Psychologie des fanatismes

 

Par Benjamin Lisan

 

Paris, décembre 2006.

 

« Nous savons qu'un homme peut lire Goethe ou Rilke le soir, il peut aussi jouer du Bach et du Schubert, et aller tranquillement travailler, le matin suivant, à Auschwitz », George Steiner, Entretiens (1929-).

« On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d'hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu ». Jean Rostand, Pensées d'un biologiste (1894-1977).

 

1        Introduction  1

2      Des mécanismes complexes. 3

2.1        Le conditionnement préalable. 4

2.2        Le mécanisme progressif d’embrigadement sectaire. 4

2.3        Le manque de formation à l’éducation critique  5

2.4            Conditionnement à une soumission excessive à l’autorité  6

2.5            L’enlisement dans l’erreur et la dissonance cognitive  6

2.6        L' influence sociale et la pression sociale du groupe  7

2.7        La difficulté de la tâche de remise en cause  8

2.8        La peur, l’auto-culpabilisation et le besoin de se rassurer 9

2.9        La coupure avec le monde extérieur 10

2.10            L’invention de l’ennemi et le mécanisme du bouc-émissaire. 10

2.11            L’impression de faire parti du peuple élu. 10

2.12      Les blessures intérieures. 11

2.13            Mécanisme « d’auto-fanatisation ». 11

3      Dérives dictatoriales ou criminelle des gourous. 13

4      La sortie du fanatisme. 14

5      Que faire face au fanatisme ?. 15

6      En conclusion. 16

 

1         Introduction

Phénomène tout aussi fascinant qu’inquiétant, le fanatisme peut galvaniser d’une façon formidable les énergies conjuguées de milliers ou de millions personnes. Mais au travers de ses manifestations extrêmes, il peut aussi conduire à l’extermination de millions de personnes [1].

 

Bien des philosophes, dont Voltaire, se sont heurtés à ce problème psychologique et sociologique, dont il n’est pas toujours facile de comprendre clairement les tenants et aboutissants. Aborder le fanatisme, c’est aborder une question extrêmement difficile.

 

Qu’est ce qui explique les mécanismes du fanatisme ? Comment les contrer ? Peut-on s’en prémunir, et surtout peut-on s’en prémunir en toute circonstance [2] ? C’est à toutes ces questions, que nous allons tenter de répondre ici, dans ce texte.

 

Comment des millions d'hommes, qui avaient parfois reçu des éducations sophistiquées, comme en Allemagne, ont-ils pu donner leur vie sur la base de textes, bruts ou réinterprétés, d’une idéologie le plus souvent simplistes ou faire confiance à un chef charismatique souvent délirant ?

 

Le fanatisme peut toucher toutes les personnalités, y compris des personnes « rationnelles », des personnes fortes intelligentes, de toutes les classes sociales y compris les plus favorisées, de toutes les cultures, de toutes les époques, de toutes les civilisations _ même les plus tolérantes _ et quelque soit le niveau d’étude des personnes touchées, même les plus élevés. Des ingénieurs [3], des étudiants en 3° cycle universitaire, des personnes d’un très bon niveau d’étude, peuvent être touchés par ce phénomène, tels des étudiants musulmans en 3° cycle universitaire, des militants communistes, des adeptes de sectes …

Il semble qu’aucune personne au monde n'est à l'abri d'un tel phénomène.

Ainsi que l'a montré David Stupple, les affiliés sont souvent aussi bien intégrés socialement qu'intellectuellement et moralement équilibrés [4]. Par ailleurs, on constate qu’une forte majorité d’auteurs d’attentats terroristes possèdent des diplômes supérieurs et sont issus de classes aisées [5], contrairement à la croyance commune suggérant que les kamikazes sont tous des personnes issues de milieux défavorisés ou des personnes désespérées.

 

Ce qui étonne est que des personnes en apparence normales, voire semblant posséder un certain bon sens, en temps ordinaire, semblent alors devenir comme folles, délirantes, dès qu’on aborde le groupe dont elles font parti ou la doctrine à laquelle elles croient.

Une agressivité incompréhensible croit en eux dès qu’on critique leurs croyances et l’objet de leur amour. Convaincus de défendre la secte ou la croyance sacrée … les sectateurs peuvent même aller même jusqu’au meurtre, afin qu’on ne puisse pas remettre en cause leurs croyances ou le mouvement sectaire.

 

Pourtant, hors du domaine de focalisation délirantes, ces personnes ne sont pas folles. Elles raisonnent le plus souvent bien. Elles peuvent même paraître normales voire charmantes auprès de leurs amis et proches, dans la vie courante. L’image qu’elles peuvent donner est souvent loin de l’image du fanatique enragé, serrant un couteau entre les dents.

 

Le fanatique possède encore un esprit-critique, mais ce dernier est biaisé. Il est très critique envers toute critiques allant à l’encontre de ses croyance. Il lui est impossible de remettre en cause ses propres croyances. C’est comme si s’était crée, en lui, des mécanismes de protection, une sorte de système de défense, chez lui, qui permet de protéger son système de croyance contre tout remise en cause.

 

Chez les personnes fanatiques, on observe souvent une perte partielle ou totale de l’esprit critique dans une direction donnée, voire une totale perte de tout sens moral habituel [6], souvent sous l’influence de la doctrine ou du gourou, que le fanatique cherche à suivre aveuglément. L’objet d’adoration envahit tout le champs de leur conscience, provoquant chez le « fanatique », un enthousiasme constant voire une exaltation perpétuelle, des comportements excessifs, dès que le point focal de leur adoration est abordé par les proches ou par eux  …. et cela même si cette exaltation n’est pas toujours visible des proches. Pour certains, au nom de la « cause », tout est permis.

 

Sinon, le fanatisme n’est pas toujours et seulement lié à « l’adoration » pour une doctrine ou à un groupe, mais aussi souvent lié à l’adoration pour un être aimé, pour un gourou … On dit que l’amour rend aveugle, or il semble il semble que cela soit bien dans le cas, dans la relation affective de l’adepte pour son gourou.

Même si la personne aimé est une personne peu recommandable, l’amoureux ne veut pas voir cette réalité. Elle ne peut cesser de la voir qu’avec les yeux de Chimène. Cette personne ne peut plus être raisonnée. Elle veut croire à tout prix contre toute logique, contre toute raison. Elle gobera tout les mensonges de la personne aimée, et elle-même emploiera ou déploiera toute une panoplie de mensonges (auxquels elle croit plus ou moins) pour justifier son amour.

On ressent souvent face au fanatisme une impression d’impuissance. Le combat contre les fanatismes est long et difficile et n’est jamais gagné d’avance.

 

Sinon, le « fanatique » n’analyse tous les faits survenant dans le monde ou toute chose, qu’à travers une grille de lecture, plus ou moins simplifiée et réductionniste, du monde.

