Voyage
en inde (du 13/5/01 au 28/5/01)
A
l'aéroport de Delhi, à 4 h du matin, je suis accueilli par mon ami Tibétain
"Sonam". Il brandissait, depuis 2 heures, au-dessous de la foule, une
grande banderole d'un mètre, portant mon nom.
Il
m'offre l'écharpe traditionnelle en soie blanche, la Takagh, remise aux invités
ou amis, en cadeau de bienvenue.
Nous
ne nous attardons pas, reportons nos effusions, et nous partons en rickshaw
(sorte de Vespa tricycle couverte), rejoindre la colonie tibétaine, Manju katilla,
située au nord de Delhi.
Sonam
est coordinateur depuis 6 mois, côté indien, du projet de marche de soutien à
la cause tibétaine dans l'Himalaya, appelé "la TRANSHIMALAYENNE pour la
PAIX et le TIBET", que j'ai lancé, il y a un an. Son expérience d'organisation
de marches pour le Tibet, est très précieuse pour ce projet. Je l'ai connu par
Internet.
En
roulant, dans les rues de Delhi, je ressens tout de suite, le choc des images,
la pauvreté, la multitude, la saleté repoussante de certains mendiants et la
pollution extrême.
La
conduite automobile dans les rues, y est folle et dangereuse, les
automobilistes se frayant un chemin au jugé, sinon au culot, à coup de klaxon,
sans, semble-t-il, aucune observation du moindre code de la route. Il faut être
extrêmement vigilant sur les routes indiennes. Nous zigzaguons continuellement
entre les éternels camions Tata décorés, peints et ciselés, constituant le plus
souvent des véritables œuvres d'art ambulantes.
Une chambre d'hôtel bon marché (à 20 F), nous
permet de nous reposer, en attendant, le "luxuous coach", un bus de
nuit, "luxueux" selon les critères indiens. Ce dernier doit nous
transporter, la nuit, à Dharamsala, siège du Dalaï-Lama, chef religieux des
tibétains.
Le
soir, à l'arrêt de bus, nous sommes régulièrement sollicités par les mendiants.
Une très jeune mendiante rachitique, invective méchamment un autre
Il
y a l'Inde des cartes postales, avec ses couleurs, ses odeurs, ses sonorités,
ses bruits, mais il y a aussi une autre Inde, celle de populations, vivant dans
un état de dénuement, surréaliste, inimaginable … terrible, terrible. On peut
pronostiquer encore de "beaux jours" et d'énormes chantiers, pour les
congrégations comme celle de "Mère Thérésa" et les ONG.
Notre
route longe d’abord une rivière au cours pollué par les détergents, envahie par
les jacinthes d’eau, puis une longue route droite dans la plaine du Pendjab. La
route sinueuse monte progressivement sur les contreforts de l'Himalaya.
La
transition est saisissante entre la grande plaine du Pendjab et l'élévation
soudaine du massif himalayen dans le paysage.
Les
voies de communications défoncées sont rapiécées jusqu'à l'usure. Sur ces
pistes « tape-cul », les voitures s’usent vite. Ballotté de tous les
côtés, il nous est difficile de dormir et pourtant Sonam arrive à dormir.
A
l'arrivée à Dharamsala, notre conducteur, plutôt remarquable, aura conduit 15
heures sans faiblir. Les conducteurs de bus sont ici le plus souvent des
trompe-la-mort (des « je m’en fout la mort » dirait-on en Afrique).
Son assistant discutera continuellement avec lui, en lui allumant régulièrement
des cigarette, durant la nuit, mais ne prendra à aucun moment le volant. Un des
ces chauffeurs sur ce type de trajet de longue durée, décontracté, me dira en
plus que son travail est facile.
Chaque
bus possède son petit hôtel, dévoué à un Dieu tutélaire (par exemple Ganesh …),
censé protéger le conducteur. A 6 heure du matin, un des amortisseurs du bus se
brise. Nous sommes obligé de changer de bus. Sans climatisation, fenêtre
ouverte, nous sommes couvert de poussière. Difficile de rester propre en Inde.
