VOYAGE EN ALGERIE en août 1973

 

Par Benjamin LISAN. Dernière mise à jour en 1979.

 

Je décollai pour ce beau pays, à l'aéroport d'Orly, au début du mois d'août 1973.

 

A l'arrivée au-dessus de l'Algérie, nous survolâmes les grands domaines agricoles céréaliers assez desséchés des environs de Rouïba situé à l'est d'Alger, avant de nous poser sur l'aéroport d’Alger.

 

Les fermes de cette région sont construites dans le style provençal.

 

A Orly, j'ai aussi mal passé la frontière qu'une personne ayant oublié sa carte d'identité. En effet, je l’avais oubliée dans mes bagages, enfermés dans la soute de l'avion, prêt au décollage [1]. A l’inverse, à Alger, je passai la frontière comme une lettre à la poste : mes hôtes prévenus l’avaient récupéré dans mes bagages dans le hall d'arrivée des valises et me 1'avaient remise à travers les grillages de la douane, avant que j’arrive moi-même au contrôle des papiers.

Ouf ! le principal, c'est que je sois passé.

 

Après avoir rempli les formalités d'usage et la fiche de déclaration de devises — fiche à remplir traditionnellement dans tous les pays socialistes [2] - j'ai fait le change à la banque de l'aéroport pour acquérir des dinars algériens - monnaie inconvertible — et ensuite nous partîmes en direction de la ville en passant devant l'aérogare des lignes aériennes intérieures très bon marché dans ce pays (comparativement aux lignes intérieures françaises).

 

Le ciel algérien, en août, était d'un bleu profond et le temps très chaud. La route de l'aéroport était bordée de jolis palmiers courte de taille et de champs de légumes. Certaines cultures poussaient sous serres plastiques, mais le film plastique qui les recouvrait était lacéré et arraché. L'hôte qui me recevait en Algérie m'indiqua, que les agriculteurs ne regardent pas à la dépense étant donné la subvention de l'agriculture ici. Nous sommes passés devant un bâtiment ultra-moderne aux vitres réfléchissantes. C'est ici qu'est élaboré le plan dirigiste déterminant l'avenir économique du pays. Puis, nous avons traversé une zone industrielle ; les entreprises nationales étaient repérables par leur nom commençant par " SONA...".

 

Nous sommes passé au-dessus d'une petite rivière l'oued El Ara ah, recueillant toutes les eaux usées de la ville et ayant leur odeur caractéristique. Puis nous avons longé la mer et une grande gare de triage dans le quartier d'Hussen Dey, où des wagons de marchandises français neufs et très anciens se côtoyaient. Puis nous passâmes devant les entrepôts du port, dont la plupart visiblement datent d'avant l'indépendance comme l'immense majorité des immeubles d'Alger. De notre route longeant la mer, une vue magnifique s'offre d'Alger la blanche, la ville tant décrite par les marins et les poètes, et dont l'origine remonte à la plus haute antiquité.

 

Dans la baie d'Alger, un grand nombre de bateaux étaient ancrés attendant le déchargement en raison des longs délais des ruptures de charge dans ce port.

 

Nous sommes arrivés ensuite à la place de la Grande Poste de laquelle - et dans son prolongement - on peut apercevoir le gigantesque hôtel El Aurassi (5 étoiles) le plus grand et le plus cher d'Algérie. Mes hôtes résidaient au 24 boulevard Zirout Youcef,  une magnifique avenue suspendue bordée par de très beaux immeubles blancs 1900 à arcades, d'un côté, et par la voie de chemin de fer en contre bas, conduisant à la gare d'Alger. Leur appartement en front de mer, avec vue sur le port et la mer était magnifique : plafond à moulures, jolis meubles anciens trouvés chez les antiquaires d'Alger. (En effet la plupart de ces meubles avaient été laissés dans le pays au moment de 1'indépendance par les colons français. La plupart des immeubles d’Alger, qui ont dû être luxueux, datent de la colonisation).

 

Après nous être installés, nous avons fait un rapide tour de la ville.

 

Ce qui nous a frappé après avoir atteint la place de la grande poste où s'arrêtent des vieux bus Pegazo bleus, bondés, c'est la densité de la foule dans les rues d'Alger. 20 % à 30 % des femmes sont voilées.

 

Notre première visite fut la Grande Poste d'Alger : un très bel édifice dans le style néo-mauresque, avec un immense plafond décoré d'arabesques en reliefs, construit en 1913.

 

Les guichets aux laitons polis sont minuscules comparativement aux dimensions de la salle.

En face dans la devanture d'une librairie nationalisée, j'ai eu la surprise de découvrir un traité de viticulture (culture de la vigne), ce qui est incongru dans ce pays à la strict orthodoxie islamique. Il est resté plus tard, plusieurs années en librairie.

Ensuite nous avons suivi la rue Didouch Mourad, la rue la plus fréquentée et la plus commerçante d'Alger. Elle est bordée par des magasins d'apparence riches, de nombreux cafés et de petits arbres semblables aux orangers. Les rares magasins d'état de la rue - un drugstore et un ancien monoprix nationalisé à l'indépendance - sont en général mal achalandés.

 

Cette rue passe en dessous de l'université d'Alger, aux bâtiments méditerranéens vieillots et charmants entourés de petits jardins sans gazon. Cette voie comporte un grand nombre de librairies privées avec une seule d'état et un bouquiniste. J'ai constaté en y entrant que les livres étaient variés et de toute tendance, la plupart en français,

Cette variété peut sembler assez étonnante pour qui a connu d’autres pays socialistes autoritaires. Le socialisme algérien semble à première vue moins rigide qu'on le dit, ou bien sa censure serait moins pesante que celle des pays de l'est.

 

J'y ai vu des livres de Raymond Aron, Jean-François Revel, ou des livres américains des éditions Time-Life. Les éditions Maspéro sont très singulièrement représentées ici. Chez le bouquiniste et dans une petite librairie située dans un passage, souterrain sous la rue Didouche Mourad, j'ai trouvé un grand nombre de livres de science-fiction et quelques livres sur les phénomènes parapsychologiques, et des livres en langue française des éditions MIR, venant d'U.R.S.S., en raison peut-être de leurs prix très bon marchés.

 

Une boulangerie de la rue Didouche Mourad s'appelle "La boulangerie parisienne", avec des décors parisiens 1900 luxueux, mais le pain, comme tous les pains algériens, qui y est délivré a une mie de pain plus lourde et moins blanche que celle du pain français.

 

Au café peu entretenu des étudiants de la rue Didouche Mourad, j'ai pu en prêtant bien l'oreille écouter des conversations de jeunes exprimant leur opinion sur la politique étrangère de la France et d'Algérie. En général, ils désapprouvaient l'implantation de la France dans les Comores et à Djibouti.

La circulation dans les rues d'Alger semble très dense et les embouteillages sont nombreux vers 6h du soir. C’est vers cette heure que nous sommes retournés à notre domicile.

Dans la rue, j’ai constaté que les hommes ont ici l'habitude de cracher sur le sol.

 

A côté de l'entrée d'un tunnel routier de la faculté d'Alger, était suspendu une banderole où il était écrit "la révolution pour le peuple et par le peuple". C'est un rare exemple de la propagande du régime dans les rues. En général, la propagande dans les rues en Algérie est quasiment inexistante contrairement aux autres pays socialistes. Mais à l’inverse, le conditionnement dans les écoles est très important. La majorité des étudiants algériens ne remettent pas en cause l'idée que le socialisme est le meilleur régime pour la société algérienne et il ne semble pas qu’il y a beaucoup d’opposition au régime dans les facultés (informations communiquées par mes hôtes).

On rencontre souvent dans cette rue des jeunes algériennes émancipées et élégantes - par opposition à celles qui gardent le voile. Parfois cette émancipation semble excessive : nous avons vu des jeunes femmes porter des bottes et des pantalons noirs en plein mois d'août. Le long de cette rue, des marchands de journaux vendent à la sauvette E1 Moujahïd (le quotidien national, organe du parti unique F.L.N., en deux versions l'une arabe, l'autre française), le Monde (le plus vendu après El Moujahïd, quelque fois censuré), le Figaro (souvent censuré).

 

J'ai découvert dans le quartier une maison de la bible. Toutefois la liberté de propagande, pour les religions autres que l'Islam, n'existe pas et cette maison constitue un exemple unique.

Les rues d'Alger sont assez animées en raison de l'énorme densité de population qui y vit. Avant l'indépendance, la ville était prévue pour 800 000 personnes, 900 000 avec la construction de quelques HLM dans le quartier d'EL BIAR. Elle logerait maintenant, d'après les estimations, officieuses, 2 millions d'habitants [3]. Il n'est pas rare de trouver une famille de 8 personnes dans un deux-pièces avec en plus le mouton, au moment de la fête de l'Aïd El Kebir.

 

Pendant une dizaine de jours, j'ai eu l'occasion de visiter Alger à pied ou en autobus. Celui-ci étant subventionné, il ne coûte pas cher. Nous avons commencé par des promenades le long des rues.   

Le rêve de Boumediene de 50 millions d'habitants semble devoir se réaliser [4] : partout des jeunes jouant au football avec des boules de chiffons, ou parfois se battant violemment (Le football est le sport national du pays).

J'ai voulu visiter l'hôtel E1 Aurassi et pour cela je suis monté par le boulevard Hohamed Khemisti qui s'élève par une série successive d'escaliers jusqu'à l'esplanade de l'Afrique devant le vaste Palais du Gouvernement, haut de 8 étages, qui se tient la Présidence du Conseil.

Après le square bien entretenu, j'ai emprunté l'avenue du Docteur Frantz-Fanon qui passe devant la Bibliothèque nationale, vaste bâtisse dans le style colonial, la plus grande d'Algérie avec 650 000 volumes. En continuant cette rue, j'ai trouvé l'hôtel El Aurassi, un énorme bâtiment parallélépipédique de 8 étages. L'intérieur de cet hôtel, souvent vide, les deux derniers étages étant fermés, est luxueux et froid.

 

Cet immeuble construit par des Italiens, a la particularité de glisser très lentement sur le terrain de schistes altérés, gorgé d'eau, sur lequel il est construit.

 

Plus loin ce même terrain vers le sud, en contre-bas du quartier d'Hydra et de l’avenue Souidani Boudjama a déjà subi des glissements de terrains et une petite route qui y grimpe, devenue montagne russe, a été fermée finalement à la circulation. Une curiosité au bord de cette avenue est un pavillon rosé penché à presque 30°.

La ville d'Alger n'est pas très propre sauf le quartier résidentiel d'Hydra, parsemé de luxueuses villa anciennes et modernes, siestes d'ambassades ou villégiature de la haute bourgeoisie d'état. A côté du ravin qui borde le côté nord d'Hydra, au bord d'une rue qui monte de ce ravin puis tourne à gauche dans Hydra, se trouve le palais secret du président Boumediene repérable par un haut mur blanc et une guérite de soldat à l'entrée [5].

 

Au-dessus de ce quartier avait réussi à survivre une minuscule charcuterie. Je ne sais pas si elle a survécu avec les lois interdisant l'élevage du porc en 75. Il n’y avait que 2 endroits à Alger vendant du porc : une épicerie Boulevard Mohamed V et cette charcuterie. L’Algérie vit dans une grande rigueur islamique, qui a été renforcée après 73.

J'ai aussi emprunté le boulevard Zirout Youcef — qui forme le front de mer - en passant devant la Wilaya (préfecture) d'Alger, de style néo-mauresque dans les tons verts (l913), puis l'hôtel de ville fie style néo-classique froid (l936) dans lequel sont souvent donnés des expositions temporaires de peintures modernes, puis devant l'hôtel Aletti dans le style des années folles, devant la Banque Centrale d'Algérie, avec une cour intérieure décorée de marbres et d'onyx algériens pour déboucher sur la Place des Martyrs, et devant la mosquée hanéfite de la Pêcherie (1660).

 

Son unique minaret carré et large, abrite une horloge. Après m'être déchaussé selon la coutume islamique, j'ai pénétré dans l'édifice pour y découvrir un bassin a ablution, puis une grande salle couverte de tapis, avec suspendu au plafond ouvragé des grands chandeliers. Aucun tableau figuratif, mais seulement des paroles du Coran accroches aux murs. Contrairement aux chaires auxquelles on accède par un escalier en spirale en Europe, ici on accède au minbar (chaire) par un escalier droit (ici en marbre sculpté) tourné vers l'intérieur de la mosquée.

 

Tout proche de la place des martyrs, on peut découvrir le quartier de la Casbah, le quartier de Bab el Oued et 1'amirauté, une forteresse turque (XVII° siècle) située sur une jetée, qu'il est interdit de photographier à cause de son usage militaire. La jetée et le Yacht Club attenant, est la "plage" et le rendez-vous de toute la gentry d'Alger. Pour s'y rendre, il faut une autorisation spéciale, liée à la condition d'être membre du Yacht Club.

 

Le quartier de Bab el Oued est l'un des plus surpeuplés d'Alger. Les façades de la plupart des beaux immeubles 1900 sont lézardées, le linge est étalé sur les balcons, les cages d'escaliers sont particulièrement dégradées et le temps où les ascenseurs fonctionnaient semble à jamais révolu.

 

Plus tard, je suis parti avec le gardien de mon immeuble Ladjal dans le quartier de la Casbah. Notre première visite fut la grande mosquée malékite (XI°) située juste à côté de la mosquée de la Pêcherie. L'édifice avec sa cour à ciel ouvert orné de deux fontaines, laisse une impression de grande simplicité. La grande salle possède 72 piliers quadrangulaires blanchis à la chaux.