 

C’est parce que l’auteur lui même a une longue expérience sur ce sujet, ayant pénétré beaucoup de milieux sectaires _ partis d’extrême gauche, milieux islamistes iraniens, partis d’extrême droite (la Contre-réforme catholique …), des sectes (la Rose-Croix, les Témoins de Jéhovah …) …  _ qu’il a entreprise ce travail, sachant que celui-ci ne prétend pas réaliser un travail scientifique, mais juste un travail préliminaire de recherche des possibles causes des mécanismes psychologiques à l’origine du fanatisme.

 

2         Des mécanismes complexes

Comme nous le verrons, les mécanismes du fanatisme sont en fait complexes, complexité qui pourraient expliquer, en partie, la puissance de l’emprise du conditionnement « fanatique » sur l’esprit d’une personne « embrigadée » et la difficulté ensuite à la « déconditionner » [7] et le fait qu’il existe des « fanatismes » (ayant diverses formes).

 

Bien des facteurs, que nous allons examiner ci-après, pourraient expliquer une prédisposition au fanatisme chez certains _ tels un conditionnement préalable, le conformisme et le suivisme (se conformer à l’opinion de la majorité), la « dissonance cognitive » _ le fait de n’entendre que nos certitudes et de ne pas entendre un discours allant à l’encontre de nos idées _, le fait de préférer s’enliser dans l’erreur que de se remettre en cause, l’orgueil, le manque de courage, une certaine paresse intellectuelle, voire une certaine malhonnêteté intellectuelle, des intérêts à court terme, l’irrationnel, une confusion entre ses désirs et la réalité, la vanité, une certaine naïveté inconsciente, l’excès de la confiance en soi du sujet « naïf », une blessure narcissique mal digérée, la soumission excessive à l’autorité, le poids de l’investissement, le coût intellectuel ou financier que demanderait cette remise en cause de la croyance, la simplicité du message chez une personne qui n’a pas un niveau d’instruction élevée, la peur (peur de l’inconnu et de l’extérieur, peur créée par le groupe sectaire dont on fait parti ou peurs du gourou ou suscitées par lui, …) etc …

 

L’individu dispose d'une certaine autonomie psychologique, décisionnelle, qui dépend de son niveau d'éducation, du conditionnement dont il a été l'objet depuis son enfance. Mais cette autonomie est toute relative, les décisions étant prises par rapport à son éducation (ses conditionnements inconscients), des référentiels moraux et culturels, à certaines connaissances acquises, à certaines grilles de lecture …  propre à son système culturel [8].

 

Par certaines techniques de persuasions et de conditionnements, on peut être amené à faire des choses qu’on ne ferait pas dans des conditions normales [9], y compris accomplir des actes extrêmes, comme torturer autrui, donner de l'argent, donner de son temps à une cause, acheter des produits non désirés au risque de s’endetter terriblement etc. … [10] [11]. Ce sont les techniques employés par les commerciaux. Et ce sont les même techniques employées, par les mouvements sectaires, pour conditionner une personne.

 

2.1      Le conditionnement préalable

Chez le fanatique, on rencontre souvent un conditionnement préalable facilitant leur basculement dans le fanatisme qu’il soit religieux, politique, philosophique ou « scientifique ». Par exemple, presque tous les islamistes, ont « bénéficié » d’une éducation islamique préalable depuis la plus tendre enfance (ils été majoritairement recrutés dans les milieux musulmans, à quelques rares exceptions près).

 

Selon J.-M. Abgrall, « Dans le domaine des sectes, l’existence d’un conditionnement antérieur est souvent un facteur de glissement de l’adepte d’une structure vers une autre, d’une secte vers une autre ou d’une conduite sectaire à une dépendance philosophique, religieuse ou autre. » [12].

 

2.2      Le mécanisme progressif d’embrigadement sectaire

Il y a souvent dans l'adhésion aux croyances irrationnelles … une mécanique avançant étapes par étapes, invisible pour l'observateur, en particulier au sein des organisations sectaires aux stratégies de propagandes élaborées [13].

Sachant que leur doctrine, si elle était connue dans son intégralité, créeraient le doute chez nombreux adeptes potentiels, beaucoup des groupes sectaire installent très progressivement, étapes par étapes, les disciples dans leur système de croyances. Ils peuvent même aller jusqu'à cacher (momentanément) la vérité sur cette doctrine.

Le docteur Abgrall décrit la réalité de la stratégie sectaire:

 

« Le développement au sein d'une secte coercitive de doctrines aberrantes (par exemple, la prétention du thétan à traverser les murs, un contrat de travail pour un milliard d'années, la faculté de regarder derrière soi sans retourner, la communication avec les extra-terrestres, le combat contre les lémuriens, etc.), qui suscitent le rire à leur exposé, n'intervient qu'à un stade plus avancé dons la démarche " initiatique » [14].

 

La construction de sa croyance étant lente et progressive, l’adepte n’a pas toujours conscience de s’engager progressivement sur le chemin d’une adhésion totale à la doctrine, qui sous un autre éclairage, lui aurait paru inepte.

Dans ce processus, on démarre souvent par des idées simples, évidentes. Puis ensuite, on continue par idées moins évidentes, introduites dans un raisonnement « cyclique », présentée sous une autre forme, introduisant des éléments nouveaux passant souvent inaperçus. L’important est que le raisonnement fallacieux semble logique, sans faille (même si en fait, ce n’est pas le cas) et que l’ensemble soit cohérent [15] [16].

S’y rajoutent des stratégies de séductions et de manipulations multiples, tel un premier contact amical, humain, aidant à désamorcer toutes les suspicions trop fortes. Ce qui est important est que le 1er contact soit établi puis que d’autres contacts se répètent ensuite, renforçant l’emprise du groupe sectaire sur le néophyte [17].

 

2.3      Le manque de formation à l’éducation critique

Le plus souvent, antérieurement, la personne qui va tombé dans le fanatisme n’a jamais été formé à l’esprit critique. Par exemple, l’éducation dispensée aux étudiants, par le régime du Shah d’Iran, surtout en philosophie, n’apprenait que la « thèse », mais jamais l’anti-thèse ou la synthèse. Toute démonstration ou preuve que l’étudiant devait apporter, était systématiquement à charge, ne permettant pas de rechercher l’objectivité de la démonstration. Le raisonnement critique, apporté par la pensée grecque, composé de la thèse, de l’anti-thèse ou la synthèse restait le plus souvent inconnu des étudiants iraniens.

 

Selon Albert Speer, l’architecte d’Hitler, dans son ouvrage [18], le système éducatif allemand était resté sous la république de Weimar tel qu’il était sous système prussien, c’est à dire privilégiant une forte soumission à l’autorité. Ce conditionnement éducatif pouvait expliquer, selon lui, la montée et le succès du nazisme, et pourquoi le peuple allemand aurait été attiré par les thèses autoritaires du nazisme.

 

Dans certaines cultures islamistes (écoles coraniques, madaris …), dans les monastères bouddhistes, les élèves, les moinillons … apprennent par cœur, des textes sacrés, des sourates, des mantras, des prières de toutes sortes … au travers d’une récitation sans fin, abrutissante … par le biais d’un système éducatif ne favorisant pas l’esprit critique.