Nous
arrivons au petit matin à Dharamsala assez fatigué. Fatigue dommageable car la
ville ressemble à une station d'altitude suisse, dans son écrin de forêts de
cèdres environnantes. Seule la saleté de certaines rues nous rappelle que nous
sommes en Inde. Juste à côté, le site administratif du gouvernement tibétain en
exil et le siège du Dalaï-Lama, semblent plutôt bien tenus.
L'après-midi,
le vice-président du Tibetan Youngth Congress (TYC), Monsieur Karma Yeshi, nous
assure de tout le soutien du TYC pour notre projet de marche TRANSHIMALAYENNE
pour la PAIX. A chaque fois que notre tasse de thé est vide, une secrétaire
nous ressert, comme il est d’usage ici.
A
la fin de l'entretien, nous visitons le musée des tibétains en exil, présentant
les épreuves subit par les tibétains depuis 50 ans, le génocide et les
destructions culturelles perpétrées par les chinois au Tibet. Une projection
vidéo est particulièrement émouvante. Ces image semblent encore plus justifier
notre marche.
Toujours
l'éternel lot de malheur accablant notre monde ici-bas. Quand est-ce que cela
s'arrêtera-t-il ?!
A
côté du musée, se trouve une grande bibliothèque tibétaine préservant le peu de
ce qu’il reste de la mémoire du Tibet, la plupart des ouvrages des monastères
au Tibet ayant péris dans la période comprise entre l'invasion chinoise du
Tibet et les autodafés de la révolution culturelle.
Non
loin de là, se trouve le centre des réfugiés de Dharamsala où sont soignés ceux
ayant franchi la frontière tibétaine au péril de leur vie, en général l’hiver.
Certains arrivant en plein hiver, les pieds ou doigts gelés, doivent être
amputés. Il a été modernisé, mais je n'ai pu le visiter par manque de temps.
Chaque
année, « bonnant mallant » 3000 ? réfugiés tibétains (chiffre,
en fait invérifiable, source du gouvernement tibétain en exil), parviennent en
Inde et au Népal. Leur situation est particulièrement dramatique au Népal, où
ils sont souvent refoulés à la frontière et remis aux autorités chinoises.
Parfois, les gardes frontières népalais leur tirent même dessus.
Mon
ami Sonam, a téléphoné le matin au secrétaire du Karamapa, 3ieme autorité
religieuse du Tibet. Le secrétaire de cet autorité nous certifie que le Karmapa
nous assure, de sa protection, sur notre marche pacifique.
Les
cybercafés et les mobiles (malgré le prix du mobile environ 1000 F) faisant
actuellement fureur en Inde, nous profitons, pour envoyer des e-mails, à nos
amis restés en Europe.
Le
plus dur, en Inde, n’est pas d’envoyer un e-mail, mais d'arriver à le
transmettre intégralement, sans qu’une coupure de courant intempestive
n’interrompe la communication. Ces coupures de courant sont fréquentes en Inde,
car les lignes électriques sont souvent squattées.
Nous
chinons ensuite. Dans une petite boutique de la ville, de très beaux tankas,
peintures sur soies en général à motifs religieux, tissés et peints devant nos
yeux, sont offerts à nos yeux émerveillés, à des prix intéressants (les prix
commencent à 150 F). L’artisanat traditionnel tibétain reste très florissant
chez les exilés.
Les
jacarandas en fleur, partout dans la ville, me ravissent (et me remémorent des
images d'autres vacances passées).
Nous
partons ensuite en taxi pour la ville de Sidbari et le nouveau monastère de
Guyto, construit spécialement, il y a à peine 3ans, pour le Karmapa. Celui-ci a
fuit le Tibet il y a 3 ou 4 ans. L'édifice est pourtant déjà presque achevé.
Nous voulons tenter de rencontrer cette grande autorité religieuse. Mais le
Karmapa en méditation à cet instant, ne peut être dérangé. Une importante
présence policière indienne protège le lieu et le Karmapa, comme si le
gouvernement indien semblait craindre pour sa vie.
Nous
nous rendons le lendemain en un bus brinqueballant vers Palampur. Sous l'effet
des vibrations et des chaos du bus, le filtre UV de mon appareil photo se
dévisse lentement, pendant que la trotteuse de ma montre joue la fille de
l'air.