 

La mosquée suivante, la mosquée de Ketchaoua (l794) n'est pas strictement authentique puisque l'intérieur riche de style mauresque a été décoré par les Français. Au XIX° siècle la mosquée fut transformée en cathédrale par les colonisateurs français et deux ailes formant transept lui ont été rajoutées. Une plaque en français et arabe, à l'entrée, commémore la restitution de l'édifice au culte musulman en 1962.

 

La plupart des plaques françaises des rues ont été retirée et remplacée par des noms arabes. Mais il reste quelques survivantes des noms français : rue du général Cavaignac, bar le Condé, restaurant du Berry, hôtel Aletti, hôtel Saint Georges, quartier de Fontaine-Fraîche, Maison Carrée etc....

Le quartier de la Casbah (turc du XVII° s.) commence juste au-dessus de la mosquée.

Ladjal, mon guide, me conduit à travers les dédales des rues étroites et sales entre les maisons de 3 à 4 étages à toits niais s'enchevêtrant les unes dans les autres : la Casbah est restée inchangée depuis le tournage du film "Pépé le Moko".

Il me vente ses exploits de résistant contre les parachutistes de Bijard, pendant la bataille d'Alger, avec des petits airs gênés. Il m'affirme être passé à la Gégène (tortures à l'électricité). Je dois avouer que je reste sceptique, car beaucoup d'algériens se ventent d'exploits de résistants après coup et le label "Résistant" n'est guère vérifiable ici.

Il nous a indiqué pratiquement toutes les traces de rafales de mitraillettes sur les murs du quartier et l'emplacement de deux maisons ayant sauté et n'ayant jamais été reconstruites.

 

Nous avons visité la mosquée de Sidi Abd Er Rahmane (l730) — le saint de la ville que viennent consulter des femmes pour des problèmes de fécondité - qui comprend la mosquée elle-même avec un gracieux minaret carré à étages d'arcatures, où brillent des revêtements de faïence, et une Koubba, décorée sur le pourtour des colonelles et renfermant le tombeau du Saint. Elle abrite un catafalque enrubanné de tissu vert remontant à une extrémité en pointe, ornée de drapeaux et d'ex-voto. Juste à côté il y a un lycée de style mauresque surmonté d’une grande coupole.

Nous avons pénétré dans une maison de la Casbah appartenant à des parents de Ladjal, située dans une ruelle sombre et étroite, à cause des nombreux balcons fermés soutenus par des troncs d'arbres mal équarris, qui s'avancent de chaque côté de la rue.

Cette maison de trois étages possédait une petite courette intérieure, un robinet d'eau au milieu, et un escalier ouvert sur la cour. De la terrasse où séchait le linge située au sommet, on pouvait apercevoir toute la ville. A l'intérieur de la maison peu astiquée plusieurs familles se côtoyaient et les femmes étaient dévoilées.

 

Les échoppes des commerçants des rues du bas de la Casbah, de taille réduite, offraient tous les produits traditionnels :

 

Henné, Khôl, parfums musqués, voile de femme en soie blanche (haïk), voilette de tulle se posant sur le nez (adjar), service à thé en cuivre martelé...

En bas de la Casbah, une église XIX° siècle en néo-gothique qui avait brûlé, était en voie de démolition pour laisser la place à une mosquée, d'après ce qui était inscrit sur un panneau,

 

Nous sommes revenus par la rue Ben Mehdi Larbi bordée par les magasins du Bon Marché et des Galeries Algériennes - magasins d'États mal approvisionnés - de style néo-mauresque et traversant la place de l’Emir Abd El Kader, ayant à son centre une statue équestre de ce héros national placé sur un socle énorme (Je crois qu'avant l'indépendance une statue du maréchal Bugeaud, y trônait).

 

Suite à cette visite, mes hôtes m'ont emmené dans un très bel hôtel au cadre anglais, l'hôtel St Georges, comportant de belles collections de meubles mauresques anciens et de très beaux tapis.

 

Comme dans la plupart des établissements hôteliers nationalisés, les consommations proposés n'étaient pas disponibles. D'ailleurs dans ces hôtels, les appareils tombant en panne mettent longtemps à être réparés.

 

Pendant mon séjour, je me suis rendu aux différentes bibliothèques et celle du Centre Culturel Français située dans la rue derrière chez moi et j'ai remarqué qu'elles étaient bien fournies et d'accès facile.

 

J'ai été impressionné, dans mes balades, par la profusion des drapeaux dans les rues. Ils y sont accrochés en permanence. Je crois que cela est dû au fait que les Algériens en général, sont très nationalistes, nationalisme renforcé par la propagande de l’état.

 

Je me promenais souvent avec mon teckel. Les chiens étant très rares en Algérie, sauf en Kabylie où vivent des chiens de style "dingo jaune", il attirait souvent les regards des passants.

 

J'ai pu rentrer avec le plus parfait naturel dans le port d'Alger dont l'accès est interdit. Des sacs de sucre venant de France étaient en cours de déchargement. Le quai semblait couvert de neige.

 

J'ai cherché les cinémas d'Alger, ils ne sont pas nombreux et sont assez anciens. Beaucoup de films arabes y passent, en particulier égyptiens, sans toutefois constituer la majorité des films. Les films pornographiques sont interdits dans le pays.

 

Je faisais parfois les courses avec mon hôtesse et nous étions souvent obligé s'attendre dans les queues, à cause de la pénurie permanente régnant dans le pays, pour obtenir certains produits : huile, tomate... (En Algérie, les queues devant les magasins s'appellent des chaînes).

 

Le marché noir est important dans le pays. Lorsque la viande de mouton vint à manquer, suite à une grève des éleveurs qui s'opposaient à la taxation de leur produit, je trouvais au marché noir cette viande à trois fois le prix de son cours officiel. Je me souviens, par exemple, avoir cherché des prises multiples dans tous les magasins d'Alger, sans en trouver, sauf au marché noir.

 

Le porc est difficile à trouver mais c'est surtout pour une raison religieuse. Le vin est facile à trouver, car deux magasins tenus par des kabyles en vendent. Je dois noter au passage que les vins algériens sont excellents. Les crus les plus connus sont La Cuvée du président, domaine de Bouchaoui, vin Fruité, Miliana, d'une grande finesse, Medea, moelleux, Tlemcen, très fin et Mascara, agréablement bouquetés. Ces vins sont peu vendus dans le pays - 1'état ne le favorise pas - et servent d'échange avec des produits manufacturés venant surtout des pays de l'Est.

 

Mes hôtes, des Français, ne regardèrent guère la télévision algérienne, à leur avis trop dirigée sur le plan de l'information - assez anti-française sur le plan de la politique intérieure et extérieure et assez proche des pays progressistes - et projetant trop de téléfilms français et américains de faible qualité.

 

Depuis le passage du président Giscard d'Estaing, en avril 75, reçu princièrement ici, la télévision fustigeait la Fronce en critiquant l'attitude de la France au Sénégal, en Côte d'Ivoire, dans les Comores, et au Sahara occidental. On affirmait de source officieuse que le président Boumediene était très mécontent du refus du président Giscard d'Estaing d’accorder nouveaux prêts à l'Algérie tant qu'elle n'aurait pas remboursé sa dette de 20 milliards de francs.

 

A contrario, mes amis écoutaient souvent la 3ème chaîne de radio en français - considérée comme la chaîne intellectuelle (elle passe souvent des airs de pop musique et de musique classique occidentale) et pour faire bonne contenance, Radio France international.

 

Sur toutes les radios et la télévision algérienne, on revenait souvent sur la guerre d'Algérie et on y déclarait - comme si ce fut la plus authentique vérité [6] - qu'elle avait fait un million de mort depuis 1954. Ce mythe, comme d'autres, est accepté sans problème par la population.

 

Pendant cette période, mon hôte traversa une période d'ennuis administratifs et la police soupçonneuse, avait débarqué à 1'improviste pour l'emmener au poste et lui faire avouer un prétendu trafic de devises.

 

Pendant mon séjour, ceux qui me recevaient, avaient eu l'occasion d'inviter un certain nombre de personnes intéressantes d'Alger. Une héroïne de la révolution algérienne, venait souvent.

Ayant eu les deux jambes emportées dans l'explosion d'une bombe, bombe artisanale qu'elle transportait vers les années 60, elle fut soignée par deux médecins français qui l'amputèrent des deux jambes mais qui réussirent à lui sauver les mains.

 

Depuis, voyageant dans un fauteuil roulant, elle est devenue 1'ambassatrice de l'Algérie à l'étranger. Elle s'occupe actuellement du comité d'entraide aux réfugiés sahraouis.

Elle vit isolée dans une grande villa prêtée par l'Etat, avec pour unique compagnon un chien-loup.

 

Sa fierté l'empêche d'accepter sa condition de paralytique et la pitié (j'ouvre une parenthèse pour faire remarquer que les Algériens, femmes comprises, sont en général très fiers). Elle s'habille chez les plus grands couturiers parisiens et effectue pour cela deux voyages par an en France. Elle a une grande prédilection pour les phénomènes occultes [7]. Venant d'un milieu pauvre, elle a fait un immense effort pour se cultiver et se mettre au niveau des milieux bourgeois où elle a pénétré.

 

Abdou, un autre ami, est un homme très cultivé, très sensible, poète à ses heures. C'est le représentant typique de 1'intelligentia libérale algérienne. Je dois remarquer ici que j'ai été profondément impressionné par l'intelligence des intellectuels - libéraux ou non de ce pays. C'est à mon avis un peuple aux énormes potentialités quand il n'enferme pas une attitude de fierté orgueilleuse.

 

Abdou se plaint avec tristesse, du manque de liberté du régime, de la propagande qui conditionne le peuple et le maintien dans l'ignorance, de la corruption et de l'étroitesse d'esprit fanatique de certains dirigeants du pays. Il regrette le peu de développement de la conscience politique du peuple, béat d'admiration devant les beaux discours de Boumediene.

 

Mais comme la plupart des libéraux, admirateur de la culture française, il reste très velléitaire et ne dépasse pas le niveau du rêve d'une union entre les libéraux. J'ai soupçonné cet homme timide, célibataire d'avoir une tendance aux amitiés masculines. Dans le cas où cela serait vrai, il aurait évité d'en parler à cause de l'intolérance sur ce sujet ici, dans le pays.

 

II nous a parlé de l'histoire d'un livre "Les nuits blanches d'Alger" - sur certains assassinats au sein de la classe politique dirigeante - qui aurait été retiré de l'édition après le versement d'un milliard de centime à l'éditeur français, par le gouvernement algérien. J'ai entendu cette histoire dans plusieurs familles algériennes... intoxication, déformation du téléphone arabe ?

J'ai su de lui que les francs-maçons sont interdits en Algérie, contrairement au Maroc et en Tunisie, où ils sont tolérés.

 

Les frères Charles de Foucauld existent encore dans le pays. Nous en avons rencontré deux. Ceux-ci ont décidé après l'indépendance de renoncer à leur nationalité française, pour opter pour la nationalité algérienne ce qui leur posait des problèmes pour retourner en France, voir leur famille. Ils sont infirmiers dans une clinique d'Alger. D'après eux, les hôpitaux ici sont surchargés et le personnel insuffisant. Il faut avouer que certains docteurs s'estimant mal payés, préfèrent quitter l'hôpital et ouvrir un cabinet privé. (J'en ai connu d'ailleurs, à Blida, un docteur vivant dans un appartement 3 pièces, meublé seulement avec un salon Louis XV (coûtant 2 millions dans le pays), possédant une Peugeot 504, voiture de riche puisqu'elle coûte ici le double de son prix en France, qui m'a expliqué dans les même termes les raisons de son choix).

 

Malgré leur esprit de charité et de tolérance, les frères Charles de Foucault sont, quant à eux, souvent désespérés de constater l'irresponsabilité qui prévaut dans toutes les administrations et entreprises nationales. Par exemple, plusieurs jeeps en panne n'étaient jamais réparées car personne n'osait prendre la responsabilité d'y toucher.

 

Sinon ils reconnaissaient aussi de nombreux acquis dans le socialisme algérien : les transports en commun peu coûteux, les soins médicaux et les colonies de vacances gratuites...

Les amis qui m’ont logé en Algérie sont d’accord avec ces faits.

Mes amis rajoutent, au cours de la conversation, que la gestion du pays est dangereuse pour l'avenir, celui-ci ne dépendant plus que du pétrole pour vivre (92 % des marchandises exportées) et d'un endettement sans cesse remboursé par un nouvel endettement plus important, et, s'accroissant avec son engagement dans une guerre coûteuse au Sahara occidental.

 

Dans l'avenir d'après eux, l'énorme taux démographique du pays contribue à l'augmentation énorme de la population de jeunes chômeurs - dans les villes d'Algérie un sur deux est au chômage - risque de devenir de plus en plus grave en raison d'une production agricole ne suffisant pas à la consommation et en raison de la baisse obligatoire des rentrées de devises dans l'avenir, limitant les importations de nourriture.

 

Je sais grâce à des amis kabyles rencontrés à l’Université d’Alger, qu'il ne reste plus que moins de 1 % de français environ, depuis 1962 dans le pays. D'une femme algérienne, j'ai appris que l'Etat et le président sont assez conservateurs envers les femmes algériennes. Le président dans un discours en 75 devant l'assemblée des femmes algériennes exprimait son désir de voir les femmes soumises à leur mari, et en jupe ou robe en dessous du genou. 85 % des divorces sont à la demande des maris et les divorces sont nombreux.

 

D'ailleurs le Code de la famille (l970), article 46, alinéa E, indique la possibilité des divorces "sur la demande de l'époux, exerçant son droit de répudiation"[8].

 

La polygamie est faible et est l'apanage des commerçants. On se marie tôt.