 

Même en France, les enseignements des écoles de médecine et d’ingénieur, n’apprennent, le plus souvent, pas la démarche scientifique et critique. Seules les études universitaires poussées, les 3° cycles, les doctorats d’état pourraient apprendre cet esprit critique, mais en général cet apprentissage est limité au domaine de la thèse entreprise par l’étudiant …

 

2.4      Conditionnement à une soumission excessive à l’autorité

Le psychologue américain Milgram, analysant sa célèbre expérience [19], a émis l'hypothèse que certaines personnes [20], placées en position d’exécutants, se déresponsabilisent totalement face aux exigences de l'autorité [21], peut-être du fait des conditionnements de leur éducation.

 

Divers types d’éducations, religieuses, autoritaires, conditionnent l’élève, l’adepte, le disciple, à respecter, à accepter et à soumettre à l’autorité sacrée, idéologique, philosophique, religieuse ou à l’argument d’autorité, sans possibilité, pour lui, de se révolter ou d’y réfléchir.

« L'autorité » présumée des chefs ou de la doctrine, suffit à légitimer, aux yeux de bon nombre de fanatiques, une conduite irrationnelle ou barbare.

 

2.5         L’enlisement dans l’erreur et la dissonance cognitive

L’enlisement dans l’erreur est à la base des techniques de manipulation.

Même si elle a été bernée, la personne sectaire, par amour propre, justifiera d’avoir été bernée.

De même, une personne ayant souscrit à un premier stage dans une secte trouvera souvent un justificatif à son engagement pour s’inscrire à d’autres.

Beaucoup d’individus finissent souvent par être intimement persuadés du bien-fondé de leur nouvelle opinion. On appelle« escalade d’engagement », « cette tendance que manifestent les gens à s’accrocher à une décision initiale, même lorsqu’elle est clairement remise en question par les faits. Tout se passe comme si le sujet préférait s’enfoncer plutôt que de reconnaître une erreur initiale d’analyse, de jugement ou d’appréciation. » [22] [23].

La dépense et l’engagement personnel du fanatique sont tels qu’ils le poussent à rationaliser son choix et ses actes. Le fanatique et le militant inconsciemment craignent, en affrontant la vérité, d’avoir à ressentir la honte de s’être fait abuser. C’est pourquoi, ils peuvent devenir agressifs [24], en cas d’intrusion d’une menace risquant de fissurer la vitrine de leurs certitudes.

L’adepte accepte des affirmations, souvent inconsciemment, surtout si elles sont flatteuses pour lui ou ont une connotation positive. Ou encore si les gains promis, pour lui, semblent énormes.

 

Selon David Marks et Richard Kamman, « Une fois qu’une croyance ou une supposition a été trouvée, et spécialement si elle permet de résoudre une incertitude inconfortable, elle introduit un biais chez le sujet qui lui fait remarquer toute information permettant de confirmer la croyance, de sous-évaluer tout élément opposé. » [25].

Ce mécanisme renforce l’erreur originale et construit une confiance excessive, au point que les arguments des opposants sont vus comme une contradiction de la croyance adoptée.

On fait vaciller tous les repères antérieurs en les dévalorisant méthodiquement et en les remplaçant par ceux qu’on trouve dans le groupe, qui eux sont valorisés.

 

Sinon, ceux qui n’ont pas un bagage culturel et intellectuel suffisant, en adhérant à un message simple qu’il peut comprendre, peuvent se convaincre qu’ils sont eux-même cultivés et intelligents, que la vérité de la Vie ou de l’Univers est simple, et qu’au contraire, les intellectuels et les esprits forts, aux « yeux couvert d’écailles » (et donc « aveugles »), se fourvoient dans des voies complexes et erronées. Grâce à ce tour de passe-passe intellectuel, ils peuvent ainsi retrouver l’estime de soi qu’ils avaient perdu, du fait de la conscience de leur faible niveau d’éducation face aux milieux intellectuels avec lesquels ils ne peuvent rivaliser, dont ils sentent, dans certains cas, l’éventuel mépris à leur égard. Dans certains cas, leurs nouvelles certitudes pourront les pousser à rechercher aussi une revanche sur ces milieux.

 

Comme l’ont montré aussi Peter Wason, dans ses expériences en 1966 [26] et Janette Friedrich [27], le raisonnement humain utilise, quand il peut, des raccourcis de raisonnement, afin d’éviter des dépenses excessives de temps et d’énergie, en particulier par les biais de confirmation _ l’inclinaison (ou la pente) naturelle de l’homme étant, par exemple, de rechercher des faits ou des preuves confirmant ses croyances, plutôt que l’inverse. Ces biais de raisonnement expliquent, en partie, la longévité des croyances même lorsqu’elles sont fausses.

 

2.6      L' influence sociale et la pression sociale du groupe

L'influence sociale ou la pression sociale est l'influence exercée par un groupe sur chacun de ses membres aboutissant à lui imposer ses normes dominantes en matière d'attitude et de comportement. On distingue classiquement trois types d'influence sociale : le conformisme (c’est se conformer à l’opinion de la majorité), la soumission à l'autorité, l'innovation (la fascination pour tout ce qui est nouveau).

 

Dans le domaine du conformisme, sont connues les expériences de Salomon Asch [28], démontrant que face à l’opinion de la majorité, on préfère en général se conformer  à celle-ci, même si l’on sait ou que l’on soupçonne qu’elle est fausse. Ce conformisme social, c’est ce que l’on appelle aussi le suivisme social.

 

On sait qu’il est plus coûteux de subir la désapprobation du groupe que de se conformer à sa loi et le groupe a souvent raison contre l'individu. De plus, le sens commun véhicule l'idée qu'une minorité d'individus ne peut guère influencer une majorité écrasante.

On connaît l’effet moutonnier, ou effet mouton de Panurge ou encore l’effet « des loups qui hurlent avec les loups » : l’individu n’osant se révolter contre le groupe tout entier (peut-être par leur peur du risque de confrontation avec le groupe) et préférant alors suivre l’opinion de la majorité.

La taille du groupe, l'attrait du groupe, ont une influence sur le suivisme et la conviction d’un individu. L’individualité se dissout le plus souvent au sein d’une grande foule ou d’un groupe passionnés, car il est très difficile de résister à la pression idéologique et morale de cette foule ou de ce groupe et garder, en son sein, son esprit critique. En plus, au cœur d’une foule, en partageant sa conviction dominante, l’adepte ou le croyant, se sent plus fort. C’est certainement un tel mécanisme, que certains appelleront « instinct grégaire », qui devait agir dans les grands rassemblements nazis à Nuremberg, ou lors du Jihad et de la conquête islamique. Cet « instinct grégaire » conduisant à renforcer l’adhésion de chaque adepte à sa groupe et à la « cause ». Tous s’influençant et s’entretenant dans l’enthousiasme ou l’exaltation collective pour la cause.

