Bovins du Québec, août-septembre 2003

 

Piétain d'Italie

Connaissez-vous la dermatite digitée?

André Desrochers*

 

Cette condition des onglons fortement contagieuse a été décrite pour la première fois par le Dr Mortellaro en 1974 en Italie. Vers la fin des années 70, cette maladie fait son apparition en sol nord-américain dans l’État de New York et fait des ravages, en particulier dans le sud des États-Unis, principalement chez les grandes fermes laitières de l'État californien. Dans certains états américains, il y a plus de 80 % des troupeaux qui sont atteints occasionnant des pertes économiques considérables. Cette maladie a traversé les frontières américaines pour se retrouver chez nous au milieu des années 90. Malheureusement, on ne connaît pas la fréquence exacte de cette maladie au Québec actuellement. Il est donc difficile d'évaluer son importance économique mais présentement c'est sûrement la maladie des onglons numéro un au monde.

 

Qu’est-ce que la dermatite digitée?
C’est une inflammation de la peau au niveau des pieds juste au dessus du talon des onglons autour de la région interdigitée. La dermatite digitée affecte principalement les deux pieds des membres arrières. Dans certains cas, les lésions sont aussi présentes sur le dessus du pied. Contrairement au piétain traditionnel, il n’y a pas d’enflure entre les onglons et les animaux font rarement de la fièvre. La dermatite digitée débute progressivement à la jonction corne et peau par une lésion rougeâtre. Rapidement, le diamètre de la lésion s’agrandit et devient ulcérative (figures 1 et 2). Il y a perte de poils, enflure et la dermatite prend l’allure d’une fraise. Plusieurs filaments ressemblant à des poils très épais peuvent faire leur apparition par la suite ce qui est une manifestation différente de la maladie. Les lésions sont nauséabondes à cause des infections secondaires.

 

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les animaux atteints de dermatite digitée sont en douleurs. Par conséquent, ils passent plus de temps couchés, mangent moins, la production laitière diminue et ils démontrent moins de signes de chaleurs. Debout, ces animaux ont tendance à piétiner constamment sur leurs membres postérieurs. Ils favoriseront un appui en pince (bout des onglons) en soulevant les talons pour se soulager. Une fois introduite dans un troupeau, la maladie s’étend rapidement affectant la majorité des animaux durant la première année mais surtout les animaux de 1ère et 2eme lactation.

 

Quelle en est la cause?

C’est une maladie multifactorielle qui implique un microorganisme appelé « Spirochète » (Treponema spp) dans la pathogénie. Cet organisme colonise la peau en superficie et se retrouve en grande quantité dans les lésions actives. Il induit une réponse immunitaire plus ou moins efficace chez l’hôte. Malgré sa ressemblance histologique avec les lésions de papillomatose virale (verrues), aucun virus n’a jamais été isolé.

 

Les facteurs tel que l’humidité, la propreté, les planchers abrasifs, le microbisme influencent l’apparition de cette maladie. Les conditions de stabulation libre sont donc plus propices au développement de cette maladie. Jusqu’à 90 % des vaches en stabulation libre peuvent être infectées contrairement à 30 % dans une stabulation de type attaché. La transmission se fait par contact direct (fumier) ou indirect (objet contaminé comme les couteaux de pieds). Étant donné la prévalence plus élevée chez les jeunes animaux dans un troupeau, une certaine immunité s’installerait avec les années. Mais certaines études démontrent que jusqu’à 60 % de vaches traitées et guéries développeront de nouvelles lésions dans les sept à 15 semaines suivantes. Une guérison spontanée des lésions est possible mais rare.

 

Comment être certain que c’est de la dermatite digitée?

L’apparence visuelle des lésions et la très grande contagiosité de cette maladie sont suffisantes pour conclure à une dermatite digitée. Une biopsie de la lésion confirmera le diagnostic mais n’est pas du tout essentiel dans la plupart des cas.

 

Que faire lorsque la maladie est dans mon troupeau?

Le traitement consiste à l’application d’antibiotiques ou d’antiseptiques sur les lésions. Le traitement est donc local. On peut appliquer les antibiotiques à l’aide d’un bandage, en aérosol (arrosoir à jardin de quatre litres pour les pesticides) ou à l’aide d’un pédiluve (bain de pied). La méthode d’application est en fonction du nombre d’animaux infectés et du type de stabulation. Le pédiluve s’applique bien à la stabulation libre. L’aérosol s’utilise aussi bien en salon de traite que dans les étables entravées. On comprendra que l’application de bandage sera réservée aux petits troupeaux avec un nombre d’animaux infectés limité. Peu importe le type d’application topique, le pied devrait être propre avant l’application d’un antibiotique.