 

A Alger en 69, il y a eu 175 tentatives de suicides de jeunes filles, pour mariages forcés. Cette jeune femme habite dans le quartier de Maison Carrée (El Harrach) et de l'école polytechnique, une école d'ingénieur. Pour aborder le domaine des écoles, l'Algérie fait un immense effort pour augmenter le nombre de ses diplômés et elle a construit plusieurs écoles dans le quartier : l'école polytechnique d'architecture, l'école nationale supérieure vétérinaire et l'institut national de la recherche agronomique. Dans les alentours, il y a beaucoup de maisons en tôles, comme dans le quartier d'El Biar, au Nord d'Alger.

 

C'est aussi un quartier industriel avec une raffinerie de pétrole. Puis ensuite, pour connaître des étudiants, je me suis rendu à Ben Aknoun à l'Est d'Alger là où se trouve la Cité Universitaire dans un domaine de 7 ha et logeant 1200 élèves.

 

J'y ai rencontré deux étudiants, à qui j'ai exprimé mon intention de visiter la cité [9]. Après une visite banale, guidé par ces étudiants, où je n'ai rien appris à part que le Golf d'Alger (18 trous), rendez-vous de la gentry algérienne, assez desséché au mois d'août était situé à côté de la cité. Je leur ai tout de même posé des questions sur la vie de la cité et j'ai appris que dans le pays on ne faisait pas de politique bien que certains étudiants marxisants, regroupés dans le "Parti de la Révolution Socialiste" (qui ne se déclare pas ouvertement marxiste), font circuler très rarement des journaux clandestins dans la cite (ils sont peu nombreux et vendus eux en plein jour dans notre pays). Ces derniers veulent le retour au pays des travailleurs immigrés et la création d'emplois ici pour eux et sont contre la guerre au Sahara occidental.

 

J'avais réussi à avoir assez vite des amis dans le pays qui m'ont présenté sous bien des aspects le pays.

 

Les dernières personnes rencontrées au cours de mon séjour furent curieusement deux jeunes religieuses maronites libanaises rencontrées au centre culturel français. Elles habitaient au 6ème étage d'un immeuble au centre d'Alger, qui dû être cossu, mais l'état des dégradations était attristant avec un ascenseur condamné depuis longtemps. A l'époque de notre rencontre, elle avait dû quitter leur poste dans des écoles d'Etat pour des postes dans des écoles privées à cause d'une réforme de l'enseignement dans le sens Islamique. Beaucoup de religieuses chrétiennes s'étaient trouvées au chômage, sans indemnités (elle n’ont pu finalement retourner au Liban, à cause de la guerre civile).

 

Après ce séjour à Alger, ceux qui m’ont invité ici ont décidé de me convaincre que 1'époustonflante beauté des paysage du pays n'est pas une vaine légende, par un voyage dans la région de Tipasa.

 

Nous partîmes sur la route d'Oran. Après être sortir du quartier de Bab El Oued, nous avons longé la côte assez escarpée en cet endroit. Entre la route et la mer, de magnifiques villas sont maintenant occupées par de nombreuses familles algériennes et surpeuplées.

La cathédrale de style byzantin de Notre-Dame d'Afrique située sur une colline élevée au-dessus de nous ne manqua pas d'attirer notre regard à cause de ses bulbes dorés se réfléchissant au soleil. Je me suis demande, sachant qu'elle est ouverte, combien de fidèles pouvaient s'y rendre depuis le départ des Français.

La mer qui s'écrasait en contre-bas de la corniche sur laquelle nous roulions, prenait la couleur bleue des photos de vacances.

Près de la Pointe Pescade, le village côtier de Raïs Hamida était recouvert d'une pellicule blanche due à la pollution de la cimenterie toute proche. C'est aussi à cet endroit que se trouve une belle villa qui servi de dancing du temps des Français et fut l'objet d'un attentat grave pendant la guerre d'Algérie.

 

Nous nous sommes arrêtés en bas de la forêt de Baïnen située sur une colline raide vallonnée. La forêt est riche en essences végétales et fleurs : eucalyptus, pin d'Alep, chêne-liège et casuarina (pin australien), bruyère, cistes, lavandes... Plusieurs coupe-feux la traversent. C'est aussi un point de vue magnifique sur la mer et sur le phare du Cap Caxine. Des champs de riche terre noire, descendent en pente raide entre la route et la côte.

 

Dans le village traversé après, j'ai relevé une enseigne originale : "La perdrix" restaurant spécialité de poisson.

 

Nous avons découvert Sidi Fredj (prononcer Sidi Feruch) _un magnifique complexe touristique en forme d'immenses palais mauresques, comportant un grand nombre de patios intérieurs, à arcades, décorés de faïences multicolores à arabesques, de fontaines, de rosiers, de balcons intérieurs ouvragés. Le tout témoigne d'une recherche architecturale réussie.

 

Une tour massive carrée, en briques rouges, arrangées de façon à former des figures géométriques, plonge ses pieds dans l'eau du port où un grand nombre de voiliers étaient amarrés. Une odeur de brochettes, fritures et de crevettes s'exhalaient du restaurant tout proche situé en dessous d'un ancien fort, à côté de la jetée. Cette odeur me rappelle l'odeur des grosses crevettes roses qu'on peut acheter à bon marché dans les ports des villages côtiers algériens.

 

Proche du complexe touristique, est bâti un palais des congrès dans un style plus moderne, dominé par une haute tour ressemblant à un château d'eau. Un hôtel de thalassothérapie était en construction au. N.O de cette presqu'île.

 

De jolies maisons modernes — celle des coopérants français vivant en Algérie - entourées par des jardins méditerranéens, sont plantées sur les collines avoisinantes, vers l'ouest de la presqu'île de Sidi Fredj. A l'est de celle-ci, s'ouvre une grande plage, celle de Moretti surpeuplée le dimanche à cause de sa proximité d'Alger  (A l'époque le jour de congé n'était pas encore le vendredi).

 

En s'éloignant d'Alger vers 1'ouest, les plages disparaissent pour laisser place à une côte gréseuse, aux rochers plats percés d'alvéoles, coupés ci et là de petites criques désertes.

Notre prochaine destination, le tombeau royal mauritanien (appelé encore, à tort. Tombeau de la Chrétienne) nous fit quitter la route nationale longeant les grands domaines agricoles [10] pour une petite route bordée d'eucalyptus, qui monte sur la colline où est situé l'édifice.

 

C'est un tombeau cylindrique de 63 m de diamètre, reposant sur un socle carré. Il est coiffé d'un cône à gradin. Des colonnes, d'ordre ionique, décorent les parois du cylindre. Aux quatre points cardinaux se dressent quatre fausses portes, dont les moulures ont l'aspect d'une grande croix. (Un édifice semblable le "Médracen" existe aussi dans les environs de Batna).

 

L'énigme de cette construction cyclopéenne est de ne comporter aucune inscription, et de ne contenir dans sa masse qu'un petit vestibule d'entrée puis un petit couloir circulaire de 150 mètres de long débouchant par un troisième couloir, plus petit, sur deux petites salles voûtées vides. Ces salles auparavant étaient hermétiquement closes à l'entrée, par des dalles maintenues dans des coulisses verticales, qui ont été brisées par les pilleurs de tombeaux. Un pacha d'Alger voulait connaître son secret ou ses trésors, fit démolir à coup de canon le revêtement est du tombeau.

 

Le groupe électrogène éclairant le couloir étant en panne, le guide nous a conduit avec une lampe torche, tout en nous expliquant les hypothèses émises sur le ou les constructeurs du monument. Certains archéologues pensent que cette imposante construction a été construite sous le règne de Juba II Séléné (-5?,-23) roi de Maurétanie. Ce royaume avait dû avoir certainement des relations avec l'Egypte puisque Cléopâtre Séléné, épouse de Juba II, était la fille d'Antoine et Cléopâtre.

 

Après cette visite rapide, nous laissant sur notre faim de connaissance en raison du peu de loquacité du guide, sur le monument, nous sommes retournés sur la route nationale conduisant à Tipasa, notre prochaine étape.

 

On voit beaucoup d'homme, habilles comme des Fellah, portant le turban sur la tête, et des jeunes du volontariat estudiantin - une création du gouvernement pour enrôler les jeunes dans les travaux agricoles l'été - se reposant dans les champs ou discutant en groupe au bord des chemins. Certains champs sont délimités par des haies de canisses.

 

A plusieurs endroits le plastique recouvrant les plantations maraîchères était arraché. Des vaches paissaient l'herbe maigre des bas-côtés de la route et des chemins de traverse.

 

Des panneaux en français et en arabe, portent les noms des domaines agricoles, à l'entrée des chemins conduisant à d'imposantes fermes souvent en mauvais état ou aux volets clos, dans le style méditerranéen.

 

Au bord de la route, des petits enfants vendent à la sauvette des produits agricoles, si difficiles à obtenir sur les marchés d'Alger.

 

Nous avons effectué un petit détour par « Tipasa village », charmant village de vacances construit par l'architecte Ferdinand Pouillon dans le style de la Casbah.

 

A l'intérieur d'un bâtiment mauresque, un patio aux carreaux de faïence traditionnelle, rappelé l'intérieur d'un palais des milles et une nuits.

 

L'immense salle de restaurant est moderne dans le style de certains palais de Brasilia. Les eaux de la piscine à coté de l'hôtel étaient vertes.

 

Ce centre est divisé en deux parties, situées chacune à chacune des deux extrémités d'une crique, reliée à la mer par une passe étroite, le village principal, avec sa plage infestée d'oursins et de rochers coupants (aucune pancarte ne les signale au baigneur non prévenu), et un autre aux maisons hautes, avec une plage, elle praticable.

 

Entre les deux la côte tombe en pente raide couverte d'une exubérante végétation méditerranéenne embaumant l'air et dévalée par plusieurs cascades d'eau fraîche.

 

Au bar du premier village, des touristes belges nous ont exprimé leur mécontentement contre la saleté du centre, la cuisine peu raffinée, les oursins (nombreux quand on va se baigner). D'après eux, le centre était mieux tenu à l'époque où au lieu d'être géré par la compagnie nationale de tourisme SONATOUR, il était géré par le Club Méditerranée. D'après ce que je sais, le Club n'était pas resté, car le gouvernement algérien lui reprochait d'accepter plus de touristes européens que ceux des groupes vacances organisés des sociétés nationales du pays.

 

Après ce détour, nous sommes repartis vers Tipasa, traversant un paysage illuminé sous un ciel bleu d'azur. De belles vignes prospèrent dans la région.

 

Les premières célèbres ruines romaines se sont révélées à nous. Un guide algérien, la tête couverte d'un chapeau de paille nous a emmené parmi un champ de tombeaux. Tous portaient les signes caractéristiques de l'église chrétienne primitive [11] :

le monogramme du christ () [12] et le poisson (  )  [13].

 

Une basilique St Salsa, dont il ne reste plus que les fondements, a été détruite par les invasions vandales vers 450 A.J.C.

 

A Tipasa même _ la ville moderne _, nous avons déambulé dans le port. Près de celui-ci, dans la mer, une sorte de tour penchée, taillée dans le rocher, est un tombeau phénicien. Des bateaux de pêche rentrant dans le port semblaient avoir du mal à franchir les grandes vagues qui en barraient l'entrée.

Dans un entrepôt désaffecté, un sculpteur algérien créait à l'aide d'une perceuse munie de disques abrasifs, des statuettes en grès, dans le style des vestiges romains : vierge à l'enfant... Tout près, l'église chrétienne était fermée, comme la plupart des autres églises dans l'Algérie.

Un musée archéologique renferme des fragments de stèles puniques, de magnifiques sarcophages romains païens en marbre, une magnifique mosaïque représentant trois esclaves enchaînés, des poteries, des céramiques, des bijoux antiques etc....

 

Après le musée, vers l'Ouest, à la limite de la ville moderne, nous découvrons la part la plus importante des vestiges de la ville dans un parc où côtoient ruines vénérables, oliviers et pins parasols. Le site empli du chant des cigales incite à la poésie, à la rêverie. Je ressentais l'amour d'Albert Camus pour cet endroit.

 

Des belles allées ombragées et pavées, ainsi qu'un théâtre et un amphithéâtre ovale, présentaient un parfait état de conservation.    Une grande basilique chrétienne, de dimension imposante, dont il ne reste plus que les soubassements, présentaient de belles mosaïques sur le sol. Un système de canalisation et dégoûts et des W.C. publiques montrait le degré de civilisation atteint par les romains.

 

Nous avons continué notre route jusqu'à Cherchell, entouré de montagnes et jusqu'à son musée d'antiquité qui est le plus beau du pava par sa collection de statues antiques.

 

Celles-ci sont la plupart des copies romaines d'originaux grecs : un hercule, un Apollon, un Athéna, un Poséidon debout, un Esculape assis, un buste de Dionysos, un torse d'Aphrodite etc.

C'est dans ce musée qu'est conservé, la mosaïque représentant les travaux des champs, à la puissance dynamique, reproduite dans de nombreux ouvrages sur Rome.

Nous nous sommes désaltérés, sous une paillote située face à un ensemble d'arches, reste soit d'un aqueduc ou de thermes romains. La technique employant des pavés disposés à 45° par rapport à la verticale liés par du mortier, a bien résisté au temps.

Le retour vers Tipasa s'est fait par une petite route de corniche, en assez mauvais état, dominée par l'immense massif du Djebel Chenoua (900 m de haut), bordant la mer.

Notre chemin a continué par Blida, à l'intérieur des terres.

Nous aurions bien continué, vers l'Ouest de Cherchell, pour découvrir la corniche des Dahra offrant de nombreux promontoires; tombant directement dans la mer, avec ses paysages grandioses et variés jusqu'à Tends, mais nous n'en avions pas le temps et le soir tombait. Mes amis y étaient allés. Ils avaient pu d'ailleurs y apercevoir l'immense propriété du ministre du logement, de l'époque[14]. Ce dernier, d'après certains habitants de Tenès, se faisait livrer sa nourriture d'Alger directement par bateau.

