, je suis allé dans des librairies, j'ai eu l'impression qu'il y avait encore moins de livres qu'il y a deux uns mais encore plus de livres de propagande.

 

Je me suis amusé aussi à comparer le nombre de gens qui lisent dans le métro parisien, avec celui de Leningrad (hors heures de pointe), l'avantage allant à notre capitale. J'arrêterais là ce genre de comparaison qui peut être entichée de subjectivité.

 Par contre, ce qui n'est pas subjectif, c'est que les prix ont augmenté depuis deux ans et ne sont plus très intéressants pour le touriste. Le taux de change officiel étant 1 R pour 10 F.F

Après cette tournée des librairies, je me suis rendu à pied au musée de l'Athéisme mais l'accès m'en a été refusé en raison du fait qu'un étranger ne peut le visiter qu'en groupe touristique, m'a-t-on précisé.

Le soir, avec mon ami congolais, nous nous sommes rendus chez une amie de Ludmila, la future femme de celui-ci.

Cette amie possédait un joli appartement décoré avec un certain goût par rapport à la moyenne dans ce pays. Le papier peint était différent et choisi avec une certaine recherche—on le ressentait. Une petite chaîne HI FI et un piano étaient présents. L'ensemble était jeune et féminin.

                  

 Cette femme, d'environ 35 ans, célibataire avec une petite fille, nous reçus en robe de chambre. Elle s'était foulé la cheville et était en congé maladie.

Mon ami avait apporté une bouteille de Whisky et tous voulaient que je boive "à la russe". Mais poliment j'ai refusé. Je sais trop bien que cela est une plaisanterie que l'on réserve aux étrangers de passage !

 Petit à petit, au fur et à mesure que la soirée s'avançait, la femme se montrait de plus en plus "affectueuse" avec moi. Elle me dévoila son désir de venir en France. Finalement elle me déclara qu’elle souhaiterait bien m'épouser. Ne me sentant aucun "atome crochu particulier" avec elle je m'esquivais aussi adroitement que je le pouvais. De plus, cette femme rêvait, car ce genre de démarches sont longues dans ce pays, comme je l'ai déjà dit.

Un ami, collègue de travail, m'avait affirmé, que si je voulais épouser une Russe. Il suffisait que j'en fasse part à une soviétique en lui précisant le type souhaité. Elle me ferait rencontrer, dans les jours suivants, une personne répondant à ma description!

Ce même ami m'a dit qu'il avait l'adresse d'une entremetteuse qui s'occupait de ce genre d'union de femmes russes avec des étrangers.

 

Pour revenir à Diana, c'est ainsi que s'appelait cette entreprenante soviétique- elle portait une croix chrétienne autour du cou. D'abord j'ai pensé que cela confirmait mes informations sur un renouveau religieux en U.R.S.S (j'en parlais dans mon précédent compte-rendu) et ainsi que me l'avait précisé mon ami congolais.

 

Mais j'ai appris par la suite que cela était un signe de coquetterie sans signification particulière, et l'on peut voir actuellement beaucoup de ces croix ou médailles de la Sainte Vierge orner la poitrine des soviétiques.

Toujours au sujet de Diana, mon ami congolais a eu une phrase très significative, selon lui -Staline et la guerre ont tué beaucoup de maris- ce qui peut expliquer le grand nombre de femmes non mariées en U.R.S.S.                                             

Durant tout mon séjour à Leningrad, tous mes essais pour téléphoner à Boris[2] sont restés sans résultat.

Mercredi nous avons pris l'avion pour MOSCOU. Ici, il me faut rattraper une justice commise dans mon dernier récit en mentionnant que le service fourni sur les lignes intérieures n'était pas exceptionnel. En fait le service d'Air Inter est équivalent.

Nous sommes arrivés à Moscou sur un nouvel aéroport construit par les Allemands. Je dois préciser que mon ami congolais n'est pas arrivé par cet avion, mais le lendemain, pour régler cette affaire de valises.

L'après midi de ce mercredi, je me suis rendu dans le sud de Moscou, chez Boris, mais je ne l'ai pas trouvé.

 

Alors finalement je me suis rendu à l'adresse d'un refusnik très connu, Mr Braïlovsky. Actuellement en exil pour 5 ans, dans l'Ouzbékistan.

Au moment où j'arrivais, sa femme était en train de faire des préparatifs pour aller voir son mari.

 

Elle m'a demandé de passer des photographies du mariage de son fils, puis finalement, peut-être par méfiance, ne me l'a plus proposé.

Par contre, elle a accepté un badge de Solidarnosc et une cassette que j'avais apportés.