A
proximité de Palampur, nous visitons un immense monastère, le monastère de
Sherab Ling, dirigé par Taï Sitou Rinpoché. Nous avons l’autorisation de
pénétrer dans le temple, rempli de moinillons et de moines adultes. Nous
pénétrons d'abord dans la bibliothèque, aux lourds ouvrages
"longilignes" et la salle de sculpture et de peintures, où l'on
maintient vivante la tradition de l’art tibétain, lui-même moribond au Tibet.
(Notre
marche débutera à ce monastère).
Une
belle forêt de pin aux troncs noircis entoure le monastère. La chaleur en plein
midi, à l'extérieur, est intense. Et pourtant nous ne sommes qu'en juin, à 900
m d'altitude.
Le
soir, nous retrouvons les beaux parents de Sonam, au petit village de Chantara,
tout près de Baijnaith. Ils ont fuit le Tibet en 1959, suite à la grande
répression de Lhassa, capitale du Tibet, du 10 mars 1959 _ elle aurait fait
plus de 10000 morts (ce chiffre est incertain et sujet à caution).
Beaucoup
de tibétains ont fuit le Tibet en 1959. Ils sont actuellement plus de 100000 en
Inde, plus de 20000 au Népal, plus de 4000 aux USA, plus de 2000 en Suisse
(leur ayant accordé beaucoup de visas, à une certaine époque) et plus de 1500
au Bhoutan. En France, il ne sont qu’une centaine.
Ces
chiffres sont indicatifs, car la
comptabilité des immigrants clandestins non
recensés est difficile à tenir.
Au
Tibet, la répression a commencé réellement vers 1956, avec l’obligation au
départ, pour tous les tibétains de livrer toutes ses richesses aux chinois, y
compris les bijoux des femmes, les contrevenants s’exposant à l'époque, aux
tortures, sinon aux exécutions. Cette
répression a poussé beaucoup de Tibétain à fuir, souvent simplement pour sauver
leur vie et au péril de leur vie.
La
petite maison de 2 pièces, plus cuisine, nous accueillant, est simple, tout
comme la vie, de nos hôtes, ponctuée par les prières, la traite matinale de
quelques vaches et la fabrications d'ex-voto en terre cuite pour les monastères
voisins. Ce sont les personnes très religieuses. Chaque jour, elles prient au
moins 3 heures. Elles débutent leurs premières prières à 3 heure du matin, tout
comme les moines trappistes.
Dans
leur chambre servant de chapelle, un grand hôtel en bois occupe tout un mur.
Sur ses étagères, sont posés des bols de prières remplis d’eau, des lampe à
beurres, des brûles-encens, des portraits de grands maîtres en religions (qu'on
nomme chez les tibétains "rinpochés") et comme chez presque tout tibétains, le portrait de sa Sainteté
le Dalaï-Lama.
Un
foyer en terre cuite, alimentés par des bouses de vaches, sert à cuire les
galette de farine d’orge, les "chapatis" " (galettes de farine)
et à chauffer le thé.
Un
frigo et une télévision satellite, offrant une trentaine de chaînes TV,
contraste avec le reste du mobilier. Ces concessions à la modernité ont été
offerts par un de leurs enfants, résident aux USA, lors de la fête du Losar, le
nouvel an tibétain. Ils ont aussi l'électricité, l'eau courante et la chasse
d'eau dans les WC, un luxe pour l’Inde.
Une
émission indienne, à laquelle nous assistons « Do you want to win
Crowns ? », copie conforme de l’émission en France "qui veut
gagner des millions ?" hypnotise l'assemblée de téléspectateurs réunis
devant la télé (Heureusement, j'ai aussi le plaisir de regarder, chez eux, des
documentaires du National Geographic).
Jamyang,
un enfant tibétain de 14 ans exceptionnellement avancé, répond à mes questions.
Il a lu tout ce qu’il connaît sur la France, dans un livre encyclopédique
anglais. Ses parents pauvres veulent l'envoyer au monastère. Mais Jamyang
refuse fermement, souhaitant aller à l'université à l'étranger. Il n'a pas
l'argent. C'est dommage, car il est passionné de science et veut être
ingénieur. Je lui ai promis de l'aider (son adresse : Jamyang Phuntsok,
S/0 TADEN, Tibetan Settlement, NANGCHEN Division, P.O. CHAUNTRA, Dist. MANDI,
H.P. 175032, INDIA).