La ville de Blida est entourée de grandes plantations d'orangers, de citronniers, d'oliviers.

Après Blida, avant Boufarick, un aéroport militaire, longé par la route nationale, était signalé par des panneaux "interdiction de photographier ou de s'arrêter" [15].

 

Nous avons eu le temps d'observer malgré tout, des Antonovs, des Migs et des Mirages. A l'époque, malgré la tension entre la France et l'Algérie, des pilotes français entraînaient des pilotes algériens.

La caractéristique des villes traversées le soir, est la présence permanente des hommes dans les rues, à la terrasse des cafés (même tard le soir) et l'inexistence des femmes. Des guirlandes d'ampoules rouges et vertes sont allumées en permanence, au-dessus des rues ou sur les mosquées.

Dans la riche plaine de la Mitidja entre Alger et Blida, poussent de très belles plantations d'orangers. Les oranges d'Algérie sont à mon avis, parmi les meilleures du monde, mais en économie socialiste les rendements sont faibles. La plupart des oranges tombées ne sont pas ramassées.

Notre dernière visite a été le château du sénateur Henri Borgeaud[16] - un membre d'une de ces riches familles pieds-noirs qui contrôlaient l'économie et les journaux du pays - dans le style Louis XVI. Le château est fermé depuis longtemps et se dégrade lentement. Des plantes grimpantes â fleurs violettes montent le long de ses façades Les belles grilles en fer forgé sont rouillées.

Par manque de temps, je n'ai pas eu le temps de m'arrêter à la maison de Moussah, un ami qui fait des études dans la même école que moi. Comme tout fils de Fellah, il croit fermement dans le socialisme algérien - qui d'ailleurs a fait beaucoup pour l'alphabétisation du peuple - et il admirait beaucoup Boumediene.

Le lendemain, après avoir couché â Alger, nous avons décidé d'une expédition à Bedjaïa (anciennement Bougie).

 

Nous sommes sortis du quartier d'Alger Hussein-Dey et nous sommes passés à Rouiba-Reghaia, devant les usines de camions Sonacom; construisant des camions Berliet sous licence. De vastes champs de blés occupent cette région.

Les trottoirs sont noirs de monde, dans les villes traversées, sans qu'il y ait fête, preuve de l'énorme densité de population de la partie nord et fertile du pays.

Les mosquées portent toutes des haut-parleurs – signe du progrès - pour appeler les fidèles.

 

Sur les routes, un nombre de voitures anciennes - 404, 203, 403 - cabossées, roulant en crabe etc., bricolées avec génie, circulent. Peugeot semble avoir bonne réputation ici.

Les Algériens ont une conduite sportive et de bon réflexes. Lorsqu'une voiture double avec une autre en face, tout le monde se faufilent en douceur, celle en face roule sur le bas-côté et cela se passe sans difficulté. Les accidents sont rares dans le pays. Les garages du pays sont, pour la plupart, artisanaux.

Nous avons franchi les gorges de Beni-Amran traversées par l'oued Isser, presque à sec, serpentant dans ses alluvions et des bosquets de lauriers roses.

A la sortie de la vallée, sur la route nous avons contourné une ville (Bouïra ?) entourée de fortifications datant certainement de l'époque Napoléon III,

Une portion de route était en réfection, la technique utilisée ici étant d'arracher l'ancien revêtement de goudron pour le remplacer par un nouveau.

La route par Bouïra est celle qui passe le plus au Sud pour aller à Bedjaïa. Une autre route passe par le centre de la Kabylie, par Tizi-Ouzou. Mais nous ne l'avons pas prise en raison de ses multiples lacets.

Après Bouïra, nous avons traversé dans sa longueur la vallée desséchée de l'oued Soumman jusqu'à Bedjaïa, de son nom ancien "Bougie".

Détail anecdotique, la cire de chandelle exportée de cette ville dès le XIIIe siècle avait pris le nom de la ville. Et ce nom - La Bougie - par extension a désigné la chandelle elle-même.

Le port de la ville nous a semblé d'une taille importante comparé à la taille de la ville. C'est un port pétrolier ou débouche un oléoduc venant du Sud de l'Algérie.

Nous avons aperçu, sur la mer, un paquebot de croisière danois le "Dana Sirena" affrété par la compagnie nationale de navigation maritime algérienne la CNAN pour relier les différents ports du pays. Mes amis l'avait empruntés.

La CNAN n'ayant pas suffisamment de publicité auprès du public sur cette ligne, le navire tourna pratiquement à vide une ou deux années, avant la suppression de la ligne. Le port exporte aussi du minerai de fer.

La ville ne m'a laissé aucun souvenir significatif, mais à l’inverse, nous avons découvert un site défiant l'imagination, le Cap Carbon. La route carrossable qui y conduit s'élève à flanc de montagne, avec des virages très prononcés jusqu'au-dessus de l'isthme du cap. Au débouché d'un tunnel, la vue donne sur un dôme (le cap) de marbre rouge tombant par une falaise de près de 200 m de haut dans la mer vert-émeraude et dont la base est percée, de part en part, d'une arche où s'engouffrent les vagues, et surmonté du phare le plus puissant d'Algérie.

 

Dans la falaise les romains avaient creusé des souterrains et des balcons pour observer la mer que les touristes, n'ayant pas peur du vertige, empruntent maintenant.

 

Sur la route du retour vers Bedjaïa, un charmant village estival, entouré d'arbre, ayant appartenu aux colons français semble tombé dans le sommeil de la « Belle au Bois Dormant ». Dans le cimetière chrétien, toutes les tombes portent des noms français.

 

Nous avons retraversé la ville puis une grande plaine couverte de prairies sur laquelle se détache visuellement une sorte de téléphérique, maintenant rouillé et ne fonctionnant plus, destiné à transporter le minerai de fer de Taddert-Aniokrane au port de Bougie.

Nous avons ensuite continué la corniche Kabyle en direction de Jijel. Cette corniche magnifique se découvre lentement à cause de ses nombreux lacets et tunnels. La plage de Zamia Manouriah, sur laquelle nous avons débouché, était vide sans un seul estivant. Des jolies maisons semblaient être occupées et d'autres fermées.

 

La corniche a repris et rappelait étrangement celle de Sasaulito en Californie.

Au débouché d'un tunnel, nous avons quitté la voiture pour descendre jusqu'à la grotte merveilleuse, découverte à l'occasion de la percée du tunnel, mise en valeur par un éclairage rouge et vert mais ayant visiblement souffert des pilleurs de stalactites. Beaucoup de gouffres et d'avens sont inexplorés dans la région.

 

Nous avons ensuite rebroussé chemin, le soir tombant pour rejoindre l'hôtel des Hammadites, hôtel moderne construit par F. Pouillon, situé au bord de la mer, à Tichy, à l'est de Bedjaïa. C'est un hôtel sans caractère particulier, au bord d'une immense plage, la plupart du temps déserte, même au mois d'août, sauf aux abords de l'hôtel. Nous y avons rencontré un groupe de touristes soviétiques, reconnaissables par leurs complets vestons gris, pour les hommes, et par leur robes-sac pour les femmes. Ils étaient arrivés à table en file indienne et n'ont guère fait de bruit à table, c'est pourquoi ils s'étaient fait remarquer. Deux personnes, une forte femme blonde, un homme très petit et maigre, semblaient les surveiller au cours de leur séjour.

 

A une table à côté, des coopérants français visitaient la région kabyle. J'appris d'eux que les Kabyles sont un peuple vivant dans le pays depuis une époque antérieure à l'arrivée des

Romains et des Arabes. Beaucoup de kabyles ont les traits nordiques : les yeux bleus, les cheveux roux ou blonds. Un des serveurs de l'hôtel avait tout à fait le type anglo-saxon d'ailleurs. Ils parlent une langue berbère dont l'origine n'est pas connue.

 

Leurs villages, assez pauvres, des véritables nids d'aigles dans les montagnes du Djurjura, sont constitués de maisons minuscules aux toits couverts de tuiles canal (ou tuile creuse), dont la forme est peut-être d'inspiration romaine.

 

Les femmes restent le visage découvert sans voile. Elles portent des vêtements bariolés de couleurs, et de temps en temps, sur la tête des cruches. Les Kabyles ont été parmi ceux qui ont le plus contribué à la guerre d'indépendance [17]. Les Français pour tenir la région avaient construit un très grand fort,  le "Fort Napoléon", dominant la région de Tizi-Ouzou.

 

Pendant la guerre d'indépendance, ils avaient même bombardé au napalm les populations de la région.

Mon ami étant parti pour régler des affaires à Alger, nous avons profité de ce séjour prolongé, pour partir en randonnée dans l'arrière-pays.

 

Nous avons emprunté un large chemin empierré et macadamisé traversant une végétation de maquis alternant les chênes lièges avec les essences odorantes - thym - toujours verte malgré le peu de précipitations en cette période et sous un soleil de plomb [18]. Nous sommes parvenus à un village assez pauvre Tizi-Ahmed, aux maisons de style kabyle et disposant d'une école en préfabriqué.

Le village semblait totalement désert et nous avons supposé qu'à l'heure où nous arrivions, 3h de l'après-midi, les gens étaient en train de se reposer ou de faire la sieste.

 

Des vaches et des ânes paissaient dans les chemins entourant le village.

Le lendemain, je dus me rendre à la poste du village de Tichy à un kilomètre de l'hôtel pour envoyer un paquet. L'intérieur de la poste attenante à la mairie semblait avoir conservé les décors immuables de la IIIe République. Un fonctionnaire tapait des deux doigts sur une vieille machine noire Remington.

 

.Notre retour à Alger s'effectua par le train, à partir de la gare de Bedjaïa. La chaleur dans notre vieux wagon aux banquettes violettes était insoutenable dans la vallée de la Soummam à cause d'un vent chaud et sec venant du Sud, le Siroco, y soufflant. Le wagon se balançait d'une manière inquiétante à cause de la dilatation ou du gondolement des rails, malgré la faible allure du train.

Nous avons attendu, ensuite, à la petite-gare de triage de Benni-Mansour, dans une chaleur qui coupait la respiration, la correspondance pour Alger, tout en observant les manœuvres de deux locomotives diesel électriques, l'une de la général électrique et l'autre une ODB60 française. Les voyageurs en attente buvaient bouteilles sur bouteilles, du soda ou de la limonade algérienne ou se transmettaient de main en main des bouteilles d'eau minérale.

 

Il me vint à l'idée, connaissant la qualité des nombreuses eaux minérales du pays et du climat paradisiaque de la plupart de ses stations thermales, que les curistes européens devraient en profiter pour venir ici pour se faire soigner; cela leur constituerait, d'ailleurs aussi une occasion de découvrir les multiples beautés des paysages et des monuments antiques, encore peu fréquentés comparativement à ceux des autres pays méditerranéens.

Le train d'Alger étant réquisitionné en 1ère et en seconde par une troupe de joyeux militaires en permission. Nous avons voyage sur les marches, le nez à l'air.

 

Puis des militaires aimables ont proposé une place à mon amie. Avant d'arriver à Alger, j'ai aperçu une gigantesque université coranique en construction, reconnaissable par ses minarets. Enfin arrivés à Alger, nous avons apprécié le climat doux de la ville.

 

Notre dernière visite ici, avant notre départ, terminant notre premier voyage, a été la forêt de cèdres de Chréa et la vallée du ruisseau des singes. Pour nous y rendre nous sommes retournés à Blida.

Depuis Blida, la route bien entretenue s'élève parmi les vergers et les forêts d'eucalyptus et atteint la forêt de cèdres à 1500 mètres.

Notre surprise a été grande lors de notre visite, en constatant que des chalets savoyards y avaient été bâtis. Chréa est l'une des trois stations de sports d'hiver de l'Algérie avec Tikjda et Talaguilef en Kabylie. Plusieurs tire-fesses, dont un seul est en fonctionnement actuellement, dessert la station. C'est la plus proche d'Alger, mais la qualité de neige assez mouillée est inférieure à celle des deux autres stations même si elle peut subsister jusqu'à Pâques.

La forêt de cèdres qui de loin ressemble à une forêt de sapins, est le vestige des immenses forêts qui couvraient le Maghreb il y a plusieurs millions d'années et qui ont été décimées par l'exploitation du bois, le ravinement dû aux cultures et les feux ... En Kabylie, existent d'autres forêts profondes du même type où abondent les sangliers. A cause de leurs ravages, dans les cultures, le gouvernement algérien incite les chasseurs européens à venir chasser dans le pays.

 

Ensuite nous sommes redescendus à Blida, pour reprendre la nationale 1 et nous engager dans les profondes gorges de la Chiffa couvertes de maquis. Sur une petite éminence, à l'entrée des gorges, est construit un restaurant ressemblant à un palais mauresque couvert de tuiles vernissées vertes. Au milieu de la gorge, une cascade, située sur la rive opposée à celle où se raccroche la route nationale, est couverte de mousse verte et de laurier rose. Elle plonge dans sa partie inférieure à côté d'un cône de déjection prolongeant un couloir d'avalanche, dans les eaux tumultueuses, écumantes sur les rochers, de l'oued Chiffa.

Dans le jardin du restaurant proche du point de vue où l'on peut observer la cascade et proche d'un ruisseau tombant en cascadelles le "Ruisseau des Singes", des macaques viennent quémander de la nourriture auprès des touristes. L'un de ces derniers s'était fait voler un paquet de cacahuètes par une femelle.

 

Sur le conseil d'un ami d'Alger, nous avons continué à descendre vers le Sud, pour rechercher des minéraux.