Elle m'a signalé l'adresse d'un refusnick à aider.

 

Après lui avoir téléphoné, ce dernier m'a donné rendez-vous, place Smirnov, à côté de l'Hôtel Metropol où j'étais descendu.

Un inconnu s'est assis à côté de moi, dans le métro, en me disent "Pardon" en français.

Surpris, je lui ai répondu en français puis en anglais et une conversation à bâtons rompus s'est engagée.

Il a commencé par m'affirmer qu'il était sibérien puis par m'avouer qu'il était du Birobidjan, Etat juif de l'Union soviétique, situé à la frontière de la Mandchourie.

Il m'a raconté, avec une certaine complaisance, comment Staline avait envoyé (exilé, concentré) les juifs dans cet Etat et comment. Oh surprise, les juifs installés dans cette terre ingrate, eurent l'interdiction de pouvoir repartir.

II se dit Balouche[3], par sa mère, et juif, par son père. Un soi-disant médecin, ayant accompli son service en Afghanistan et avait séjourné en Pologne.

Ses gestes étaient modérés (mesurés) mais peu sûrs(?). Il remplissait lentement sa pipe tout en parlant vite.

Il paru surpris quand le dissident avec lequel j'avais rendez-vous, arriva.

 

Au cours de ma conversation avec ce "judéo-balouctche", je restais très poli mais méfiant. Je le plaignis sans trop m'engager, en lui disant "Comme cela a dû être dur" au sujet de son service militaire.

Cette personne me semblait être un affabulateur ou un provocateur. Deux jeunes,(assis) à côté de moi, m'avaient demandé si je n'avais pas des jeans et des chaussures de sport américains.

 

Cet incident m'en remémore d'ailleurs un autre, survenu ce même jour dans le métro. Un jeune homme vêtu d'un blouson et pantalons blancs, et d'une chemise rouge, me voyant un peu désorienté, m'aborda en me demandant s'il pouvait me renseigner. Il me déclara être étudiant en Beaux Arts, me montrant un livre sur un musée de Moscou.

Finalement en vînt à ce qu'il avait repéré dans mon sac plastique : les cassettes magnétophones que j'apportais à Boris. A partir de ce moment, cet interlocuteur (?) se révéla très insistant, voulant m'acheter tout ce que j'avais sur moi. Ayant peu envie de l'avoir sur mon dos et besoin de ne pas être suivi, je lui cédais 12 cassettes.

 

Par ailleurs il me proposa un change particulièrement avantageux, 100 FF pour 40 roubles (le taux le plus élevé ayant été proposé à un Français de l'Hôtel étant de 50 roubles) Là encore, la prudence me recommandait de refuser.

 

Par suite d'une erreur, lorsque je me rendais à l'appartement de Boris, j'étais tombé, semble-t-il, chez un militaire. Ce dernier m'avait reçu froidement et on pouvait constater, dans cet appartement, identique à celui de Boris, un parquet vitrifié, un grand nombre de meubles laqués et foncés et même une chaîne HI-FI.

 

Pour revenir à l'épisode de mon contact avec le refusnik proposé par la femme de Boris, celui-ci me conduisit chez lui. Sa femme, une blonde bien "enveloppée", me serra la main avec beaucoup d'amabilité.

Ayant pris connaissance de l'incident du "juif sibérien" de la place Smirnoff, il me recommanda d'être très prudent, surtout après ce qui m'était arrivé à 1'aéroport. J'étais certainement fiché depuis mon premier voyage en U.R.S.S , en raison de ma correspondance suivie avec Boris.

 

Mon hôte m'exposa sa situation : Refusnick depuis trois ans, il avait perdu son poste de professeur en cancérologie expérimentale, malgré la notoriété que lui avait apporté la rédaction de trois livres et d'une une centaine d'articles scientifiques.

 

Il me demande alors de passer la frontière avec une cassette exposant sa situation et de l'adresser au Directeur de la 13eme conférence internationale sur le cancer, à Seattle aux U.S.A, cette conférence s'ouvrant 15 jours plus tard.

Ce qui m'impressionnait était l'énorme bibliothèque de la salle à manger par rapport à la pauvreté de l'ameublement.

Le lendemain j'eu de nouveau rendez-vous avec lui (Josif). II m'emmena dans l'appartement de sa mère, une femme âgée. Celui-ci était particulièrement dénudé avec comme seules richesses, un poste de télévision et un vieux lit paysan, datant certainement d'avant la révolution.

Josif me remît alors la cassette, avec beaucoup de recommandations et d'inquiétude.