La
culture tibétaine, essentiellement religieuse et philosophique, sans tradition
scientifique, ne favorise pas vraiment ce genre de vocation. La communauté
tibétaine en exil souffre de son important déficit en ingénieurs et
scientifiques. Seulement une trentaine des meilleurs élèves des écoles secondaires
tibétaines se rendent, chaque année à l’étranger. Cette année, 9 sont
partis aux USA, 15 en Israël et 5 en Grande-Bretagne. Jamyang constitue donc un
cas rare, chez les tibétains
Le
soir, les portes et fenêtres, doublés d'une porte ou fenêtre grillagées sont
fermées, à cause des moustiques nombreux, à cette altitude (1000 m).
Au
petit matin, j'ai pris un plaisir rare à écouter un magnifique concert de chant
d'oiseaux, en particulier de merles indiens, des remarquables virtuoses, au
plumage beige clair, à la tête mélanocéphale effilée, semblable à celle des
mainates.
Dans
la maison d'à côté, le mari de leur belle sœur, victime d’un accident frontal
de son scooter avec un bus, se remet, de ses blessures et de sa jambe
fracturée. Il est déjà très pauvre, sans vraiment de couverture sociale et
cela ne va pas arranger ses affaires. Heureusement, entre les tibétains, il
existe une forte entraide, et le gouvernement tibétain en exil a, en plus,
institué une sorte de pension _ Welfare _ mais
normalement, destinée à financer les études des jeunes.
Après
des adieux touchant avec Jamyang et les beaux-parents, nous reprenons un autre
bus kamikaze. Le plus dur à supporter, les coups de frein brutaux, ou bien leur
absence, dans les virages, surtout près des précipices, des parois des
montagnes et des files d’enfants, en tenus scolaires, longeant les routes.
Après,
un arrêt d'une heure, un changement de chauffeur et un coup de clé sur le
moteur , le bus repart de la gare routière de Mandi, après un long arrêt.
Les
temples indiens sont nombreux dans le paysage. Ils sont souvent extrêmement
colorés et kitchs. Ici, nous sommes dans l’Himachal, un état fortement
hindouiste, où il vaut mieux ne pas être pris en flagrant délit de consommation
de viande bœuf.
Ici,
les indiens ne mangent pas de légumes crus, et aucune salade, au grand
désespoir des français.
D’où
ma surprise, d’être accueilli ,le lendemain, par Sonam, avec de la laitue
fraîche. Délicate attention de sa part, renouvelée le lendemain, avec des
champignons frais de Paris. Toutefois, les champignons ont été préparés à la
mode indienne, … c'est à dire très
épicés …Les laitues proviennent, elles, de graines rapportées de France. Elle
ont depuis connu un fabuleux succès, au sein de la communauté tibétaine de
Manali.
Ajoutons
que la cuisine indienne et tibétaine est assez pimentée. Dans l’Himachal, les
gens mangent, même, le piment, à la cuillère (!). En général, le curry
agrémente le riz, constituant la nourriture de base des gens d’ici, au même
titre que le dal, une purée de lentille jaune.
Mieux
vaut ne pas oublier, en Inde, les médicaments anti-diarrhées, les comprimés
désinfectants (ou des filtres purificateurs),
vérifier le cachet des eaux minérales servies dans les restaurants et
éviter les glaçons.
Chaque
matin, au petit déjeuner, j’ai le droit, aux éternels "chapatis »,
cuis sur la cuisinière à gaz de Sonam.
Je
dors au pieds de l'autel aux Dieu, sur lequel est posé une photo de Chantal
Mauduit, une alpiniste prématurément disparue en mars 98, amie de Sonam, et un
livre dédicacé de l’explorateur allemand Ulrich Schum, un autre de ses
grands amis, une amicale compagnie, pour moi.
Pas
de télé, ni de frigo ici. L'appartement de fonction Sonam, tout comme ceux des
employés et les salles de classes, de l’école tibétaine, ne sont pas chauffées
l’hiver. Il peut y faire jusqu’à –10°C. Il neige l’hiver à Manali, situé à 1700
m d’altitude. Question d’habitude, les élèves et les enseignants restent
emmitouflés dans la salle de classe. La « douche », ici, est un
simple robinet d’eau froide.