A la sortie des gorges, nous avons tourné à droite sur une route en mauvais état conduisant à Mouzaïa-les-mines. Dans une carrière avant cette localité, nous avons découvert un minéral filonien ressemblant à de l'opale jaune. Le village, un ensemble de maisons basses, rectangulaires avec des toits en tôles, comportant peu de fenêtres, n'avait rien de remarquable. Il semblait qu'ici, rien n'avait changé depuis le départ des Français. Après un village et un pont en béton à moitié écroulé, la route s'est transformée en chemin de terre. Nous avons continué à pieds jusqu'à la mine à travers des pâturages desséchés où paissaient des vaches assez maigres. Nous avons trouvé de la calamine et de l'azurite sur les parois des galeries qui perçaient la montagne à cet endroit.

 

A partir de cette découverte, de retour à Alger, j'ai commencé â m'intéresser aux richesses minéralogiques du pays. Des livres m'ont appris que le pays est très riche en gîtes minéraux, à peine exploités, car très peu visités par les passionnés de la prospection, qu'ils soient algériens (qui sont très peu nombreux) ou européens.

J’ai rencontré monsieur Chopinet, pour mon second séjour dans ce pays, directeur d'un chantier de complexe de liquéfaction de gaz près d'Alger, ayant comme violon d'Ingres la collection de ninéraux. J'ai appris que le pays regorgeait de sites géo logiques intéressants : poissons fossiles pyritisés, à cinabre, en exploitation à Azzaba (Skikda), porphyre à El Aouana (à côté de Jijel en Kabylie), cuivre à Tadergount (gorges de Kherrata, Kabylie), Ai Roua (Sétif, Kabylie, pyrite à El Rallia, Filfita Kabylie), gorges de quartz à Baninane (Biskra), nadorite (minéral très rare à ???), forêts pétrifiées à In Salah (sur la N1 après Ghardaïa).

 

Grâce à cette personne, je pus faire partie d'une expédition géologique dans le sud des Aurès, composée de géologues en herbe (des coopérants) profitant de l'occasion pour changer l'ordinaire de leur vie monotone (les distractions dans le pays se limitent aux films et aux sorties touristiques) [19],

 

Notre expédition prit la route de Sour El Ghozlane, assez difficile, à cause de ses lacets et de son important trafics de camions ralentissant la progression.

Dans toute la région, des terrassements et des plantations d'eucalyptus ont été aménagés sur le flanc des collines pour limiter l'érosion. A un moment donné, nous nous sommes arrêtés pour photographier deux oiseaux bleus - des guêpiers - posés sur des fils télégraphiques.

Nous avons observé que seuls les hommes - portant tous des sortes de turbans de tissu blanc sur la tête - étaient présents sur la place d'un marché d'un village avant Sour El Ghozlane.

Dans cette ville, nous avons été assez surpris de trouver un grand nombre de cigognes sur les toits des maisons, sur les minarets des mosquées et sur les cèdres d'un jardin public. Celles-ci à Pâques, n'avaient pas (pas encore) émigré" en Europe [20]. Ici ces oiseaux sont aussi porte-bonheur, et protégés par les habitants

Aucune femme n'était visible dans les rues, contrairement aux nombreux hommes la plupart désœuvrés[21].

 

Après le col du Dirah (1037m), la route est devenue droite et la végétation s'est clairsemée. La désertification a remplacé les prairies jaunes traversées, par des zones dénudées à la terre grise, caillouteuse.

Nous avons roulé, sur une route rigoureusement droite jusqu'à l'horizon, dans une grande plaine jaune couverte de touffes d'alpha. Avec la ligne télégraphique bordant la route on aurait pu se croire au Nevada.

J'imaginais en regardant le paysage, les immenses champs de blé qui aurait pu exister à cet endroit avec l'irrigation.

La région est pourtant loin d'être désertique. Des hommes se promènent, par ci par là, sur la plaine et des cabanes plates en terre la parsèment. Quelques maigres champs clairsemés de seigles poussaient sans délimitations géométriques. Ici on moissonne encore à la faucille.

 

Au loin, le chott El Hodna - étendue d'eau salée - donnait l'impression d'être un mirage.

Nous avons atteint un banc de sable sur lequel se reposait une caravane de chameaux, trois kilomètres devant l'oasis de Bousaada notre première étape. Derrière nous sur la droite, se dressaient d'immenses plateaux tabulaires d'altitude assez élevée (mont du Billard 1250 m).

A l'arrivée à l'oasis, nous nous sommes arrêtés au Transatlantique, hôtel colonial qui a gardé tout son charme et sa fraîcheur intérieure. Des tableaux orientalistes décorent sa salle à manger. De belles pièces en argent et des bijoux Touaregs étaient enfermés dans des vitrines de la réception à l'entrée de laquelle sont posés d'énormes roses des sables.

Dehors, des marchands cherchaient à vendre des roses des sables, des poignards artisanaux en fer doux, à manche en bois pyrogravés ou en corne, des petites guitares avec des carapaces de tortues comme caisse de résonance, des fouette-queues empaillés. Comme partout ailleurs dans le -pays, il faut aussi marchander ici.

Le jardin de l'hôtel est rempli de roses trémières et de plantes grasses. L'oasis approvisionne directement l'hôtel de tous les légumes existants aussi en Europe: tomates, haricots, poireaux...

Nous avons décidé d'explorer les environs.

Dans l'oasis, chaque petit champ sous les palmiers dattiers étaient clos de murs le long desquels courraient des canaux d'irrigations dont la répartition en eaux fait l'objet d'un calcul compliqué entre les différents propriétaires.

L'oued Bousaada qui circule dans la palmeraie, a creusé un lit profondément encaissé et, en sortant de l'oasis, il va se perdre dans les dunes de sable.

En traversant, on tombe sur le tombeau du peintre orientaliste Dinet. Venu pour la première fois en 1884 et séduit par les paysages, il s'y fixa définitivement en 1905. Il se convertit à la religion musulmane et fit un pèlerinage à la Mecque. Le gardien du tombeau visiblement, en racontant cela, éprouvait une grande fierté pour ce français qui s'était converti à sa religion.

Les femmes voilées, par un lourd tissu en laine ne laissant apparaître d'elles, qu'un seul œil caché dans les replis du haïk, se collaient aux murs des maisons à notre passage.

Nous avons pris ensuite la voiture en, direction d'El Hamel, siège d'une confrérie religieuse Rahmaniyya. Celle-ci eut la particularité d'être placée jusqu'en 1904 sous la direction d'une femme. On nous a reçu avec amabilité tout en nous montrant le réfectoire imprégné d'une atmosphère orientale.

Une magnifique table l'occupait sur laquelle reposait un service à thé en porcelaine, magnifique antiquité.

 

Sur les murs étaient accrochés de fort beaux fusils à crosse ouvragée en nacre ayant appartenus, à ce qu’il semble, à l'émir Abd El Kader. On nous a expliqué que le centre servait d'école coranique. Plusieurs voitures d'Algériens dans le village étaient immatriculées 75.

Sur le chemin du retour, une grande place était couverte de bottes ou de ballots d'alpha.

Au sud de la ville de Bousaada, nous avons rencontré l'oued jusqu'à un petit défilé creusé dans une couche plus tendre en sandwich entre deux couches calcaires rectilignes, au pendage vertical, se terminant par une cascade. A cet endroit subsistent les ruines d'un ancien moulin, à aube, construit par un colon français du nom de Ferrerro.

Le moulin avait été détruit deux fois par des crus, catastrophiques de l'oued et son propriétaire, après la 3ème, a décidé de le quitter.

 

Ce Français avait mis en culture toute la bande de terre fertile longeant l'oued en amont de la cascade, mais depuis son départ, ses vergers, ses terres sont à l'abandon. Dans les parois de la falaise sous la cascade, j'ai découvert des géodes de Calcite.

L'eau de l'oued était chaude et claire, une baignade nous a tentés en dépit de toute règle de prudence, ce genre de rivière, au régime temporaire, pouvant sous l'effet d'une précipitation située en amont, gonfler jusqu'à devenir un fleuve en quelques minutes.

Après cette halte régénératrice, notre route a continué jusqu'à Biskra.

Nous avons longé juste un instant l'institut des techniques hôtelières de Bousaada, ressemblant à un fort avec fenêtres en forme de bouches de canons, construit par l'architecte officiel du pays F. Pouillon. Comme le personnel hôtelier du pays n'est pas toujours à la hauteur de sa tâche, l'Algérie pense combler cette lacune grâce aux trois instituts de formation de Bousaada de Tizi Ouzou et d'Alger.

 

Nous avons traversé une région de grandes vagues de dunes occupant la plaine de Bousaada. Un tourbillon de sable traversa la route, et sachant que lors d'une tempête de sable, les grains pénètrent partout malgré toute protection corporelle, nous avons clos hermétiquement la voiture. Sur la route nous avons croisé des voitures tout terrain françaises couvertes de graisse, pour prévenir l'éventualité de tempête de sable qui corrode la peinture.

 

Des dépôts semblables à des congères traversaient la route. Du côté de Biskra, les dunes descendant de la montagne mordaient la chaussée.

 

Avant Biskra, nous avons aperçu un grand palais byzantin aux coupoles argentées, entouré d'un grand jardin et enclos de hauts murs appartenant à un membre de la Nomenklatura algérienne. C'est dans la région d'ailleurs qu'habite aussi un riche dignitaire qui avait fait enlever sa sœur Delila Meshino au Canada, par avion privé afin qu'elle n'épouse pas un Français. Le gouvernement à ce sujet n'avait pas répondu aux protestations internationales.

A Biskra, ville du désert assez laide, constituée de maisons à deux étages en parpaing, nous avons réparé notre voiture, qui commençait à nous poser des problèmes de refroidissement, dans un garage qui est ici un simple atelier artisanal. Nous avons pu acheter dans un magasin de pièce automobile une pompe neuve pour remplacer l’ancienne défectueuse, et l'installer nous-mêmes, les mécaniciens de l'atelier ne sachant pas réparer ce genre d'ennuis.

Puis après cet incident, nous sommes repartis en direction des balcons et canyon du Ghoufi.

Les paysages des grandes montagnes steppiques de l'Aurès, et des profonds cañons de l'oued Abiod, dont les palmeraies qui en tapissent le fond, semble unique en leur genre et dans le monde.

Dans cette région des bataillons entiers de Français ont été décimés pendant la guerre d'Algérie par les Chaouis (ou Chahouas), la tribu berbère assez farouche qui occupe les Aurès.

 

Pour lutter contre la guérilla les Français avaient disposé sur toutes les routes stratégiques du pays des miradors et les Aurès en possèdent tout particulièrement. Ils avaient détruit un grand nombre de villages de la vallée de l'oued pour les regrouper dans des villages neufs de parpaing pouvant être parfaitement contrôlés.

Le soir tombait déjà lorsque nous sommes arrivés à Baniane un de ces villages modernes dont il vient d'être question.

Un hôtel de brousse est implanté face au village, de l'autre côté de l'oued El Abiod. Pour nous y conduire une piste descend jusqu'au lit de l'oued.

En franchissant à pied le lit de l'oued aux eaux limpides, nous montons un chemin dans les jardins de cactées de l'hôtel. Ce dernier, sans électricité, est dans le style des édifices mauresques et des troncs de palmiers soutiennent les plafonds.

Il est tenu par une Française mariée à un Algérien, qui nous servent des plats français et arabes très corrects. Après la contemplation d'un magnifique coucher de soleil accentuant les tons orange du paysage, nous nous sommes endormis au son du coassement des grenouilles et du léger bourdonnement du réfrigérateur à pétrole.

Vers 6h du matin, au lever du soleil, au petit déjeuner sur la terrasse, nous avons apprécié la fraîcheur de l'air matinal, que nous sachions vite disparaître avec la montée du soleil. Le patron nous a indiqué que les ruines à côté de l'hôtel sont les restes d'un village détruit par les Français.

Nous sommes repartis vers notre champ de fouille. Entre les villages de Baniane et de Ghoufi, nous avons quitté la départementale pour une piste dans le désert. Le but de notre périple était un arbre fossile situé, au pied d'une colline rougeâtre visible de loin, à 20 mn à pied de la fin de la piste. Nous sommes revenus suant et soufflant portant notre trouvaille sur un brancard. Après cet effort sous un soleil de plomb, nous avons bien dû ingurgiter 1 litre d'eau par personne. Nous avions aussi fouillé des tranchées pratiquées dans le sol calcaire par les chercheurs de géodes sans beaucoup de résultat.

Nous avons eu plus de résultat et de belles découvertes auprès des marchands de géodes au bord des routes. Ces derniers étaient tellement pauvres qu'ils échangeaient leurs géodes contre des vêtements, rapportés en quantité d’Alger, par monsieur Chopinet.

Des jeunes, pieds nus, venaient nous mendier des vêtements des dinars, des stylos etc....

La case d'un vieux marchand maigre aux cheveux blancs, aux yeux bleus, portant un habit saharien, dans laquelle on nous avait montré des géodes de quartz jaunes, améthyste bleutée, laiteux et des calcites "dent de cochon", ne contenait que quelques nattes sur le sol pour dormir.

Les villages dans la région étaient pauvres mais avaient l'électricité. Sur certaines maisons ont pouvait apercevoir des antennes de télévision.

Après un embranchement à droite vers le village de Ghoufi, depuis le balcon de Ghoufi, nous dominions avec une vue extraordinaire, le cañon de l'oued El Abiod, avec la palmeraie en son centre la Zaouïa (confrérie religieuse) du marabout de Ghoufi.

A cet endroit, je me suis amusé à essayer de photographier une petite fille au visage d'une beauté infinie - la réincarnation d'un ange - mais qui déjouait, avec modestie, toutes mes tentatives de la fixer.

Dans pratiquement tous les villages existait une buvette où était distribuée la limonade algérienne fortement basique et bicarbonatée.

 

Nous avons continué jusqu'au village d'Arris. C'est ici que commença la guerre d'Algérie avec une embuscade organisée par les premiers rebelles, le 1er novembre 1954. C'est à ce même endroit et au même moment, que le "comité des neufs" déclencha l'insurrection.