 

Festinger [29] a montré que lorsqu'un groupe religieux, une secte, voit ses prédictions réfutées par la réalité, ses prophéties mises à mal par leur non-réalisation, le comportement du groupe en question tend vers un développement de son activité prosélyte de façon à réduire la dissonance résultante, car en recrutant le plus d'adeptes possible, cela les conforte davantage dans leurs croyances. L'argument du nombre permet ainsi au groupe de rationaliser et de pallier à l'échec de la prophétie, d'autant plus chez ceux pour lesquels l'investissement moral dans le mouvement est important. Pour l’adepte, plus il y a de gens qui croient à ce qu’il croit, alors plus il est difficile voire impossible de croire qu’autant de gens puissent se tromper en même temps.

 

2.7      La difficulté de la tâche de remise en cause

Il faut posséder une bonne dose d’esprit critique _ acquise par son éducation, par ses expériences et par certaines épreuves _ pour pouvoir remettre en cause ses certitudes.

Cette remise en cause demande aussi une somme énorme de travail ou un certain recul, ce dont les personnes happées par un courant fanatique et sectaire ne disposent le plus souvent pas.

On contraire, ces dernières sont continuellement mises à contribution pour la « cause ». Elles sont dans toutes les actions militantes, sont disponibles pour la cause, 24h / 24, 7J / 7, y compris le dimanche.  Elles n’ont pas le temps de réfléchir et de prendre du recul.

Souvent aussi, le corpus doctrinal auquel croit l’adepte est consigné dans une très abondante littérature, ou bien dans des ouvrages très volumineux, voire dans une littérature indigeste et on n’a alors pas ou peu de courage de s’attaquer à la lecture de tout cet ensemble, lecture qui aurait pu mettre en lumière d’éventuelles contradictions dans la doctrine ou les textes.

 

Cette difficulté à pouvoir entreprendre un travail remise en cause sera d’autant plus importante que l’adepte n’a pas le bagage culturel et intellectuel adéquat ou « l’intelligence » suffisante.

 

2.8      La peur, l’auto-culpabilisation et le besoin de se rassurer

Pour réduire notre incertitude intérieure, notre vulnérabilité face à l'ignorance, pour faire face et contrecarrer une situation confuse ou ambiguë, nous nous en remettons aux autres, d’autant plus que nous somme fragiles, d’autant plus que cet autre représente une autorité rassurante.

A cause d’un mal-être (misère, absence totale de perspective d'avenir), on décide d'abandonner toute autonomie psychologique et décisionnelle à un leader, quel qu'il soit. Les disciples fabriquent et renforcent leur leader. Le leader modèle à son tour les pensées de ses disciples. Ces derniers seront entraînées dans une sorte spirale progressive conduisant à une démission totale de leur esprit critique et de leur jugement.

 

Certaines personnes sont à la recherche d’un compagnon ou d’un guide qui puisse les structurer [30]. Ayant leur gourou, leur maître spirituel, elles sont soumises, ne s'affirment pas, ne posent pas de questions, sans doute par peur de perdre celui qui les « structure ».

Elles préfèrent se boucher les yeux, face aux défauts du guide. Les disciples espèrent toujours se tromper sur le compte de leur « guide ».

 

Certaines personnes sont prête à tout accepter, pour leur avenir, pour celui de leurs enfants, et pour leur sécurité matérielle voire spirituelle.

Il est possible que quelque soit l'aspect monstrueux, se dévoilant progressivement, du mari ou du gourou, ce dernier soit capable malgré tout par moment de gentillesse, d’une tendresse ou d’attentions toutes relatives dont se contentera alors l'épouse ou l’adepte. D’ailleurs ce qui est inacceptable pour une personne peut ne pas l'être pour une autre.

 

Parlant des femmes des tueurs en séries _ le cas extrême _ Michèle Agrapart-Delmas, psycho-criminologue, expert judiciaire auprès de la Cour d’appel de Paris, indique (voir ci-après) :

« Elles sont dans un rapport de soumission dans lequel elles trouvent un équilibre très précaire, pathologique.. [ .. ] Parallèlement, elles sont soumises à un isolement de plus en plus grand, sont petit à petit retirées de leur vie sociale. Leurs partenaires leur font comprendre que "les autres ne comprendraient pas". […] ».

Ces femmes (et les adeptes de sectes) ont aussi souvent des soupçons qu'elles / ils ne veulent pas croire.

Monique Olivier, visiteuse de prison qui avait rencontré le tueur en série Michel Fourniret lors de son séjour à Fleury-Mérogis avant de l’épouser, en 1989, était une personne effacée "craintive, très impressionnée par son mari". Pas une seule fois, elle ne s'est révoltée contre la monstruosité de son mari ou a eu le courage, en 9 ans de mariage, d’alerter les autorités. Elle n’est jamais entrée, non plus, dans une logique du remord.

Certaines personnes sont tellement fascinées par la force, l’autorité, l’image de la dominance, qu’elles préféreront choisir un « guide », représentant une image idéalisée de la force (qui souvent pour elles la sécurité), quelque soit les valeurs morales du « guides ». Les questions morales sont alors expulsées hors du champ de conscience de ces personnes amourachées.

 

Sinon, l’adepte ou le conjoint peuvent être l’objet de menaces, de punitions, le plus souvent subtiles, voilées, dans le cadre d’une sorte de dressage. Dans certains courants islamistes, on mélange séduction, promesses de récompenses terrestres et dans l’au-delà (par le jihad …) et intimidations et menaces de mort (fatwas pour le renégat, l’apostat ou l’infidèle …). Ce mélange de promesses et de menace conduira l’adepte à perdre, à la longue, toutes ses repères moraux. Le but de ce conditionnement ou dressage ayant souvent pour but de le soumettre à l’autorité du gourou puis de le préparer progressivement à commettre, dans un second temps, le pire.

 

Certaines personnes seront d’autant plus vulnérables à la soumission à l’autorité, qu’on leur aura enseigné la haine de soi. Cette haine contribuera à renforcer encore leur aliénation, par rapport au groupe, au gourou et à la cause.

 

2.9      La coupure avec le monde extérieur

En le coupant du monde extérieur, l’adepte dans le groupe ne sera plus en mesure d’exercer son sens critique, car il aura perdu tous ses repères extérieurs au groupe.

 

2.10L’invention de l’ennemi et le mécanisme du bouc-émissaire

Une relation de forte dépendance, surtout si elle construite sur des mensonges peut générer frustration, malaise ou de fortes interrogations. Pour éviter ces dernière, on invente alors un ennemi plus ou moins imaginaire, un bouc-émissaire qui sera le réceptacle et le point de focalisation, le canal de dérivation vers lequel s’engouffrera toutes les frustrations, colères et malaises … Il sera un système d’explication global à lui tout seul. Ce bouc-émissaire est l’objet de détournement d’attention, permettant d’éviter que l’adepte se pose les bonnes questions.

Quand on ne peut pas s’attaquer à un ennemi trop fort qui est source de frustration, alors se produit un phénomène d’agressivité déviée [31] : on détourne alors son agressivité, vers un faux ennemie, vers un bouc-émissaire facile dont on craint pas les représailles (par ex., le juif etc. …).