La
femme de Somam, elle enseigne, suite aux hasards des affectations, à Dehra Dun
(Rajpuv) à plus d'une journée de bus (250 km) de l'école tibétaine de Manali
où Sonam lui-même travaille. Ne pouvant
voir souvent sa femme et sa fille, il va être muté près de sa famille, à
l’école tibétaine de Dehra Dun, situé à côté du grand camp tibétain Deckyiling.
Il n’aura plus ainsi que deux heures de bus (60 km) ou de vélo, pour rejoindre
sa femme.
La
précarité est le lot quotidien ici, pour la majorité des indiens et des
tibétains.
Par
exemple, le fils d'ami de Sonam, victime d’une fracture du crâne, a du être
transporté en taxi, pendant 200 km, jusqu’à Shandigar à 150 km, l’hôpital de
Dharamsala ne pouvant pratiquer cette délicate opération. Or le prix du taxi
représente, ici, deux à trois mois de salaire !
La
femme de Sonam, a reçu par la poste, en retard, la veille, sa convocation pour
un examen pour devenir professeur, le lendemain. Elle a alors du rouler toute
la nuit, en taxi, plus de 200 km, pour atteindre le lieu d'examen avant 9h du
matin. Le taxi est arrivé à 9h15. Heureusement, l’examen avait débuté en
retard.
Dans
chacun des cas, le prix du taxi, soit presque 2 mois de salaire, reste à la
charge de la famille. Pour résoudre ce
genre de problèmes, il faut sans cesse emprunter auprès amis des ou de la
famille.
Au
début, j'étais inconscient de tout cela. Par exemple, je cherchais, à mon
arrivée, une photocopieuse dans l'école, alors qu'il n'existe qu'une Ronéo,
pour les compositions, la photocopieuse la plus proche étant à 5 km. Pour
l'ordinateur dont dispose Sonam, il faut demander une autorisation pour
imprimer une simple page.
Un
soir, nous discutons de la différence de vie entre les français et tibétains,
Sonam ayant visité pendant 6 mois la France.
Ce
qu'il l'a le plus surpris ou le plus choqué, sont la fréquence des divorces, en
France _ en effet, les divorces sont très mal vu chez les tibétains _, les
mini-jupes, les prostituées exerçant ouvertement leur profession dans les rues
de Paris, les embrassades publiques des jeunes dans la rue, la nourriture
luxueuse que l’on donne aux animaux de compagnie (alors qu’on meure toujours de
faim dans le monde) …
De
mon côté, je lui parle du poids des tabous, des traditions ou d’interdits
religieux, que j'ai constatés, dans la vie des tibétains. Par exemple, j'ai vu
qu'on ne doit pas n’enjamber une personne dormant la nuit sur le sol, ne pas
poser ses pieds près d’un brûle-encens etc …
J'ai
vu aussi que les tibétains sont très pudiques : Pas question, d'être
jambes nues en sortant, pour aller aux toilettes collectives, ou d’admettre les
jambes dénudées même chez les touristes.
Une
certaine pudeur sentimentale se lit aussi dans les discussion avec les
tibétains. On évite de parler de ses ennuis, un signe d’égocentrisme certain,
pour les bouddhistes. La franchise occidentale, américaine choque un tibétain,
dont sa culture l'a habitué, tout petit, à la réserve (voire même à une
soumission à l'autorité, selon une opinion personnelle).
L’école tibétaine de Sonam, se situe dans un des plus beaux
sites que je connaisse, à 5 km au Sud de Manali, dans la courbe d’un torrent,
au milieu de magnifiques montagnes couvertes de cèdres, encore enneigées, à
l'époque où je rédige ces lignes.
Le
centre possède sa salle de chimie et de biologie et surtout une très belle
salle informatique avec 9 ordinateurs PC, en réseau, offerts par une ONG
américaine. Le professeur d’informatique en est d'ailleurs très fier.
Sinon,
la joie règne chez les enfants. Les enfants semblent vraiment heureux ici.
Les enseignantes, toujours amicales avec moi, portent pour
la plupart le sage tablier tibétain. Il y a un seul enseignant indien.
Régulièrement, il offre des gâteaux, des friandises au directeurs et autres
professeurs.