 

Après une seconde nuit à Baniane, nous avons terminé notre exploration et nous sommes repartis à Alger.

 

A mon retour j'ai cherché à tout prix à contacter des Algériens pour connaître encore mieux le pays. A l'université d'Alger, j'ai rencontré un groupe de jeunes Kabyles parlant bien français, comme la plupart des étudiants.

 

Nous avons discuté ensemble, en nous promenant dans l'université d'Alger, qui n'a pas changée depuis la colonisation malgré la construction d'une bibliothèque scientifique moderne luxueuse moquettée, remplaçant l'ancienne détruite par un incendie en 1962. Celle-ci est d'accès facile, contrairement à celles des pays de l'Est.

 

Dans certains couloirs des affiches au crayon-feutre, appelle les étudiants à participer au volontariat estudiantin ou fustige les ennemis intérieurs et autres "confusionnistes". Ce sont les seules affiches autorisées ici.

 

D'après mes amis, effectuer le volontariat estudiantin permet d'entrer plus facilement au parti. Ils ont abordé avec moi le problème kabyle. D'après eux, les Kabyles se sont les plus sacrifiés pour la guerre d'indépendance et ont été les moins récompensés, puisqu'ils sont écartés du pouvoir et n'ont pu obtenir en contre partie pour l'instant, le droit de choisir leur langue plutôt que l'arabe à l'école [22]. Ils trouvent que l'arabe devient de plus omniprésent chez eux dans les écoles primaires et secondaires.

 

A l'université, on tente d'arabiser les études scientifiques qui sont actuellement en français. Mes amis écoutent souvent la deuxième chaîne de radio d'Alger qui est en kabyle ou bien la 3ème chaîne en français qui est considérée comme la plus intellectuelle.         

 

Nous avons souvent pris des bières [23] à un café bondé, à quelques rues de la faculté, qui d'après eux est pleine d'indicateurs de la police. Nous déambulions aussi souvent sans but dans les rues d'Alger, avec comme sujet de conversation des histoires de femmes.

 

Doté d'un humour acide ou mélancolique, ils enrobaient leurs exploits amoureux d'exagérations romantiques et de mythes, tout en laissant entrevoir une réalité plus prosaïque et plus médiocre. En rétablissant ensemble les divers éléments de la vérité, il apparaissait que la majeure partie des jeunes hommes sont obsédés par les femmes à cause des tabous et interdits religieux, à cause de la surveillance des filles par leur famille et leur grand frère protecteur et jaloux.

 

En fait, les mariages d'amour sont très rares dans le pays tandis que le rôle de la dote à payer par le mari à la famille de la future épouse, reste très importante [24]. Le prix du mariage entre la dote et le repas où l'on invite jusqu'à 500 personnes, défavorise les pauvres, ceux-ci restant le plus souvent célibataires jusqu'à un âge avancé [25] et varie suivant les qualités - don de couturière, savoir lire et écrire, cheveux blonds - et les défauts - pieds bots de la future mariée. Mes amis avaient parfois la désagréable habitude de déshabiller du regard les femmes non voilées[26] et se vantent de pouvoir connaître la beauté d'une jeune fille voilée par l'observation des jambes. Ils sont grand amateur de Chaâbi, la musique traditionnelle arabe qui passionne les foules. Actuellement, le musicien le plus populaire est El Hadj Mohamed El Anka[27].

Après ce séjour à Alger, se termine mon second voyage en Algérie.

 

En retournant en Algérie pour mon troisième séjour, je savais que mes hôtes traversaient une période difficile. L'appartement qu'ils avaient loué à la compagnie de navigation Sciafino, seule compagnie française à avoir encore des intérêts immobiliers ici, avait été confisqué par la police.' En effet, après avoir toléré cette compagnie qui avait financé le F.L.N., l'Etat avait décidé finalement de nationaliser tous les remorqueurs du port d'Alger appartenant à la SERSA, une filiale de cette compagnie. Mais après la fuite de tous les remorqueurs une nuit vers la France, le gouvernement avait décidé de confisquer tous les biens de la SERSA. En attendant, faisant les frais de l'affaire, mes hôtes se retrouvaient dans la rue, et étaient partis loger au village de vacances de Tipasa.

 

Dans l'avion un diplômé de l'école de commerce de Paris, rentrait au pays pour aller travailler au ministère du Plan. Il m'a exposé son plan d'introduire l'élevage du porc. Je pensais qu'il plaisantait. Mais non, il m'a exposé une série de chiffres qui m'ont convaincu du faible coût à la production de cet animal pouvant se nourrir de tous les déchets agricoles. Le préjugé de son pays ne l'arrêtait pas et cela ne lui faisait pas peur, d'exposer cette idée au ministère.

Je ne sais pas s'il a réussi, car un mois plus tard, un décret apparaissant au journal El Moudjahid interdisait l'élevage du porc dans toute l'Algérie.

Etant arrivé par hasard deux heures plus tôt en m'étant trompé d'avion, mes amis ne m'attendant pas encore à l'aéroport, je décidais de les joindre en me rendant au bureau de leur société. La banque de l'aéroport étant fermé, à l'heure de mon arrivée, je payais mon taxi en francs français qu'il sembla particulièrement apprécier. Dans ce pays ou les francs français sont payés au marché noir à un cours trois fois supérieur au cours officiel et très demandés par les Algériens en partance pour l'Europe qui les cachent dans leurs chaussures ou derrière les miroirs de voyage, cela dû être une aubaine.

Mes hôtes furent assez surpris de mon arrivée et me reprochèrent d'avoir céder des francs français sans que cela soit inscrit sur la fiche de change de devises, ce qui pourrait m'occasionner des ennuis même pour uniquement 40 F.

 

Notre prochain voyage était consacré à la visite de Timgad dans les Aurès et de Ghardaïa dans le sud algérien.

Nous avons pris la route de Constantine par Tizi-Ouzou, Bouïra, Sétif.  Avant Tizi-Ouzou, nous avons vu la commune de Drâa Ben Khedda qui possède la plus grande usine de textile du pays qui fournit, lorsqu'elle fonctionne, jusqu'à 21 millions de m2 de tissu [28]. Sur la route une file de matériels de travaux public rouillé stationnait, oubliée plusieurs mois, par la planification.

Nous avions bien voulu visiter les ruines romaines de Djamila à côté de Sétif, mais nous n'en avions pas le temps.

 

A Constantine, notre visite a été rapide pour des raisons d’horaire. La ville est assez quelconque, excepté la vision des gorges de l'oued Rhummel, de plus de 100 mètres de profondeur, coupant la ville en deux et traversée par des ponts suspendus. Les femmes ici sont voilées en noir[29].

Sur les plateaux des environs, poussent des champs de blé et de nombreux HLM (la ville fait un énorme effort à ce sujet).

Dans la banlieue sud, une magnifique université, pour 8 000 étudiants, construite par l'architecte Oscar Niemeyer était pratiquement achevée. Ses vitres ont été envoyées par avion de France, juste au moment de l'inauguration.

A l'époque, après la ratification en mars 76 par le peuple, avec 98,51 % de oui, d'une charte nationale définissant un projet de politique nationaliste[30], l'état a prôné une politique d'arabisation totale et un retour à une vie islamique rigoureuse. Les vins vendus à l'intérieur du pays étaient taxés à plus de 40 dinars par exemple. Dans la ville on remplaçait des panneaux en français par des panneaux en arabe.

Le client que nous allions voir à Constantine nous a emmené dans un petit restaurant au nord de la ville et il a insisté lourdement pour que nous commandions du jus de raisin. Notre surprise a été grande de constater que du vin remplissait les bouteilles de jus de raisin servies. Le client a expliqué que d'autres moyens comme celui-là avaient été imaginés ici pour contourner les nouveaux décrets en vigueur sur les taxations. Par exemple, un débit de boisson roulant, circulait dans la région, car la taxation ne s'appliquent que sur les vins vendus dans les débits fixes de boisson.

 

Notre prochaine ville fût Batna, qui n'offre guère d'intérêt pour le touriste. Autour les grands champs de seigle et de blé (semés mécaniquement) semblent assez clairsemés.

 Nous sommes passés, devant une coopérative agricole aux bâtiments et aux matériaux neufs - moissonneuses, tracteurs - C'est un exemple de l'effort de l'état algérien pour développer l'agriculture des régions pauvres.

A Lambèse (appelé maintenant Tazoult), un vieux bâtiment rectangulaire en pierre de taille, semblable à une caserne, semblait comme bombardée. En fait, ce bâtiment a presque 2 000 ans et a été le siège du général en chef qui commandait la légion romaine stationnée aux deux camps de Lambaesis [Lambèse] tout proche.

La région abonde en vestiges romains. A l'entrée du village de Markouna subsistent deux arcs de triomphe en bon état.

Enfin nous sommes arrivés à Timgad à 1072 mètres d'altitude, un des plus vastes ensembles de ruines romaines du pays. L'entrée est indiquée par un arc de triomphe en zinc portant un slogan et des drapeaux algériens.

Juste en face un marchand tenait une boutique entrepôt, véritable caverne d'Ali Baba, où étaient mélangés des tapis anciens - d'une facture raffinée - de la vaisselle en cuivre ciselée, des vieux meubles mauresques, des cristaux de calcite verte...

Des petits gamins s'étaient précipités pour nous vendre des lampes romaines vendues comme authentiques et des nièces authentiques trouvées dans les ruines mais sans beaucoup de valeur (as...).

Après avoir franchi le passage payant, nous nous sommes dirigés vers le musée qui renferme des magnifiques collections de pièces anciennes, de lampes à huiles, de carafes en verre bleuté et fin, de bijoux, de statues (Esculape et Hygie...) et de belles mosaïques (Néréides assises sur des monstres marins...) etc...

L'immense ville est encore en bon état, les rues pavées portent encore les traces du passage des chars hippomobiles. Le plan au cordeau de la ville démontre la volonté planificatrice des romains dans leur mode de construction.

La limpidité de l'air assurait une luminosité et une visibilité exceptionnelle sur toute la région. Au loin une chaîne de montagne pointait ses nies enneigés.

Nous sommes repartis sur une route s'élevant dans la montagne. A 1600 mètres d'altitude, dans un décor grandiose, nous avons découvert une vallée minuscule, plate, couverte de blé vert semé à la main, entouré de désert de cailloux et de rochers, rappelant certains paysages du Ladakh, du Zanskar ou du Tibet. Les plaques de neiges subsistaient ça et là sur les pentes exposées au Nord.

Un torrent aux eaux transparentes traversait les champs. Un village assez pauvre aux maisons aux toits plats était bâti au-dessus de la route et couronné par son guelâa, grenier et forteresse à la fois (grenier fortifié).

Nous nous sommes arrêtés pour contempler les lieux sous une lumière intense. Une vibration impalpable semblait émaner de tous les détails du paysage.

Des petits enfants avaient surgi, d'on ne sait où, pour nous souhaiter le bonjour et quémander quelques dinars. Soudain, au moment de les photographier des hommes ont rappelé les enfants, tous en nous signifiant de ranger nos appareils photos.

Plus loin, notre ami Alain, venu de France et qui nous accompagnait, avait tenter de filmer, la voiture étant en marche, des femmes habillées de vêtements colorés, lavant leur linge dans le torrent. Mais dès qu'elles l'aperçurent, elles se cachèrent derrière un rocher.

Leur attitude s'expliquerait par la fierté naturelle des Chaouis (ou Chaouïas) qui ne désirent pas montrer leur pauvreté aux touristes. C'est du moins l'explication que m'a donnée le tenancier de l'hôtel de Baniane lors du précédent voyage.

La petite route devenant en très mauvais état, nous sommes retournés sur nos pas vers Batna et nous avons pris la nationale 3 vers Biskra. Au cours de notre progression vers le sud l'aridité s'accuse de plus en plus.

Par le magnifique défilé d'El Kantara, gigantesque coup de hache dans la montagne, notre route, la voie de chemin de fer qui la longe et l'oued Tilatou débouchèrent dans la vaste plaine, commencement du Sahara. La densité des miradors est assez élevée à cet endroit.

A Biskra, le soir arrivant nous nous sommes promenés dans une calèche tiré par un âne et mis à la disposition des touristes de l'hôtel Okba (SONATOUR) ou nous étions descendus [31].

 

Le tour nous a conduit successivement au bord de l'oued Biskra, dont le lit doit avoir bien un kilomètre de large ici et au milieu duquel un marabout repose en paix dans sa kouba, puis dans la grande palmeraie aux palmiers de belle venue, et finalement à la mosquée très ancienne blanchie à la chaux, (aux poutres en tronc de palmier) du minaret de laquelle nous avons assisté au coucher du soleil.

Le lendemain nous avons eu du mal à découvrir notre route, à cause de la politique d'arabisation qui, poussée ici a son paroxysme, conduisait à étaler une couche de peinture noire sur les panneaux routiers en français.(Plus tard, les autorités revenant sur leur décision on fait disparaître la couche de peinture).

Maintenant, après nous être assurés de notre chemin et étant repartis, une immense plaine couverte de rocaille, de sable et de petits arbustes se révélait à nous sous un ciel bleu sans l'ombre d'un nuage.

La route conduisant à 1’oued était en parfait état et rigoureusement droite comme toutes les routes algériennes du Sud. Je dois signaler au passage que les routes du pays sont excellentes.

A l'approche d'un chott - une grande étendue d'eau salée - le sable du désert est devenu scintillant comme si du verre pilé avait été répandu. Vus de près, les éclats brillants se révélaient être des cristaux de gypse.

Les roses de sable qui sont des cristaux de gypse formés à l'intérieur des couches de sable par évaporation, devaient certainement se trouver en abondance dans la région.