Les groupes sectaires possèdent une palette variée de mécanismes de défense (intimidations, mensonges …), afin que ses adeptes ne soient à aucun moment « touché » par l’esprit critique.

 

2.11L’impression de faire parti du peuple élu

Affirmer et faire croire à l’adepte qu’il fait parti des élus (du peuple élu …) et qu’on est supérieur aux autres (les autres devant alors être dévalorisés ou avilis à ses yeux) est une des armes les plus redoutables pour convaincre ces adeptes qu’il leur est licite de commettre toutes sortes de crimes. Car tout les êtres humains n’ont pas les protections morales suffisantes pour résister aux chants des sirènes et discours séducteurs des doctrines et des discours des chefs. 

 

Par exemple, l’idéologie nazi avait rendu licite, aux yeux des allemands, d’humilier, d’exproprier, puis d’exterminer le juif, le tzigane … (d’abord au sens figuré, puis au sens réel), car ces allemandes avaient appris que le peuple aryen était supérieur au peuple juif, tzigane … (celui-ci étant considéré comme un peuple dégénéré et corrompu).

Les combattants du Jihad, pensant faire parti du peuple élu et tirant la légitimité de leurs actes de certaines sourates du Coran [32], estiment avoir parfaitement le droit d’exterminer, de mettre en esclavage, d’humilier, de prendre les biens des infidèles (de les piller), pour les « restituer » [dans leur esprit] aux musulmans, car Dieu a crée les hommes que pour être servi, les biens de ce monde que pour les faire concourir à son service, et que les musulmans servent Dieu alors que les infidèles ne servent pas Dieu [33].

Les groupes sectaires mettent en place des stratégies élaborées afin de maintenir, en permanence, chez leurs adeptes, un degré élevé d’émotions et de passions (grâce à des promesses de magnifiques récompenses au Paradis, ou sur terre _ richesses matérielles … _, des promesses de toute puissance, de pouvoirs inconnus, d’une position sociale élevée, d’avenirs radieux, de justice, de bonheur radieux, qui ne peut être obtenu qu’au sein du groupe, au travers de séances de communions collectives et au sein de grands rassemblements de masse …). La secte fera appel chez l’adepte à toutes formes d’instincts et de passions, pour le maintenir dans un état d’excitation et de focalisation élevés tournées constamment vers la « cause ».

 

2.12Les blessures intérieures

Une blessure mal digérée peut conduire à une fixation obsessionnelle sur l’objet du ressentiment et à un enferment dans des raisonnements auto-déculpabilisateurs biaisés psychorigides, pouvant conduire aux mécanismes d’enlisement voire d’acharnement dans l’erreur, décrits plus haut.

Dans le profil des islamistes de nos banlieues qui ont versés dans la cause du Jihad et du terrorisme [34] [35], on trouve le plus souvent au départ, des blessures non digérées, telles que des humiliations, des injustices, un racisme subi à un moment de leur vie, un manque de reconnaissance sociale, le fait d’avoir été marginalisé et rejeté …

 

2.13Mécanisme « d’auto-fanatisation »

On est souvent décontenancé ou désarmé, face à certaines personnes, tels certains gourous, enfermés, d’une façon fanatique ou agressive, dans des doctrines et raisonnements non scientifiques, simplificateurs [36],  avec lesquels toute discussion rationnelle est impossible et arrivant à faire partager leur délire à leurs proches ou adeptes.

Pour comprendre ce phénomène déroutant, on constate, en première analyse, que beaucoup, on une très haute opinions d’elles-mêmes, de leurs propres doctrine ou idées, pouvant aller jusqu’à devenir très agressifs (voire meurtriers jusqu’à vouloir faire justice eux-même) lorsqu’on les critique ou qu’on critique leur doctrine (ou qu’on ironise sur eux et leurs idées).

On pourrait alors avancer l’idée que certains sont enfermés dans une forme d’addiction narcissique pathologique, afin de se voir tels qu’ils s’imaginent (c’est à dire comme de grands génies, des prophètes, voire des génies incompris, à l’exemple de Galilée) et non tels qu’ils sont réellement (des personnes éventuellement agressives, mal dans leur peau, timorées etc. …). Ils vivraient dans un besoin d’auto-valorisation perpétuel pathologique. Ces personnes entreraient alors dans un mécanisme « d’auto-fanatisation » (d’auto-renforcement de leurs convictions inébranlables), afin de contribuer au renforcement perpétuel leur ego, dans une sorte d’inflation et d’hypertrophie continuelle et pathologique de leur moi,  … qu’ils imposent ensuite à leurs adeptes, cela pour compenser une forte dévalorisation ressentie par eux durant leur enfance.

Le stade ultime de ce mécanisme, étant de finir par croire qu’on est « prophète » (d’une cause, de Dieu etc. …).

Ce que l’on observe est que ces « prophètes » de sentent souvent réellement et sincèrement « missionnés », en tant que messager et interprète de la parole divine ou de la cause.

Il semblerait que le « missionné » se conforte dans ses convictions, du fait de son éducation (si, par exemple, on l’adulé dans sa jeunesse, ce qui renforcera alors son narcissisme originel), et de la culture environnante (le caractère plus ou moins religieux, « illuministe », mystique de son environnement, de son éducation, de la communauté dans laquelle il vivait), la conscience d’avoir un intelligence et une imagination nettement supérieures à la moyenne et un très grand sens psychologique (surtout quand il constate que cette conviction n’est pas infondée et qu’il peut vérifier pratiquement qu’il a un réel pouvoir sur les gens).

 

Il a pu connaître dans sa jeunesse de graves problèmes psychologiques (psychose, manque de confiance pathologique, névrose d’angoisse …), qu’il a pu surmonter d’une manière plus ou moins exceptionnelle ou extraordinaire, ce qui aura pu le conforter dans l’idée qu’il n’est pas une personne ordinaire.  Sa combativité extrême, alliée à un certaine chance, a pu faire qu’il a pu passer de la pauvreté et précarité les plus extrêmes, à une position sociale enviée, au travers d’un chemin de vie exceptionnel. Tout cela a pu le conforté dans son idée qu’il est un être hors norme.

Par des prières, des techniques de méditation, des techniques de blocages de la respiration (provoquant de dangereuses et redoutables hypoxies), il a pu connaître des états « mystiques », « d’illuminations » brutales, des visions hypnagogiques ou des rêves éveillées plus ou moins dirigés (il a pu « voir » Jésus, des archanges Michel et Gabriel, des Saints, dans une mandorle, il a pu avoir impression de « sortie de son corps », de réaliser des « voyages astraux », de connaître des expériences d’autoscopies [37] …).  Ou bien il a vu vivre par moment dans des états border-line ou dans des états psychotiques limites _ vivant l’expérience de voix intérieures, des visions d’êtres surnaturels semblant le guider, lui donner des ordres … ces dernières manifestations pouvant, dans certains cas, n’altérer en rien son intégration sociale, son raisonnement et son discernement dans bon nombre de domaine ne concernant pas ses croyances [38] [39]. Selon sa grille de lecture et ses croyances, il aura pu interpréter certains faits naturels ou psychologiques, comme des signes divins confirmant de « sa mission » divine et terrestre.