Le directeur a introduit ce professeur et un cuisinier
indien dans l'établissement, surtout pour éviter les conflits ethniques, car
existe un profond fossé, au niveau richesse, entre les tibétains (souvent aidés
par les associations occidentales) et le reste des indiens. Il y a 2 ans, à
Manali, a eu lieu, un flambé de violence, comme en connaît, de temps en temps,
ce grand pays, lors d'une rixe, où 80 commerces tibétains ont été saccagés et
brûlés par une foule d'indiens en colère (plus de la moitié des commerces de
Manali sont au main des tibétains).
Depuis
le gouvernement en exil tente de calmer le jeux, par des initiatives comme
celle de Monsieur Thunsok, le directeur de l’école.
A
l’entrée de l’école, une plaque commémore le financement du hall par le
gouvernement français par l’intermédiaire de Claudine BISSON.
Avec l’accord du directeur de l’école « Central
Tibetan School of MANALI » j’enseignerais deux jours, en anglais, aux
classes de VIII° (les 14-15 ans), au VII°, au VI°. Le premier jour, Mr.
Thunsok, insiste pour que je dises aux enfants de travailler très fort et
d’être sage.
Aux
petites classes, j’apprendrais les chansons françaises, et comment s'alimentent
les français (je leur parle de fromages, de vins, du pain …).
Les
enfants tibétains commençant à apprendre l’anglais très tôt dès 6 ans, je suis
un peu dépassé par leur bon niveau en anglais.
Chaque Matin, dans la cours, les élèves assemblés en rang,
chantent, en uniforme, accompagnés de flûtes et de tambours.
Le
chant est toujours suivi du sermon du directeur devant les élèves.
En
France, les cours de civisme, pourtant utiles (à mon avis), ne se pratiquent
pratiquement plus.
Trois types d’écoles composent le système scolaire
tibétain :
1)
les écoles T.C.V., sous
la direction de Jetsun Pema, la sœur du Dalaï-Lama,
2)
les Tibetan Home
Foundation, sous la direction du gouvernement en exil avec I.M. Gmny,
3)
les écoles C.S.T. sous
la direction du département de l’Education du gouvernement en exil.
Le taux de scolarisation est élevé chez les exilés
tibétains. 98,5 % des enfants de la nouvelle génération tibétain est scolarisé,
tandis que le reste des indiens n'est scolarisé qu'à 55 %.
Malgré le fort taux de scolarisation, le système, assez
élitiste, génère beaucoup de chômeurs,
70 % des élèves ne continuant pas leur scolarité, après l’âge de 15 ans.
Et la formation manuelle, "post-collège", n’existe pratiquement pas.
Beaucoup
de jeunes tibétains, après 16 ans, désœuvrés,
tuent le temps, dans les jeux, tels que le « carom board »
(littéralement "table à collisions"), le snooker (une
"variante" du billard américain). Beaucoup fument aussi.
Le
rythme du travail à l’école n’est pas trop stressant, et le directeur étant
assez libéral. Cela permet à Sonam de me faire visiter les beautés de la
région.
Nous
visitons la galerie ROERICH, belle
demeure anglaise, située, à 1700 m, à Naggar, à côté de Kullu (état de
l’Himachal Pradesh), dans une forêt de cèdres.
Puis
l’institut « URUSVATI », un musée des arts et traditions populaires,
fondé, en 1924, par l’orientaliste et linguiste Nicholas ROERICH, d’origine
russe. Son appartenance aux courants mystiques (Rose-Croix et Théosophie),
explique peut-être la présence persistante des thèmes mystiques dans ses
tableaux aux lignes épurées et aux profondes dominantes bleu marine.
Un soir nous rendons au sources chaudes et sulfureuses de
Kalath à 5 km de l’école. Sa température difficilement supportable atteint les
40 °C. Cette eau, d’après un curiste
enthousiaste, serait censée guérir même les paralysies. Dans le village de
Vashicht à 10 km, se trouve aussi un autre bassin d’eau thermale, aussi chaude.
Une femme s’y baigne nue. Fait très rare, pour être signalé. Selon, Sonam,
cette femme était sûrement une prostituée.