Le jour même, l'après-midi (du même jour) après une visite au musée Roublev, connu par ses icônes, je me rendis de nouveau chez Boris.

J'avais pu enfin le contacter par téléphone et le prévenir de ma visite. Il m'attendait depuis deux jours et célébra mon arrivée par une bonne bouteille de vin et un gâteau. L'ameublement de son appartement n'avait pas changé. Il était seul, Helen étant à la campagne et son fils aussi.

Il m'informa de la naissance, il y a deux mois, de son deuxième enfant, une petite fille. J'eu l'occasion de la voir, plus tard, à sa datcha.

 

Nous parlâmes longtemps ensemble, toute la soirée. Boris me renouvela, au cours de la conversation, ses opinions libérales et son soutien inconditionnel à Israël, et, en particulier, l'opération israélienne de l'été 82 au Liban.

 

Il m'a été dit plus tard, par un Français qui l'avait visité, que le K.G.B. était venu chez lui à la-suite des activités (organisations de séminaires scientifiques) et qu'il avait l'interdiction de quitter la région de Moscou.

 

Cette information répondait peut-être à la question de savoir pourquoi tous mes essais de coup de fil pour les joindre avaient été vains.

Une autre information - Boris ayant un travail qui ne correspondait pas à sa qualification (Docteur en Maths et sciences) gagnait tout de même 190 roubles par mois ce qui semblait confirmer qu'il bénéficiait d'une situation spéciale (privilégiée) pour un refusnik.

J'ai supposé - mais cela n'est qu'une supposition - que Boris bénéficiait peut-être d'une protection occulte.

 

Le lendemain, je devais rencontrer Boris dans le métro et lui cédait mon sac de cadeaux. Je trouvais qu'il prenait des risques en l'acceptant (recevant) au su et vu de tous. Il s'était équipé pour cela d'un sac à dos et d'un sac de voyage.

L'après-midi, mon contact suivant fût un ami de Boris qui avait aussi perdu son travail depuis trois ans.

 

[4]Pour une raison inconnue, je me suis senti très mal à l'aise dans son appartement. Peut-être, croyant (pensant) être inquiet pour Boris, je fis part (communiquais) mon anxiété à cet ami. Celui-ci me rassura en me disant qu'il n'y avait rien à « craindre», lui-même ayant été pris par la milice à recevoir des livres d'un étranger (dont une histoire du peuple juif) et n'avait pas été inquiété outre mesure pour cela).

Sa femme me raconta la triste histoire de sa mère, mise en camp de concentration de la Kolima. De 1938 à 1948, ce pour avoir rédigé, à l'âge de 14 ans, une affichette publique pour protester contre l'abandon des enfants des Koulaks, déportés et condamnés à une mort lente, au moment de la grande famine des années trente. C'est ainsi que j'appris que "l'archipel du Goulag" circulait clandestinement en U.R.S.S.

 

Mes hôtes, au cours du repas qu'il m'avait offert, me demandèrent d'essayer de retrouver des parents enfuis en Occident, vers les années vingt.

Nous parlions bas car nous craignions que le téléphone, resté branché pour recevoir un coup de fil de Boris, puissent servir de moyen d'écoute pour le K.G.B. Mes hôtes me dirent que "La voix de l'Amérique" était maintenant plus écoutée, car plus sérieuse que vers les années 50. Vers 15h, Boris appela et m'indiqua un lieu de rendez-vous, situé à côté de la gare, duquel nous nous rendrions à la maison de campagne construite par son grand-père.

 

Nous partîmes ensemble dans un train de banlieue bondé et j'avais la consigne expresse de ne pas ouvrir la bouche (et de faire passer pour un sourd et muet, en cas d’incident, si un Russe tentait de m’interroger).

 

A environ 40 Kms de Moscou, nous descendîmes et marchâmes longtemps dans une forêt quadrillée de clôtures en bois entourant des datchas du même matériau.

Arrivés à la maison de Boris, nous rencontrâmes sa sœur qui ne parlait malheureusement aucune langue étrangère et resta ainsi en dehors de la conversation.

La maison était assez rustique» avec de vieux lits en bois, taillés grossièrement à la hache. Il y avait une véranda, un poêle à bois, en briques, dans la pièce centrale, et aussi deux vieux fauteuils sculptés et effondrés, datant d'avant la révolution, et pouvant provenir du pillage d'un château.

La cuisine était située dans une petite bâtisse séparée. Dans la remise attenant à la cuisine, étaient entreposées des bicyclettes.

Boris me dit que dit que cette maison avait été construite par son grand-père et que celui-ci y avait consacré toute sa vie.