La route franchissait sur une digue une croûte salée reliant les chotts Melrhir et Merouane tous deux situés sous le niveau de la mer.

L'étendue d'eau salée, réfléchissant le ciel, était entourée par une plage blanche assez dure sous les pieds, elle-même bordée par une brusque discontinuité d'un mètre de haut séparant le chott du sol sableux environnant.

Des oiseaux semblables à des mouettes étaient réunies sur les bords prouvant que des poissons ou des minuscules crustacés vivent dans ces eaux salées    (D'ailleurs dans les mares de Topa et d'El Barrir au sud-ouest de Biskra, vivent des poissons siluridés[32], les harmout lazera (?), qui pourraient survivre quasiment sans eaux (?)).

Juste avant d'entrer dans la ville, un petit lac est entouré de palmier. Contrairement aux maison à terrasses plates du sud algérien, les maisons d'El oued sont couvertes de dômes et de coupoles blanches argentées. C'est la ville aux milles coupoles.

La région du Souf entourant El Oued est caractérisé par ses entonnoirs creusés dans le sable de 6 à 12 mètres de profondeur, au fond desquels poussent des palmiers dont la cime dépasse les bords de la cuvette. Le sable apporté par les vents qui tente de combler les entonnoirs est rejette en dehors à bras d'homme et forment des talus au sommet desquels on élève une palissade en palme.

Au bord des routes des marchands vendaient des roses des sables - certaines plus hautes qu'un homme - et des fennecs vivants, malgré l'interdiction qu'il est fait de les capturer. Certains touristes achètent ces animaux, inconscients de la mort quasi certaine frappant les fennecs dans un climat plus froid.

La route quitta ensuite la mer de sable pour une plaine monotone marron clair, égayé par quelques buttes témoins, certaines rappelant les formations du désert de l'Arizona.

Au loin nous pouvions apercevoir les torchères de HassiMessaoud et Hassi R'Mel.

Malgré la possibilité de rupture de stocks, les stations-services de la Sonatrach (compagnie algérienne des pétroles, seules à distribuer de l'essence ici en Algérie) sont implantées en grand nombre partout dans le pays et aussi bien dans le Sahara.

Après Touggourt, une route allant vers Hassi Messaoud était sévèrement gardée par un poste de policiers. D'après ce que je sais un grand nombre de coopérants français vivent là-bas et la vie y est facilitée par le percement d'un puit artésien alimentant la ville et la piscine.

Sur la route nous avons souvent croisé des camions roulant avec des minuscules chargements. En regardant un petit tas de briques au fond de la benne d'un camion allant vers le Sud, je me suis demandé à quelle vitesse sont construites les maisons au Sahara.

Enfin nous sommes arrivés dans la vallée de l'oued M'zab semblable à celle qu'aurait laissée un fleuve fossile. La vallée nous a conduit tout droit à la ville sainte des mozabites – une secte musulmane -, de Ghardaïa, " la pentapole ", constituée de 5 villes séparées, El Atteuf, BouNoura, Beni Isguen, Melika et la plus grande Ghardaïa. Elle s'est découverte en bas d'une forte descente aux virages très serrés.

Le soleil couchant enflammait les milliers de maisons plates blanches, beiges, ou bleus construites sur les collines de la ville. Des centaines de chèvres se précipitaient sans gardien vers les portes des murailles des villes, quittant leurs maigres pâturages poussant dans la rocaille des plateaux environnant.

Lorsque le soleil a disparu, des lumières vertes s'allumèrent sur tous les minarets de la ville.

 

Nous avons logé à l'hôtel transatlantique. La nuit à 4h comme dans la plupart des villes de l'Algérie, le muezzin appela en chantant les fidèles à la prière.

 

Les habitants de la ville, les mozabites, se souviennent, pour la plupart, de la longue histoire de leur peuple.

A la succession du calife Othman, 3ème dirigeant temporel et spirituel de l'islam, gendre du prophète Mahomet, le pouvoir s'était partagé entre Ali, fils de l'oncle du prophète, et Mo'â Wiya, parent de Othman. Les partisans de Mo' â Wiya et de sa dynastie se regroupèrent au sein du groupe de Kharijites. Ceux n'admettaient pas un arbitrage du pouvoir entre les deux chefs et assassinèrent Ali. Ce parti fut ensuite poursuivi par la dynastie abbasside (se réclamant d'Ali), en Égypte, où il fut massacré. Une branche de ce parti des ibadites réussit à s'échapper au Maghreb où il fonda le puissant royaume de Tiaret au Xe siècle. Mais la vengeance des partisans d'Ali s'acharna encore contre eux, et leur royaume fut détruit. Ils réussirent à fonder un nouveau royaume à Sedrata au sud-ouest de Ouargla. Sedrata fut détruite au XIe siècle, ses puits comblés, ses habitants passés au fil de l'épée et ses palmiers coupés. Les survivants appelés les mozabites s'installèrent plus au sud, dans la vallée aride qui allait donner Ghardaïa. Leur histoire explique leur mode de vie actuellement encore très austère. Ce sont des commerçants très réputés et on peut trouver chez eux tout ce que l'on ne trouve pas ailleurs en Algérie. Par exemple à l'époque, nous avons pu dénicher chez un libraire mozabite de Ghardaïa - rangeant ses livres au plafond tellement sa boutique était petite - un livre rare sur les miniatures d'un grand peintre contemporain algérien Mohamed Racim, introuvable à Alger.

Toute la nuit, pour en revenir à notre hôtel et terminer cette parenthèse sur les mozabites, nous avions eu très chaud contrairement à notre attente, connaissant d'habitude la fraîcheur des nuits au Sahara.

Après le petit déjeuner nous allâmes vers la place du marché de Ghardaïa. Dans les rues, le sable en suspension dans l'air après une tempête accentuait l'impression de dessèchement de nos voies respiratoires.

La place est entourée de vieux bâtiments à arcades sous lesquels on trouve fraîcheur et ombre et des magasins pour touristes.

Dans le marché, on trouvait de tout. Tous les hommes mozabites portaient pantalons bouffants gris, gandoura blanche et calotte blanche sur la tête. Des charlatans guérisseurs viennent parfois y venter leurs produits.

Un artisan cordonnier avait refusé avec colère de se laisser photographier … réaction de fierté [33] ?

Dès que nous avons pénétré dans l'ancienne ville elle-même nous avons pu apercevoir en levant les yeux des panneaux indiquant par dessin qu'il était interdit de se promener en short ou mini-jupe. Dans la rue nous avons croisé des femmes couvertes d'un voile qui leur cache complètement le visage et qui se sont plaquées face au mur pendant notre passage. Lorsqu'elles étaient fixées du regard elles détournaient les yeux. Les jeunes filles de moins de 14 ans ne sont pas voilées.

La ville aux rues étroites semble propre. Des fils électriques s'intègrent mal au décor, mais "modernisation oblige".

Le guide que nous avions choisi nous a conduit jusqu'à la mosquée au sommet de la colline. Dans cette région, l'architecture des mosquées et des tombeaux est assez étonnante : les minarets blancs ressemblent à des pains de sucre, les tombeaux terminés par des pointes arrondies à des termitières blanches. L'architecte Le Corbusier s'est d'ailleurs inspiré de cette architecture. Dans la mosquée, aux poutres en troncs de palmiers, sont présentes comme d'habitude, le bassin aux ablutions, les tapis, mais très peu d'éléments décoratifs sont visibles. Ici la simplicité est aussi de rigueur.

L'après-midi, nous sommes allés voir un client mozabite qui tient un magasin de quincaillerie. Il nous a invité dans sa maison située sur les hauteurs de Melika. Il nous a reçu dans sa pièce de réception couverte de tapis, de coussins et de paroles stylisées du Coran sur les murs.

Une grande page mise sous verre est imprimée avec toutes les sourates du Coran. Notre hôte nous a servi un gâteau au lait de chèvre qui exhalait une forte odeur mais qui s'est révélée délicieux et du thé à la menthe suivant un rituel très élaboré. L'eau chaude est versée sur les feuilles de thé contenues dans une théière au couvercle pointu, surmonté d'un croissant, puis l'infusion est reversée sur un récipient large contenant des pains de sucre et enfin est transvasée dans une théière pour être servie avec délicatesse dans de petites tasses en cuivre.

Les femmes de la maison ne participaient pas au rituel, et restaient à nous observer de loin à travers un rideau. La femme de mon ami était seule autorisée en tant qu'européenne non musulmane à rester avec nous. ||| Notre hôte nous a indiqué que la forte démographie de l'oasis obligeait les jeunes à aller travailler au Nord ou en France.

Parlant des barrages anciens pour retenir les crues de l'oued M'Zab, il nous a montré une photo ancienne où l'on voyait toute la vallée d'un bord à l'autre couverte d'eau.

Nous sommes passés ensuite sur la terrasse où séchait le linge pour admirer le coucher de soleil. En montant dans la maison, j'ai constaté qu'elle était peu meublée.

Notre marchand mozabite a voyagé dans toute l'Europe. Quant à sa femme, à laquelle il a appris à écrire, elle n'est jamais sortie de Melika.

Le frère du mozabite avec lequel j'avais discuté théologie [34] est passionné par la conquête spatiale.

Le lendemain nous avons assisté à l'inauguration de la foire commerciale de Ghardaïa. Une foule immense s'y était rassemblée.

Après l'arrivée du cortège des DS noires, officielles, précédées de motards, le spectacle folklorique a commencé par des danses traditionnelles accompagnées au son des tambours et des bombardes, au bruit assourdissant. Ces danses interprétées par des hommes en costume traditionnel furent ponctuées par les décharges bruyantes de vieux tromblons au canon court et évasé.

Après cette présentation, la foule s'est précipitée à l'intérieur du parc des expositions.

Deux stands ont retenu mon attention.

Le premier exposait les plus belles productions de tapis de haute laine de Tlemcen, de Ghardaïa, de Beni Isgen aux couleurs vives dominées par le rouge et aux dessins géométriques en dents de scie.

Un tapis de 24 m2 de haute laine de la fabrique nationale des tapis, blanc neige, orné de scènes de chasse provoqua notre admiration. Il avait coûté 20 000 dinars et avait été commandé par un riche algérien.

Dans le stand Sahraoui, des jeunes à la peau très blanche, parlant français, dans des tenus de sahraouis restaient immobiles dans un décor imitant des paysages de désert et parmi des objets ciselés obtenus avec des culasses d'obus. A la sortie étaient distribués des tracts contenant la déclaration d'indépendance de la république saharaouie. C'est un des multiples efforts l'époque du gouvernement algérien pour mobiliser le peuple dans le sens de la politique du pays au Sahara occidental.

Le soir nous nous sommes arrêtés pour assister au retour des chèvres chez elle. Nul berger ne les accompagnait et elles retrouvaient, par habitude, la maison de leur propriétaire. Puis nous avons été acheter un tapis et un poisson des sables (sorte de lézard empaillé nageant à grande vitesse dans le sable des dunes).

En face de notre marchand de tapis, des hommes discutaient, certains organisaient des enchères sur une place.

Nous n'avons pu après notre séjour ici continuer plus au sud à Tamanrasset - la ville des hommes bleus, les Touaregs [35] - car nous devions par certains impératifs retourner à Alger.

A l'hôtel Sonatour de Lanhouat, une surprise attendait notre ami Alain, grand amateur de bon vin : le vin taxé à 40 dinars était retombé à 16 dinars. Dans la salle de restaurant, le liquide rouge coulait à flots. A côté de nous, des touristes japonais exprimaient une certaine hilarité qui ne devait pas être sans rapport avec les bouteilles de vins posées sur leur table. Les touristes soviétiques quant à eux, restaient imperturbables. Ils sont d'ailleurs partis en file indienne, sans tourner le regard vers ces japonais et français bruyants.

Des coopérants, à côté de nous, racontaient des histoires de sorcelleries effrayantes s'étant déroulées dans le Sud.

Puis au retour, nous avons continué par Laghouat, Djelfa pour atteindre Alger.

Dans une région vallonnée proche de Bou Saâda, nous avons admiré les immenses efforts des jeunes de l'armée algérienne, qui durant les deux ans de leur service, construisent le grand projet du barrage vert allant du Maroc à la Tunisie, pour conquérir le désert, plantant et arrosant sans cesse des millions de jeunes eucalyptus ou pins (En tout la forêt plantée devra couvrir 1,5 millions d'hectares).

Parallèlement à la route avant Ksar El Boukhari des plants qui avaient pris étaient menacés par une invasion de chenilles processionnaires du pin. Ce sont aussi les militaires qui construisent la transsaharienne.

Sur cette route aussi après Djelfa, une mer d'alphas, dont l'uniformité est rompue par des pistachiers térébinthe, ondule au vent.

Nous nous sommes arrêtés le soir au bord du lac de barrage de Boughzoul, un refuge écologique couvert d'oiseaux aquatiques en particulier des canards, le tout contemplé au coucher du soleil.

Puis nous nous engageons dans une vallée assez desséchée, ponctuée d'alpha et d'armoises, enserrée par des hauteurs mamelonnées prenant des formes étranges avec les ombres du soir. |A Alger, mon hôte s'est replongé dans les ennuis administratifs liés à des problèmes de statuts de sociétés : formulaires â remplir en 11 exemplaires, cachets obligatoires sur tous les exemplaires de plusieurs administrations (cet envahissement de la bureaucratie administrative et ses démarches tatillonnes est le plus mauvais héritage de la colonisation). Parfois, quand on ne peut rien faire d'autre, il faut "biberonner" (payer discrètement) pour obtenir plus vite un service.

Mon ami a réussi à obtenir un appartement dans le même immeuble que celui qu'il avait dû quitter, ce qui constitue une performance remarquable dans ce pays ayant une forte crise du logement.