Allié à cela, peuvent se surajouter, chez certains, une tendance à la mythomanie et aux mensonges, mensonges auxquels ils finissent par croire eux-même (contribuant à renforcer leur haute idée d’elles-mêmes, leurs croyances …), voire une composante paranoïaque, les empêchant de se remettre en cause [40] [41] et certains mécanismes de défense (dénégation / scotomisation _ refus de l’existence d’un fait considéré comme intolérable et/ou traumatisante _, déni, refoulement, projection, …)..

 

On observe ce type de personnalité narcissique [42] ou paranoïaque chez bon nombre de gourous et chefs charismatiques, comme par exemple, chez Gilbert Bourdin †, fondateur du Mandarom _ qui s'était autoproclamé "messie cosmoplanétaire" en 1989 _, y compris chez Staline, Hitler …

3         Dérives dictatoriales ou criminelle des gourous

 

Tous les gourous surfent et s’appuient _ utilisant à leur profit _, les désirs de fraternité, de chaleur humaine, de reconnaissance, de richesse ou d’une meilleur vie matérielle, de leurs adeptes. Ils sont souvent de fins psychologues, devinant et « donnant » ce que les gens attendent et veulent voir. Ils ont souvent beaucoup de charisme, mélangeant violences et douceurs verbales extrêmes, suscitant d’intenses émotions, telles l’exaltation, chez leurs adeptes. Et ces derniers tombant sous le charme ont beaucoup de mal ensuite à décrocher.

Comment certains gourous deviennent de plus en plus dangereux, au point d’amener leurs adeptes à commettre des crimes, à faire la guerre contre le reste de toute l’humanité ou à se suicider, tout en instaurant sur eux une dictature terrifiante et absolue ?

L’ivresse du succès et du pouvoir (ce que dès le départ le gourou recherchait d’ailleurs) est une drogue dangereuse (dont le gourou ne veut surtout pas décrocher). Pour pouvoir préserver son pouvoir, son emprise _ et l’ivresse qu’ils lui procurent _, il engage alors le mouvement qu’il a crée, et ses adeptes dans une fuite en avant sans fin, en promettant toujours plus, par exemple, en promettant, aux adeptes, le pouvoir sur le reste de l’humanité, la récompense dans l’au-delà, la richesse (y compris par le vol ou le pillage …) etc … Ou bien, il triche, provoque de fausses apparitions, de faux miracles, interprète ou déforme à sa façon certains textes religieux (Bible …) qu’il utilise à son profit. Et les fidèles en demandent toujours plus.

Il finit par se prendre pour le prophète, le messie, chargé de guider, jusqu’au bout, ses fidèles.

Comme l’écrivait Lord Acton au XIX° siècle, "Si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument". Et son pouvoir absolu entraîne des dérapages, ses abus _ tels que ses séquestrations d’héritage, des vols, des viols … Faits qui suscitera de plus en plus d’oppositions extérieures au mouvement. Et comme le gourou ne peut souffrir la contradiction et qu’il a besoin de gagner à tout prix, il entraînera de gré ou de force ses adeptes, dans une spirale à l’issue incertaine voire mortelle. Pousser ses adeptes au Jihad, comme le cas de Mahomet, c’est une façon d’avoir raison à tout prix, et de contrer toute opposition.  Pousser ses adeptes au suicide, comme dans le cas de Jim Jones et de la secte du Temple du peuple, c’est encore une autre façon d’avoir raison à tout prix. En 1945, Hitler pareillement voulait amener le peuple allemand à un suicide collectif, quand il a vu qu’il perdait la guerre.

4         La sortie du fanatisme

La prise de conscience d’être dans une voie erronée peut être plus ou moins longue.

Cela peut survenir quand on a reçu trop de coups, qu’on a trop souffert, quand l’inadéquation entre ce que l’on croit et la réalité est trop criante ou flagrante, quand toutes les promesses de la doctrine ou du gourou n’ont jamais été tenues, depuis des années, ou quand on a été expulsé du groupe rassurant qui vous entourait comme un cocon protecteur. Certaines personnes subjuguées ne reviennent à la réalité que lorsqu’elles quittent le giron souvent machiavélique dans lequel elles se trouvaient auparavant avec leur compagnon ou leur gourou.

La perte de ses croyances et certitudes peut être douloureuse. Lorsque tout s’arrête pour ces personnes, le monde dans lequel elles étaient endoctrinées s’écroulera alors. « La redescente sur terre » peut être brutale.

Ayant perdu leurs croyances et l’espérance des lendemains qui chantent, elles peuvent passer souvent ensuite par une phase de dépression plus ou moins grave, peut-être à cause d’une relation de dépendance rassurante mais pathologique ( ?) avec l’objet adoré.

Dans les cas de désaffection pour une doctrine ou un gourous, les adeptes déçus ne manifestent souvent que rarement extérieurement sa déception, par honte de s'être fait berner. Et ces cas parviennent rarement à la connaissance du grand public.

Abordons le cas d’un étudiant que l’auteur a bien connu.

 

Le cas d’Ahmid :

En 1980, Ahmid, un étudiant iranien inscrit dans une université en France, était devenu un soutien enthousiaste et inconditionnel de la révolution islamique qui se déroulait en Iran. L’occupant de la chambre universitaire voisine de celle d’Ahmid, voyant sa passion pour cette révolution, l’avait incité à ne pas perdre son esprit critique face à celle-ci et à Khomeyni, en lui montrant le parallèle entre son propre enthousiasme et celui d’un étudiant africain marxiste et admirateur de Mao, qui, étant allé faire ses études en Chine en 1960, était revenu déçu _ étudiant dont Ahmid avait lu le livre-témoignage [43]. 

Or l’été suivant, Ahmid se rend à Téhéran pour soutenir la révolution islamiste. A son retour en France, son voisin le découvre très déprimé et accablé. Ahmid avait finalement découvert qu’en Iran, tous les religieux, mollah et autres, ayant pris les commandes du pays et devenus dirigeants des grosses sociétés nationales iraniennes, étaient tous corrompus, qu’une chape de plomb et de répression s’était abattue sur le pays, et enfin que le peuple n’était pas aussi heureux qu’il le croyait.

 

La morale de cette histoire serait que la lecture d’un petit livre critique avaient pu avoir une influence sur le raisonnement (critique) d’une personne (ici Ahmid), grâce à la mise en perspective de la situation de cette personne avec celle décrite dans le livre. Ahmid s’était alors posé quelques bonnes questions sur le régime des mollahs, avant son retour en Iran. Puis arrivé sur place, il avait pu y répondre.

5         Que faire face au fanatisme ?

Il n’est pas certains qu’il existe une méthode miracle ou une voie royale pour guérir du fanatisme, chaque personne et son « conditionnement » restant un cas d’espèce.

Il n’est pas facile de faire retomber sur terre, un adepte énamouré, vivant constamment dans la subjugation pour une doctrine ou un gourou ou dans l’espoir des lendemains qui chantent.