Elle ne pouvait être utilisée en hiver, ses murs de planches n'étant pas assez épais.

D'après Boris, les autres maisons en bois voisines n'étaient pas toutes des résidences secondaires mais des habitations principales de travailleurs se rendant chaque jour à Moscou.

Le soir, après un repas frugal composé de potages et de légumes, des amis de Boris vinrent  et discutèrent avec moi au sujet de la Franc Maçonnerie. Ils étaient vivement intéressés et m'apprirent qu'Alexandre 1er fût Franc Maçon.

Helen, à qui je disais mon étonnement devant la possibilité des jeunes de pouvoir écouter des cassettes de musique dans le train qui nous amena à la campagne me déclara que cela n'était pas prohibé et ajouta que cela devait être des jeunes sans culture. Cela en raison de la difficulté de trouver des cassettes, aussi difficilement que des livres et que par conséquent ne pouvant se procurer les deux, leur choix indiquait leur niveau culturel.

 

Elle me redemanda de lui envoyer des pointes lavables pour bébé, ce que je fis plus tard, les lettres qu'elles m'avaient envoyées à ce sujet, ne m'étant pas arrivées.

Après cette discussion, je décidais, par prudence, ne pas rester dans cette datcha isolée, pour la nuit.

 

Boris me raccompagna (à la gare)  et me posa beaucoup de questions, sur ma vie, mon travail; il m'informa qu'un voyage équivalent au mien lui coûterait 7 fois son salaire! Il me transmit un message pour un Israélien qui l'aidait.

Dans le métro, je vis plusieurs personnes ivres mortes. Un policier avait tenté d'en relever un devant moi puis y avait renoncé. J'en vis aussi beaucoup sur de nombreux quais de gare. Je devais bien me rendre à l'évidence que l'alcoolisme, en Union soviétique, décrié par l'Occident, n'était pas dû à une mauvaise propagande mais une réalité, surtout observée un vendredi soir, alors qu'il n'y a qu'un seul jour de congé, en U.R.S.S, le dimanche.

 

Boris me serra chaleureusement la main et nous nous quittâmes. Il me réitéra son désir, quel que soit son "possible silence" que je continue à lui écrire et à le contacter. Il me demanda de revenir le plus tôt possible en U.R.S.S.

Le lendemain je visitais le Goum. Oh surprise, maintenant des bas à 7 roubles, du vin supérieur à 2 R, du Champagne à 7, et aussi des calculatrices simples en vente à 50 R. Trois queues étaient visibles, l'une pour des pull-overs très fins, de style occidental, une autre, pour du beurre et la dernière, pour de la saucisse (2 R 20 le kilo).

La queue pour la saucisse était la plus longue et des femmes se disputaient et criaient avec autorité devant les serveuses.

Des policiers regardaient la scène sans trop intervenir et étaient copieusement injuriés.

 

J'eu la possibilité, à la fin de mon voyage (?), d'assister à l'arrestation mouvementé d'un changeur au noir (de roubles) ceinturé par des miliciens en jeans et chemises à carreaux.

 

Sur notre retour à l'aéroport nous eûmes à subir trois barrages successifs - Bagages, passeports, portiques magnétiques.

La cassette du cancérologue était portée par un vieux monsieur, Dr de son état, qui avait eu la gentillesse et le courage de bien vouloir s'en munir. Il fût inquiété un instant, par le détecteur de métaux, qui sonna à cause ... de ses bretelles métalliques, mais la cassette ne fût pas découverte.

 

C'est ainsi que se termina ce deuxième séjour en U.R.S.S.

 

Epilogue :

 

Suite à ma visite, et mon erreur d'avoir emporté mon carnet d'adresse où le nom de Boris figurait, et du fait que j'apportais des Bibles, ou bien à cause du fait qu'il a maintenu notre relation coûte que coûte, Boris avait été exilé dans l'Ouzbékistan pour 1 ans.

Ensuite, Boris m'a demandé de ne plus lui écrire.

Triste épilogue d'une amitié et aventure, de 2 ans.

 



[1] Un citoyen de l'Union soviétique qui s'est vu refuser l'autorisation d'émigrer, en particulier une personne juive interdite d'émigrer en Israël. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Refuznik_(URSS)

[2] Voir mon précédent récit de voyage en URSS en 1980.

[3] Le Balouchistan est situé aux confins de l'Iran et de l'Afghanistan.

[4] La vraie raison était que mon visa m’interdisait de sortir des limites de Moscou. Or devant me rendre à plus de 40 km de Moscou, j’étais dans l’illégalité.