Le lendemain, je rencontre, un français organisateur de
treks, vivant depuis 11 ans entre le Népal et l'Inde, Jean-Michel. Il possède
un Toyota Land Cruser, un bien fort précieux ici. Il l’a ramené d’Allemagne,
par l’Europe orientale, la Turquie, l’Iran
et le Pakistan, après de multiples aventures (il a failli être dépouillé par de
faux policiers au Pakistan).
Il
se propose de nous véhiculer jusqu’au col de la Rotang Pass (3500 m), porte du
Zanskar et du Ladakh. Avant le village
de Marhi, nous nous arrêtons pour visiter un camp de vacance pour gens
« riches ». Les conditions sanitaires seraient inacceptables pour un
français en France. Le vacancier indien débourse quand même 6000 Roupies (1000
F), pour une semaine de vacances dans ce camps de toile.
Chaque après midi, à cette époque les montagnes se couvrent
de nuages, et des orages éclatent vers 16 heure. Parti trop tard dans
l’après-midi, nous sommes obligé de faire demi-tour à cause du brouillard
couvrant la Rotang Pass. La route vertigineuse de Leh est constamment
"surchargée" d'une perpétuelle noria de camions, roulant roues dans
roues.
Sur la route, un fort déploiement de forces policières, en
raison de la visite du 1er ministre indien actuel, Monsieur Atal
Bihari Bajpai, dans la région, ralentie encore la circulation. De nombreuses
garnisons de la régions regroupant plus d’un million de soldats indiens sous
les drapeaux, parsèment l’Himalaya et cette région.
A défaut d'efficacité, ils savent être très présents.
Avant
la montée au col, nous rencontrer un moine shaman « S. Tashi », au
petit monastère Nyingma de Manali. Ce géant timide pratique régulièrement la
Puja, un rituel de protection et de bénédiction, durant lequel il fabrique des
stupas en beurre, et agite des brandons enflammés dans la pièce à purifier. Il
pratique aussi la magie et la médecine tibétaine. D’après Jean-Michel, ce moine
aimerait les femmes et l’alcool (!).
Au retour dans un restaurant tibétain, Jean-Michel nous
expose sa vision de l’Inde. Le système de caste, entretient le mépris des
castes inférieures, empêchant, selon lui, toute solidarité et vraie démocratie.
Ce système, plus la corruption sont pour lui les freins principaux aux
développement de l’Inde. L’Inde, pays de la démesure et des superlatifs, par
son immensité et sa surpopulation est un géant fragile et ingouvernable. On
dénombre plus de 1300 ethnies en Inde, et autant de langues.
De
plus, les changements climatiques de la décennie _ la désertification au Nord,
avec des températures de plus de 50°C l’été, les inondations catastrophiques,
liées à la forte déforestation au Tibet, atteignant actuellement plus de 80 %,
de la forêt tibétaine _ grèvent l’avenir de l’Inde.
Jean-Michel
_ à force de vivre dans l’atmosphère pleine de superstitions et de Dieux cachés
propre aux tibétains _ croit, lui aussi, à l’existence des Dieux tibétains. Il
croit à l'existence de "Dorje Suchen", un Dieu exigeant et dangereux.
Selon lui, tant que l’on reste sous son influence, tout nous réussit, mais, si
l'on cesse de la prier, ce Dieu est impitoyable, avec celui l'ayant apostasié
(Dorje Suchen : version tibétaine de Lucifer ?).
Les
tibétains aiment le secrets, réservant les secrets et les révélations, à un
nombre restreint d’élu, au sein d'une relation de maître à disciple. Les
maîtres (lamas), en particuliers, les grands maîtres _ les rinpochés _ , sont
d’après lui souvent issus de puissantes familles. D’où, d'après Jean-Michel,
l’engouement des pauvres pour le culte de Dorje Suchen (ayant ses sectateurs et
fanatiques), en raison ( ?) de son côté populiste, anti-élitiste,
l'élitisme étant selon lui le travers de la société tibétaine. En 96, un édit
du Dalaï-Lama en a d’ailleurs interdit son culte.
Selon lui, les anciens chefs féodaux du Tibet et les
tibétains riches sont et restent influant dans le gouvernement en exil. Faire
parti du gouvernement en exil est un privilège, réservé à petit nombre de
tibétain (avoir la nationalité indienne est aussi un privilège, pour un
tibétain).