Il n’est pas sûr qu’on puisse montrer ou convaincre un fanatique qu’il a été conditionné, embrigadé et encore moins d’aller voir un psychologue, puisqu’il ne se considère pas fou ou névrosé. D’autant que dans l’immense majorité des cas, le fanatique ne se considère justement pas comme « fanatique ».

 

Mais au demeurant, aux regards des considérations abordés précédemment, voici quand même peut-être quelques pistes préalables qu’il serait bon d’explorer (voir ci-après) :

 

Au niveau individuel :

 

 

Tout ce processus doit être réalisé très progressivement, dans le sens du plus grand respect de l’autre. Le pire serait de se moquer des croyances de l’autre, que vous considérez comme absurdes. Ce qui n’aurait que comme effet que de braquer l’autre contre vous.

 

Au niveau collectif et social :

 

 

Ce ne sont que quelques idées … cette liste n’étant pas exhaustive.

 

Quand au problème de la violence, des intimidations, des mensonges et autres moyens dénués de tout sens morale, employés par fanatiques, ils doivent être combattus avec la plus extrême fermeté. C’est justement souvent par l’échec répétitif dans ses visées, que le fanatique est alors conduit à se poser des questions sur sa pratique et ses croyances et à se remettre alors en cause.

6         En conclusion

Peut-on « guérir » un « fanatique », des croyances dangereuses, absurdes ? L’auteur pense personnellement que oui. Mais il est certain qu’il n’existe sûrement pas de méthodes miracles. On peut déjà penser que ce processus sera  relativement long, parsemé d’écueils. C’est un processus où la prudence et la diplomatie, la courtoisie, le respect scrupuleux de l’autre devra être constamment de mise.

Ce qui est sûr qu’il faut éviter d’attaquer, de critiquer brutalement l’autre, quand cela est possible, car la dévalorisation de l’autre aura l’effet inverse escompté, le pire étant de vouloir faire comprendre à l’autre et de lui affirmer péremptoirement, que nos propres idées et croyances sont supérieures aux siennes.

L’auteur reconnaît que cette étude, reposant sur bon nombre d’intuitions mais pas sur de preuves scientifiques avérées (en particulier sur les « mécanismes d’auto-fanatisation »), n’est qu’une tentative d’explication du phénomène, les arcanes de l’esprit des gourous restant le plus souvent difficiles décrypter.



[1] tels les millions de morts du jihad islamique, les 40 millions de morts de la 2ième guerre mondiale, les milliers ou les millions de morts des grands génocides, tels les 1,5 millions de morts du génocide arménien, les 6 millions de morts du génocide juif, le 1 millions de morts du génocide Khmer etc. etc... Cette liste macabre serait trop longue à expliciter ici. Voir à ce sujet : L’histoire inhumaine, Massacres et génocides des origines à nos jours, Guy RICHARD, éditions ARMAND COLIN, 1992.

[2] Il arrive même que des personnes sceptiques tombent elles-même dans des dérives fanatiques inconscientes comme le marxisme.

[3] Par exemple, on trouve des ingénieurs dans la secte française du Mandarom.

[4] Cf. David Stupple, « Mahatmas and Space Brothers. The idologies of alleged contact with extraterrestrials », in journal of American Culture, n° 7, 1984.

[5] C.F. Daniel Cohen, « Terrorisme : la pauvreté n’est pas coupable », in Le Monde, 7 octobre 2002.

[6] Cette perte de sens moral peut s’observer même chez des personnes qui semblaient précédemment perçues comme « morales » par leur entourage.

[7] Certains emploient le terme « déprogrammer », pour décrire cette seconde phase.

[8] Tels que « respect ou non-respect de l'autre, de soi-même, sens du sacrifice, du "don de soi", "courage", "lâcheté", soumission, dominance, individualisme ou impossibilité d'exister en dehors d'un groupe social, perception subjective de son intérêt, ou des intérêts claniques ou ethniques, "niveau d'humanisme ou d'universalisme", opposé au racisme ou au sectarisme, "horizon ethnique", où commence "l'autre", "l'ennemi", vision du devenir post-mortem, motivante (réincarnation, "réponse du sacrifié dans un paradis"", espoir d'une vie meilleure dans un au-delà, voire simple nihilisme masochiste, souhait de s'annihiler pour échapper définitivement à ses problèmes personnels) » Du Fanatisme, Jean-Pierre Petit, http://www.jp-petit.com/Geopolitique/du_fanatisme.htm

[9] Influence et Manipulation : Comprendre et Maîtriser les mécanismes et les techniques de persuasion, Robert Cialdini, Marie-Christine Guyon, Editions First, 2004.

[10] Nicolas Guéguen, Psychologie de la manipulation et de la soumission, Dunod, 2004.

[11]  Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, La soumission librement consentie : Comment amener les gens à faire librement ce qu'ils doivent faire, Presses Universitaires de France – PUF, 1999.

[12] Jean-Marie Abgrall,  Les Mécanique des sectes, Paris, Payot-Rivages, 1996, p. 29.

[13] Vie et Mort des Croyances Collectives, Gérald Bronner, Hermann, 2006. Chapitre II, page 36.

[14] J. M. Abgrall, ibid, p. 165.

[15] Cf. L. Schlesser-Gamelin, Le Langage des sectes, Paris, Salvatore, 1999, p. 127.

[16] Gérald Bronner, ibid, page 40.

[17] Cf. M.B. Harris, « The effects of performing one altruistic act on the likehood of per­forming another », in journal of Social Psychology, 88, 1972.

[18] Albert Speer, Au cœur du troisième reich, Fayard, 1971, traduit de l'allemand par Michel Brottier.

[19] Milgram voulant voir jusqu’où pouvait aller des êtres humains soumis à une autorité abusive, a constaté que 65% des volontaires, participant à sa célèbre expérience, étaient capables d'infliger un choc électrique dangereux, voire mortel, à une personne inconnue. Le film « I comme Icare » d’Henri Verneuil (1979) _ où Milgram  y joue son propre rôle _, relate d’ailleurs cette expérience.

[20] Parfois, mais ce n’est qu’une hypothèse, on pourrait se demander s’il n’existe pas des mécanismes naturels instinctifs de dominance et soumission, chez l’homme, comme on l’observe chez les chimpanzés ou les loups, mécanismes « naturels » qui ferait accepter plus facilement, à la personne soumise, son état de soumission, dès que le rapport de dominance a été établie et acceptée par la personne soumise. La question serait de savoir s’il n’existerait pas aussi des « natures » naturellement plus dominantes que d’autres tandis d’autres « naturellement » plus soumises, au sein de l’espèce humaine ( ?) … L’auteur se gardera bien de répondre à cette difficile et délicate question, au regard de nos connaissances actuelles.

[21] Stanley Milgram Soumission à l'autorité, traduction française Calmann-Levy, 1974.  

[22] Robert Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit Traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Presses universitaires Grenoble (PUG), 2002.

[23] Les Décisions absurdes, Christian Morel, Gallimard, 2002, Collection « Bibliothèque des sciences humaines ».