 

Les antibiotiques

Les antibiotiques à utiliser sont bien connus de votre vétérinaire : l’oxytétracycline, la lincomycin, l’érythromycin et une combinaison de lincomycin et spectinomycin. Certains antiseptiques sont aussi utilisables comme le sulfate de cuivre et le formol. Toutefois, ce dernier est à éviter pour des raisons de biosécurité. Étant donné que les antibiotiques sont utilisés de manière topique, il n’y a pas de période de retrait pour le lait ou la viande. On doit quand même éviter la contamination des trayons ou de la trayeuse lorsqu’on asperge les pieds avec un aérosol, particulièrement en salon de traite.

 

Un ou plusieurs animaux

Si plusieurs animaux sont affectés, il est alors préférable de traiter tout le troupeau. Au départ, l’application des antibiotiques doit être de deux à trois fois semaine et ce, pour une durée d’un mois. Par la suite, on diminue la fréquence d’application progressivement au cours des mois qui suivent tout en observant bien l’apparition de nouveaux cas ou de récidives. Tous les nouveaux cas doivent recommencer le protocole d’application d’antibiotiques utilisé au départ. Si les nouveaux cas sont négligés, la multiplication bactérienne sera très rapide et vous perdrez alors le contrôle de nouveau. La détection des nouveaux cas est donc aussi importante que le traitement des animaux déjà atteints.

 

De manière individuelle, le traitement est très efficace à condition d’avoir le bon antibiotique. Les lésions régressent rapidement et il en est de même pour la boiterie.

 

Mieux vaut prévenir que guérir

L’éradication de cette maladie est pratiquement impossible, du moins très difficile. Les deux facteurs de risque les plus importants pour l’apparition de la maladie sont : les conditions humides et l'achat d’animaux de provenance inconnue. Les autres facteurs de risque à considérer sont : l'hygiène déficiente, les logettes inadéquates, la contamination par les instruments de parage. Une vache achetée d’un troupeau avec un statut sanitaire inconnu devrait être en quarantaine et on prendra soin de bien examiner les onglons afin de détecter les lésions. Les couteaux de pieds et autres instruments de parage d’onglons doivent être désinfectés entre les animaux et d’un troupeau à l’autre. Tous ces facteurs sont à corriger ou à contrôler si possible afin d’améliorer le contrôle de la maladie. Des vaccins sont présentement disponibles aux États-Unis mais les résultats sont mitigés et très variables.

 

Précisions sur les traitements

Les antibiotiques systémiques (oraux ou injectables) sont moins efficaces que les traitements locaux (bain de pied ou aérosol) donc peu utilisés. De plus, il y aura des périodes de retrait pour le lait ou la viande à respecter si de tels traitements sont utilisés. Les solutions à base d’antibiotiques sont sous prescription vétérinaire et leur usage est hors homologation pour le traitement de la dermatite digitée. Voici deux solutions de traitement :

 

Bain de pied

Sulfate de cuivre 5 % (50 g/L)

Sulfate de zinc 10 % (100 g/L)

Oxytétracycline 0,1 % (1 g/L)

 

Solution aérosol – application topique

Oxytétracycline 2,5 % (25 g/L)

 

*dmv, M. Sc., professeur agrégé, Diplomate ACVS, Faculté de médecine vétérinaire.

 

Références :

Cheli R, Mortellaro C. La dermatite digitale del bovino. Proceeding of the 8th international meeting on diseases of cattle. Milan, 1974, pp. 208-213.

Rebhun WC, Payne RM, King JW, Wolf M, Begg SN. Interdigital papillomatosis in dairy cattle. J. Am. Vet. Med. Assoc., 1980, 5 : 437-440.

Sauvageau, R, Higgins R, Jacques M, Bouchard E. Bovine digital dermatitis. Can. Vet. J., 1994, 35 : 522-523.

Read DH, Walker RL. Papillomatous digital dermatitis (footwarts) in California dairy cattle : clinical and gross pathologic findings. J. Vet. Diagn. Invest., 1998, 10 : 67-76.