Rubrique : Opinions, billets d’humeur, avis

 

Le caractère pratique de la formation de pâtre de haute montagne en danger ?

 

Par Benjamin LISAN, responsable du site Internet « Bergers de France ».

 

Depuis 1994 la formation de ces professionnels de l'élevage, est confiée à l'association [des pâtres de haute montagne] qui existe depuis 1975 ; la gestion administrative et le lien avec le financeur, en l'occurrence le conseil régional, revient au centre de formation professionnelle pour adultes de Pamiers avec le lycée agricole.

Notamment, une grande partie des cours serait désormais assurée par les formateurs du CFPPA au lieu de l'association des pâtres, non plus dans des gîtes d'étape, mais dans des salles de classe.

Selon Nicolas de Munnik, responsable de l’association, « C'est donc le CFPPA de Pamiers (enfin son chef hiérarchique, le directeur du lycée agricole de Pamiers) qui signe la convention avec la région et délègue la mise en œuvre pratique de la formation à l'association des pâtres. Pour cette signature, le suivi administratif et six journées de formation, le CFPPA reçoit 20 % du montant de la convention, c'est-à-dire plus de 10 000€. »

Récemment le conseil régional a demandé une « mise aux normes de la formation avec un respect rigoureux, notamment de la convention, des règles de sécurité et une meilleure information sur le devenir des stagiaires après leur parcours de formation. ».

Nicolas de Munnik insiste sur l'importance de la pratique : « On ne devient pas berger en prenant des cours par correspondance ». Les stagiaires vont sur le terrain c'est-à-dire sur les estives avec des professionnels. « […] plus de 80 % des stagiaires trouvent un emploi après leur formation. […] pour les dix places en 2007, 146 personnes demandent à y rentrer ! Ce savoir faire, [a été] acquis en trente-deux années d'expérience ».

Jean Montussac, directeur du lycée agricole de Pamiers, conteste cette analyse du dossier en rappelant que les nouvelles normes imposent de façon rigoureuse un minimum d'heures de théorie assurées par des formateurs spécialisés afin de répondre à un objectif de « formation qualifiante » ( ?). Pour Jean Montussac, l'association des pâtres ne devrait pas compter uniquement sur les crédits régionaux, mais « diversifier ses sources de recettes en cherchant d'autres financeurs » [i.e. chercher d’autres sources que celles de la région, ces sources devant revenir prioritairement au lycée agricole de Pamiers].

 

Notre avis sur cette question de la « mise aux normes » :

 

Cette « mise aux normes » (à celles de l’Education nationale) exprime une dérive de l’éducation en France, qui veut que pour toutes les formations y compris manuelles (ce qui est le cas du métier de berger), on y introduise de plus en plus de la théorie …

 

Actuellement, la formation de pâtres de haute montagne n’est pas reconnue par l’Education nationale, en tant que « formation qualifiante ». Or cette « non-reconnaissance » de l’organisme d’état ne correspond pas à la réalité du terrain. L’Education nationale ne connaît pas du tout le milieu des éleveurs et des bergers … alors qu’en fait que cette formation est très reconnue et recherchée justement par les éleveurs. Et l’auteur de cet article peut témoigner qu’il a rencontré bien des éleveurs qui recherchent des bergers ayant suivi cette formation très pratique, en prise avec le terrain.

 

Cette dérive de l’Education nationale recherchant constamment la mise en place de soit disant « formations qualifiantes » _ comportant des examens théoriques censés permettre de mieux évaluer les élèves, plutôt que des évaluations pratiques sur le terrain _ est en complet décalage avec la réalité. C’est même un déni de la réalité du métier, qui est essentiellement pratique. Comme le métier de jardinier, le métier de berger _ comme le dit justement Nicolas de Munnik _  ne s’apprend pas « en prenant des cours par correspondance » ou [uniquement] dans des salles de classe (Voir aussi en annexe à ce courrier (°) ce qu’écrit Alain Baraton (jardinier en chef du Domaine National de Trianon et du Grand Parc de Versailles) sur le métier de jardinier, écrits qui pourraient aussi s’appliquer au métier de berger).

 

l’Education nationale, en voulant tout normaliser, tout uniformiser, sans aucune intelligence aucune, risque _ aux yeux de la profession du moins _ de détruire, sinon de dévaluer une formation connue est en fait réellement qualifiante, et reconnue depuis longtemps dans le milieu des bergers et des éleveurs et reconnue par le métier …  Le fait que pour 10 places, qu’environ 150 personnes veulent suivre, chaque année, cette formation prouve bien qu’elle est reconnue et appréciée (on s’y « bousculerait » pas s’il n’y avait aucun débouché à son issue).