[24] Les exemples, de ces agressivités incompréhensibles de la part du fanatique dès qu’on touche à l’objet de leur adoration, sont nombreux. En voici un exemple, parmi tant d’autres : un jeune chercheur 3° cycle en physique des plasmas, était un communisme convaincu. Un jour, pour essayer de lui apporter un point de vue critique, on lui a offert le livre « La Nomenklatura » de Michael Voslensky (Belfond, 1980). Sur la couverture, on pouvait y voir une très belle faucille et un marteau, constellés de diamants. Tout d’abord, croyant avoir affaire à un livre ventant les mérites du socialisme en URSS, cet étudiant manifesta sa joie et remercia l’auteur. Mais 2 heures après, révolté par le contenu de ce livre peignant en noir l’URSS, il jetait ce livre au visage de ce lui qui lui avait fait cadeau de ce livre, en hurlant « qu’est ce que c’est que cette ordure !!! ».

[25]  The Psychology of the Psychic, David Marks et Richard Kamman, Amehert (New-York), Prometheus books, 1979.

[26] Peter Wason, Reasoning. In New Horizons in Psychology. Penguin, 1966, Hammondsworth, UK.

[27] Cf. J. Friedrich, „Primary detection and minimization strategies in social cognition. A reinterpretation of confirmation of bias phenomena”, in Psychological Peview, 100-2, 1993.

[28] Social Psychology, Solomon E. Asch, Prentice Hall, New York, 1952, & Oxford University Press, New York, 1987.

[29] L'échec d'une prophétie, Léon Festinger, Hank Riecken, Stanley Schachter, 1956, réédition Presses Universitaires de France - PUF (1993).

[30] Elles subissent graduellement un lavage de cerveau, d’autant plus facilement qu’elles-mêmes sont souvent à la recherche d’un compagnon qui puisse les structurer.

[31] Face au danger intégriste. Juifs et Chrétiens sous l’Islam, Bat Ye’or, Éditions Berg International, 2004, page 121.

[32] Le Coran, sourate « La table servie » : 5-47, 5-51, 5-54, 5-56, 5-57, 5-63, 5-65 (Si les gens du Livre [i.e. Chrétiens et Juifs]  avaient la foi et la piété, Nous leur aurions certainement effacé leurs méfaits et nous les aurions certainement introduits dans les Jardin du délice …), et sourate « Le Butin » : 8-57, 8-59, 8-68, 8-70 (Nourrissez-vous des biens licites enlevés à l’ennemi […]).

[33] Ibn Taimiya, Majùu’a Fatawi, Le Caire, 1911 (en arabe) & Bat Ye’or, ibid, page 46.

[34] Zacarias Moussaoui, mon frère, Abd Samad Moussaoui et Florence Bouquillat, Denoël, 2002.

[35] Faites entrer l'accusé : Khaled Kelkal "l'ennemi public n°1", documentaire de France 2, réalisé par Bernard Faroux. Khaled Kelkal a un bon niveau scolaire au collège, il sera pourtant refusé au Lycée de la Martinière (Lyon) ainsi qu'un autre établissement, alors qu'une de ses camarades moins douée sera acceptée. On date sa dérive de cet échec.

[36] Quoique très souvent séduisants …

[37] Par une stimulation électrique sur le cortex vestibulaire, Olaf Blanké, Landis et al., a pu obtenir (en particulier chez une patient épileptique) des illusions de rotation, de déplacement dans l'espace (ce que l'on nomme couramment « expérience de sorties du corps » ou "OBE") et des sensations autoscopiques (dédoublement du corps). Voir Olaf Blanké, Shahar Arzy, «The Out-of-Body Experience: Disturbed Self-Processing at the Temporo-Parietal Junction», The Neuroscientist 11(1): 16-24, 2005. On peut obtenir aussi ce genre d’illusion par la prise de drogues (ketamine …). Ce phénomène peut survenir quand le cerveau est mal oxygéné (hypoxie) ou un état de détresse, ce qui peut faire croire à ceux qui vivent de telles expériences qu’ils ont connu l’au-delà et une expérience mystique majeure.

[38] L’auteur a connu le cas de 3 personnes plus ou moins intégrées socialement, l’une secrétaire _ ni dépendante à l’alcool ou à la cocaïne _ vivant constamment 24h/24, 7J/7, avec des visions hallucinatoires de vers grouillants semblant vouloir lui dévorer le corps (ces zoopsies lui causant des insomnies totales), l’autre ingénieur entendant constamment une voix intérieure fantasmagorique lui répétant sans cesse « tu est le meilleur », la dernière vivant avec des voix « diaboliques » lui commandant de se suicider (elle s’est finalement suicidée).

[39] Jacques Maître ne réfute pas un lien possible entre le mysticisme et la psychose (Jacques MAÎTRE, Anorexie religieuse, anorexie mentale : Essai de psychanalyse sociohistorique, Ed. Cerf, Paris, 2000).

[40] Mensonge que certains psychologues dénomment encore « le mensonge vrai ». Voir le livre Vivre sans drogue : Substances toxiques, passions destructrices, l'expérience de ceux qui s'en sortent, Frédérique de Gravelaine, Pascale Senk, Robert Laffont, 1995.

[41] Certaines s’enferment dans une conception mythomaniaque de leur « bonté », sincèrement persuadés qu’ils sont « bons » … S’ils commettent des actes terribles, c’est parce qu’ils n’ont pas le choix (Hitler dans certains de ses discours _ comme celui qu’il fit à la radio, après l’attentat dont il réchappa par miracle _ illustre d’ailleurs en parti ce déroutant phénomène).

[42] C’est peut-être aussi ce phénomène qu’on observe encore chez certaines personnes, continuant à s’acharner et à persévérer, depuis plus de 20 ans, dans des recherches sur la parapsychologie et la télépathie, sur des intuitions géniales mais fausses, sur le mouvement perpétuel etc. … alors que partout dans le monde il a été démontré que de telles recherches n’ont jamais débouché sur des résultats concluants. Quels mécanismes cérébraux peuvent pousser certaines personnes à s’acharner dans une voie erronée, contre tout bon sens et contre toute le logique, pendant de longues années ?  Dans ces derniers cas, on pourrait peut-être soupçonner et avancer une blessure narcissique antérieure, ayant créée chez la personne un puissant (et perpétuel) désir de revanche et un énorme besoin de reconnaissance, ceux-ci poussant alors la personne, à employer tous les moyens, y compris le mensonge, pour être reconnu et célèbre. Mais ce ne sont que des hypothèses de travail.

 

[43] Un étudiant africain en chine, John Hevi Emmanuel, Table Ronde, 1965. Ce livre raconte la déception d’un étudiant africain, parti enthousiaste pour découvrir la révolution communiste chinoise, et revenu déçu lorsqu’il découvre le système oppressif communiste chinois et le fort racisme des chinois envers les africains.

[44] quand on le connaît, … ce qui n’est pas certain, car les processus initiatiques de certaines sectes sont souvent entourés d’un grand secret.

[45] La zététique est l’étude rationnelle des phénomènes et théories scientifiquement réfutables.