Mon ami préférait travailler en tant que privé (malgré les risques de nationalisation de sa société[36]), plutôt qu'en société nationale, à cause, d’après lui, des problèmes de manque de responsabilités qui y règnent et de délégation du pouvoir aux travailleurs la plupart non spécialistes des domaines économiques, l'autogestion étant de règle.

 

Le résultat pour lui serait de participer au "gâchis généralisé" ce qui serait contraire à sa morale.

Le "gâchis" était par exemple de ne pouvoir faire tourner certaines usines faute de responsabilités et de sauver la face en commandant dans des pays étrangers des produits transitant ensuite par l'usine défectueuse et présentés ici comme production nationale (comme ce fut le cas de l'usine de verre d'Oran commandant du verre en France où de l'usine Isis commandant de la lessive en Italie etc.).

Il n'acceptait pas non plus que pour des raisons d'égalitarisme, on ne favorise pas les plus compétents.

 

A l'époque, c'était la grande campagne anti-moustique. Des avions survolaient la ville en pulvérisant du D.D.T. Plus tard une autre campagne en faveur de la propreté, avait amélioré temporairement la propreté des rues d'Alger. Une caractéristique du pays était ces campagnes lancées de temps en temps par les médias.

 

Mes derniers souvenirs de la ville, avant mon départ, ont été un grand incendie au marché de Bab El Oued [37], où la foule impressionnante _ des milliers de badauds venus là _, bloquait la progression des W.W, coccinelles bleues et blanches de la police et une conférence sur Beethoven, au 100° anniversaire de sa mort (en 77), donnée par le professeur Henhart Goebbels, venu de Munich, et organisée par le gouvernement algérien.

 

A l’époque, était exposé dans le journal « El Moujahid » un débat sur la mauvaise gestion du port d’Alger, où participaient la direction du port, les douaniers, les dockers etc. … Ce genre de débat dans les journaux étaient rares. Nous même étions au courant du cas des milliers de conteneurs inutilisés et rouillés dans une annexe du port, sur la route de l’aéroport, du cas des 8000 fûts de résines thermodurcissables oubliés et durcis par le soleil ou encore de l’engorgement du port, visible par l’attente de dizaines de bateaux en rade d’Alger.

 

Quand je suis parti au mois du ramadan, en septembre, période où toute la vie économique est ralentie par le jeûne des gens, j'avais un sentiment ambiguë pour le pays, partagé entre un attachement pour les gens et une vision pessimiste pour l'avenir économique et démographique du pays.

 


 

1         En conclusion : petite analyse sommaire du pays

 

1.1       Quel sera l’avenir du pays ?

 

Pour l’instant, le pays a été tiraillé par deux tendances :

- la montée du radicalisme musulman avec la secte des frères musulmans (et d’autres mouvements semblables), que l’auteur de ce texte considère comme un retour en arrière vers l’intolérance et le fanatisme.

- une libéralisation du régime qui serait plus favorable à la culture européenne et française.

 

A l’époque de mon départ, des batailles rangées se déroulaient, à l'université d'Alger, entre progressistes ou libéraux et frères musulmans souvent à l’avantage de ces derniers. Des amendes étaient instaurées pour punir les marchands qui laissaient une inscription en français sur leurs magasins (par exemple à Constantine). On constatait le rétablissement de l’éducation religieuse obligatoire dans les écoles.

Mgr Duval (cardinal d’Alger) était mort des suites d’une opération pratiquée à Alger et certains pensaient qu’il avait été assassiné[38]). Et certains pensait que le décès suspect du ministre de l’Intérieur (et des finances), pro-français (?), Ahmed Medeghri[39], était en fait un assassinat. Pour certains Français, ces « assassinats » semblaient (dans leur optique) être des indicateurs de la montée du radicalisme opposés à la culture européenne, représentée par la France.

 

Mais après la mort du président Boumediene, le nouveau président Chadli - ancien dirigeant du commerce d'Oran – a semblé inaugurer une politique de libéralisation limitée, il est vrai, du régime [40] [41]. Celui-ci, tout en maintenant la Politique d'arabisation, a décidé de supprimer les démarches administratives qui limitaient le droit de sortie des citoyens algériens voulant aller à l'étranger et de rentabiliser les entreprises nationales par le renforcement de la concurrence privée [42].

 

En fait, le pays est bien tenu en mains par le parti (le F.L.N.). C’est pour l’instant, par les évolutions et oscillations du parti que ce pays peut changer (ou non). Mais rien ne filtre guère du parti (sur ses éventuels divisions ou déchirements internes).

 

Mais si l’on se base sur l’exemple d’autres socialismes musulmans autoritaires (ou non), il semble qu’on peut s’attendre qu’à des évolutions limitées de sa politique.

 

Sur le plan économique, à cause de l’endettement et de l’épuisement de ses réserves pétrolières, et du faible rendement agricole, de la démographie galopante, le pays risque de s’appauvrir progressivement … ce qui conduira immanquablement à des explosions sociales.

 

Avec Chadli, j’avais vu, au début, dans sa politique, un début de libéralisation du régime.

Mais en fait, je crois maintenant, qu’en me basant sur tous les exemples des régimes autoritaires doctrinaires, que tout régime de cette sorte, suivant une doctrine politique rigide, ne peut guère beaucoup évoluer, en raison du fait d’être obligé de suivre une doctrine.

En admettant ce constant, on peut penser que le socialisme algérien restera sans grand changement pendant encore longtemps, sauf bouleversement intérieur ou extérieur.


 

1.2       Bibliographie sommaire sur l'Algérie

 

- "L'Algérie", guide Jeune Afrique.

- "Algérie", guide Bleu (hachette),

- "L'Algérie algérienne" de Gérard de Viratelle, édition ouvrière.

- "Vies quotidiennes contemporaines en Algérie", par Rachid Boudjedra, Hachette, 1971.

 

1.3       L'Algérie en chiffres

 

Population 18 510 740 hab. (en 1979).

Superficie 2 381 740 Km2.

94 % la population sur 13 % de la superficie du territoire.

Terres cultivées : 3 % du territoire (France 34 %),

Rendement céréales : 800 Kg/ha.

53 % de la population dans l'agriculture.

Indice de chute agricole : base 100 en 1970, 83 en 1977.

PNB / hab. : 6 000 F.

Déficit agricole : 5,2 milliards de F (5,2 % du PNB).

 

Déficit de la balance des payements : 16 % du PNP (1978)

 

Pétrole : 60 500 000 tonnes (15° rang mondial, 2 % de la production mondiale, 92 % des marchandises exhortées).

Vins : 7 400 000 hl/an (en 1974),

Agrume : 539 000 tonnes,

Blé : 652 000 tonnes (la production de blé étant insuffisante, les importations constituent les 1/3 de la production).

40 % de la population de moins de 20 ans.

 

Source : Atlas éco du Nouvel Observateur.

 

Table des matières

1       En conclusion : petite analyse sommaire du pays. 27

1.1         Quel sera l’avenir du pays ?. 27

1.2         Bibliographie sommaire sur l'Algérie. 29

1.3         L'Algérie en chiffres. 29

 

 



[1] A l'époque, en 1973, il suffisait d'un simple carte d'identité pour rentrer en Algérie.

[2] Les Algériens ne pouvaient sortir à l'époque d’Algérie, qu'avec 300F de devises.

[3] Source : mes hôtes en Algérie.

[4] A l'indépendance, le pays comptait 8 millions de personne, maintenant 18 millions avec un des plus fort taux de croissance démographique du monde.

[5] On dit que le président ne dormait pas chaque nuit dans la même chambre. La résidence officielle du président est l'ancien palais du gouverneur, rue ???

[6] Peu de Français croient à ce chiffre qui correspondait à 12 % de la population de l’époque.

[7] Peut-être est-ce dû à son enfance dans les milieux modestes où la superstition et la croyance dans les pseudo-marabouts charlatans divins, dans la sorcellerie et le mauvais œil, sont encore assez répandues.

[8] Source :  « Vie quotidienne en Algérie » par Rashid Boudjedra.

[9] Cette partie sur la visite de la cité est imaginaire. Elle a été créée ici pour pouvoir rapporter des anecdotes vraies sur la vie de la cité.

[10] Les domaines ont appartenu à de riches propriétaires terriens français avant l'indépendance. Ce sont maintenant des coopératives agricoles nationalisées.

[11] Le christianisme en Algérie a été très actif, parfois violent avec l’hérésie donatiste (305-420). Sa figure intellectuelle principale fut Augustin est né en l'an 354 à Tagaste (près d'Annaba en Algérie actuelle) et mort en 430 à Hippone (Annaba). La violence et le fanatisme donatistes réprimés par l’Empereur Constantin, et combattu par Augustin, a freiné l’élan missionnaire chrétien en Afrique du Nord. Le christianisme a totalement disparu après l’arrivée de l’Islam en Afrique du Nord (il n’en restait aucune trace à l’arrivée du colonisateur français). La disparition du christianisme autochtone pourrait s'expliquer par la forte immigration musulman sur place et l’utilisation du latin par cette communauté (langue progressivement interdite). Seul restait une petite communauté juive en Algérie persécutée et ayant le statut de dhimmi qui comportait des interdictions.

Source : Sur le donatisme : http://perso.wanadoo.fr/famille.renard/histoire/une/donatism.htm

Sur l’histoire du judaïsme en Algérie : http://www.zlabia.com/histoire.htm

Sur l’histoire du christianisme en Algérie : http://www.ada.asso.dz/Presentation/Histoire/histoire1.htm

[12] Le monogramme du Christ est formé de deux lettres de l'alphabet grec, le C (chi) et le P (ro), enlacés l'une à l'autre. Ce sont les deux premières lettres de la parole grecque "Christòs", c'est-à-dire Christ. Ce monogramme, placé sur une tombe, indiquait que le défunt était chrétien.

[13] Le poisson est le symbole des premiers chrétiens. Poisson vient du mot grec ichtus. ICHTUS est formé des initiales des mots Iesu Kristos Theou Uios Sôter, qui se traduit par : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur.

On trouve de nombreuses figurations symboliques du poisson, image du Christ, dans les anciens monuments chrétiens funéraires, comme les catacombes à Rome.

Le poisson figure souvent à côté du pain. Avec un vaisseau sur le dos, il symbolise le Christ et son Église. C’était un signe de reconnaissance (et un code secret), à l’époque où l’église chrétienne était persécutée.

[14] Ministre de l'habitat et de la reconstruction : Mohamed El Hadi Hadj Smaine.

[15] Dans la plupart des pays socialistes autoritaires, on retrouve ce genre de panneaux aux abords des installations militaires.

[16] Henri Borgeaud, https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Borgeaud

[17] Sous le régime colonial français, en 1871, un soulèvement kabyle a été réprimé dans le sang.

[18] Nous avons appris 2 ans après que la région a été ravagée par un incendie quelque temps après notre passage.

[19] Les boîtes de nuits existent dans le pays, mais sont rares. Il en existe une dans la station balnéaire de Sidi Fredj.

[20] Il existe même en été dans certaines régions.

[21] Dont la plupart des jeunes (40 % des Algériens ont moins de 20 ans, 50 % moins de 40 ans).

[22] Leur revendication ne va pas jusqu’à l’autonomie, pour l’instant.

[23] La majeure partie de la bière ici est de la Kronenbourg fabriquée sous licence ici.

[24] La dote n’existe pas dans certaines régions.

[25] Jusqu'à 40 ans, Un mariage coûte en moyenne 30 000 dinards.

[26] Beaucoup d' Algériens le font.

[27] El Hadj M'hamed El Anka, https://fr.wikipedia.org/wiki/Hadj_El_Anka

[28] Du moins d’après les déclarations officielles.

[29] La visite de Constantine n’est pas réelle. Elle a été rajoutée pour montrer des faits quant à eux véridiques.

[30] En général, dans le pays les élections se font toujours à plus de 90 % de oui. Par exemple, le président Boumediene a été élu avec plus de 95 % des suffrages exprimés, en décembre 76.

[31] Son architecte est F. Pouillon.

[32] Normalement, c'est le Silure glane (Silurus glanis) qui a été introduit en Algérie. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Silure_glane

[33] Cette attitude n’a rien de caractéristique puisqu’on la retrouve également aux puces de Paris.

[34] Sa position est la tolérance.

[35] Cette appellation provient du fait que les Touaregs de Tamanrasset portent tous un voile bleu qu’ils ne quittent pour ainsi dire jamais, ni au repos, ni en voyage, ni pour dormir.

[36] Au-dessus de 10 millions de Dinars, une entreprise privée est nationalisée.

[37] Ce genre d’informations (accidents de la circulation, meurtres etc. …) ne sont que très rarement indiqués dans les journaux du pays.

[38] Il meurt le 30 mai 1996, des suites d'une opération, juste avant qu'on apprenne la découverte des corps des moines de Tibhirine.

a) Léon-Étienne Duval, https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on-%C3%89tienne_Duval

b) «Mohamed Duval» mort en Algérie où il voulait rester. Arrivé dans ce pays qu'il aimait en 1947, le cardinal d'Alger est décédé hier des suites d'une opération, Florence AUBENAS, 31 mai 1996, https://www.liberation.fr/planete/1996/05/31/mohamed-duval-mort-en-algerie-ou-il-voulait-rester-arrive-dans-ce-pays-qu-il-aimait-en-1947-le-cardi_170239 /

[39] Ahmed Medeghri, https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmed_Medeghri

[40] Mais Ben Bella est toujours en résidence surveillé. Une répression des Kabyles en 1979, à Tizi Ouzou, était encore proche dans les esprits kabyles.

[41] En 1980, la Kabylie connaît plusieurs mois de manifestations réclamant l'officialisation de la langue berbère, appelées Printemps berbère circonscrit à la Kabylie et aux université d'Alger.

[42] Du moins est-ce le point de vue de l’auteur.