 

Pour les professionnels, vouloir enseigner le métier de berger dans des salles de classes est une véritable hérésie.

 

Les objections émises à la participation de l’Association des Pâtres à cette formation, au caractère extrêmement pratique dispensée par celle-ci (en particuler dans des gîtes d'étape et chez des éleveurs, ou auprès des bergers pour être au plus proche des estives), au fait qu’elle ne se ferait pas dans le respect rigoureux, de la convention (dont un minimum d'heures de théorie), des règles de sécurité et une meilleure information sur le devenir des stagiaires après leur parcours de formation, ne correspond pas à la réalité.

 

Les règles de sécurité, les connaissances théoriques (i.e. le « minimum d'heures de théorie ») en particulier les connaissances vétérinaires, peuvent très bien s’apprendre sur le terrain.

 

Des formations vétérinaires ne peuvent pas s’apprendre que dans des livres ou des cédérom. Elles obligent à des manipulations des bêtes. Et ces manipulations ne peuvent s’apprendre que sur le terrain.

 

Source : Ariège Pyrénées - L'association des pâtres inquiète pour la formation.  Pastoralisme. La polémique mène le troupeau, http://hdeypyrenees.over-blog.com/article-12772115.html &

 http://www.algeriepyrenees.com/article-12772115.html  & La Dépêche du Midi, Jeudi 4 octobre 2007.

>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

 

(°) Voici ce qu’écrit, sur le métier de jardinier, Alain Baraton (jardinier en chef du Domaine National de Trianon et du Grand Parc de Versailles), dans son livre Le jardinier de Versailles (Grasset, 2006, pages 203) et qui peut aussi s’appliquer au métier de berger :

"Il y avait toujours un jardinier prévenant qui me montrait les gestes, me dire que si je me positionnais de telle ou telle manière j'allais avoir mal au dos m’expliquer comment répartir le poids et limiter les efforts. [...] j'étais soutenu. Quand vous aviez les mains meurtries, percluses de crampe et à vif à cause des ampoules, la phrase  "c'est le métier qui entre", à défaut d'être un remède était déjà un réconfort. [ ...] il fallait connaître tous ces petits "trucs" pour bien les accomplir. Ce ne sont pas des choses que l'on peut trouver dans des livres, si savoir en accumulant des diplômes, il s'agit d'un savoir-faire à la fois très simple et très humain, mais qui nécessite un apprentissage : je n'y crois pas trop, moi, à l'enseignement par correspondance...

Dans le domaine du jardinage du moins, il faut non seulement s'exercer, mais s'exercer sous l'oeil d'un ancien qui vous corrige et vous indique les milles et un secret de la profession. Notre savoir se transmet plus qu'il ne s'apprend : peut-être est-ce l'apanage de ces

métiers que l'on dit, souvent avec une pointe de condescendance, "manuels" ? Il s'agirait plutôt d'une supériorité: il n'y a rien de plus beau à mon avis que de se servir de ses mains. [...] ».

 

Page 207 et 208 :

« Je plains les stagiaires d'aujourd'hui : nous ne savons plus, à mon avis, enseigner les métiers manuels. Le jardinage est inculqué comme les mathématiques et la philosophie ! [...] Vous n'apprendrez pas grand chose du métier enfermé dans une bibliothèque en lisant des manuels et en écrivant des compositions sur l'art et la manière de planter des choux... C'est beau de vouloir reconnaître l'égalité des chances et des savoirs, mais il faut reconnaître la diversité de ces derniers. Le pire est que cette quête, plutôt généreuse, de l'égalité, se termine par une uniformisation des enseignements, et comme en France nous avons la manie des hiérarchies, le modèle que doivent suivre toutes les disciplines est celui des disciplines les plus nobles, c'est à dire intellectuelles. L'égalité qui enfante la norme et le conformisme, déjà, moi, ça me ferait plutôt vomir, mais en plus l'échec de cette formation est patent : quel est le résultat de ces CAPA, BEPA, bac pro et autres BTS dans les jardins ? Mes petits "bleus" connaissent sur le bout des doigts leurs manuels de botanique et sont incapables de reconnaître une plante quand elle est dans un bosquet et non plus dans un livre ou sur un cédérom ! [...]

L'enseignement est trop théorique, et par conséquent fallacieux : nombre de tâches jardinières demandent peu de spécialisation et muni d'une feuille sur laquelle est inscrit BEPA on se sent lésé, quand il s'agit des feuilles plus "végétales". [...] je regrette seulement qu'ils soient les dupes de ce système ».