La nationalité indienne ne s'acquière pas automatiquement,
même pour ceux nés en Inde. En 1960, le XIV° Dalaï-lama, lors de arrivée en
exil Inde, a refusé cette nationalité offerte par Neruh, pour que les tibétains
ne perdent pas espoir de retourner, un jour, dans leur pays. Depuis, chaque année, les tibétains font
renouveler et viser, leur livret bleu de réfugié, parfois dans une cohue
indescriptible et lors d'attentes interminables.
De nombreuses ethnies et réfugiés, vivant depuis longtemps
en Inde, n’ont jamais eu la nationalité indienne (comme les népalais).
Tout s'achète en Inde … la nationalité, un visas de sortie,
le procès-verbal du contrôle technique automobile, la vignette anti-pollution
(l'Inde est pourtant l'un des pays les plus polluées du monde) etc… Par
exemple, il en coûtera 15000 R / 2500 FF, à un indien, pour obtenir un visas
pour l'étranger, une somme hors de portée, pour beaucoup d'indiens.
L'état indien prône une politique de séparation ethnique,
nommée "communalisme", qui, selon Jean-Michel, contribue
indirectement à renforcer les tensions intercommunautaires.
Hormis Jean-Michel, je rencontrerais bien d'autres
personne, dont un professeur tibétain, Tenzin, ayant entrepris de devenir
juriste international. Pour cela, il passera 2 années aux USA, afin d'apprendre
ce métier. Le gouvernement en exil a d'ailleurs envoyé plusieurs candidats aux
USA, pour l'élaboration de la future constitution du gouvernement tibétain en
exil, normalement plus démocratique et plus proche de la constitution des
démocraties occidentales.
Tenzin
me parle de la "fiction de l'appartenance du Tibet à la Chine"
(depuis le 12° siècle), soigneusement entretenue par les chinois.
Selon Tenzin, la Chine justifie son annexion, par le fait
que la Chine et le Tibet ont fait parti du même territoire au 12° siècle sous
le règne des mongols, après 1271. Le mongols avaient imposé, au pays, le
pouvoir des « sakias », sortes de satrapes mongols.
Avec cet argument, selon Tenzin, on peut tout justifier,
même que l'Inde puisse s'emparer du Pakistan, puisque le Pakistan et l'Inde ont
fait parti du même territoire, sous la domination britannique.
Selon Tenzin, les chinois se gardent bien de parler du fait
que les tibétains ont pu se débarrasser, en 1340, des "sakias" et de
leur domination.
D'après
Tenzin, "Le droit des chinois, c'est tout simplement le droit des plus forts".
Il est bientôt le temps de partir. Il est toujours dur de
quitter une communauté, vous ayant remarquablement accueilli. Mais déjà, 15
jours se sont passés sans que je les vois passer, et il me faut déjà chercher le billet du bus de retour, à
une agence de Manali.
Ces 15 jours ont passé trop vite. Déjà les derniers
instants et les dernières photos. J'ai promis une photo pour tout le monde
(j'ai déjà pris plusieurs dizaines de clichés). Tout le "staff" du
collège et les collégiens de la dernière année, se réunissent pour la photo
d'Adieu.
Mon sac à dos prêt, derniers adieux à l'arrêt du bus, à 16
heure, attendant le bus en retard d'une heure … Les bus sont toujours en retard
en Inde. (Petite indication : pour les temps d'attente, toujours multiplier par
deux ceux qu'on vous annonce).
Sonam
me dit que tout est possible en Inde, ce que je constate chaque fois. Sonam
ajoute "ne crois jamais un indien, crois seulement ce qu'il fait".
Cette nuit, le trajet en bus sera particulièrement dur, à
cause du trafic intense. La nuit est le royaume des camions, sur les routes
indiennes. Dans le trafic ou dans les nombreux embouteillages, parfois dus aux
contrôles policiers, on ne voit que des camions.
Vers 19h, le bus s'arrête à un temple au bord de la route,
pour offrir une offrande à "Laxpit", Dieu de l'argent. Souvent, les
bus s'arrêtent le plus souvent pour honorer Ganesh, préféré par les
conducteurs.
Lors d'un embouteillage plus important, le conducteurs
choisit soudainement de prendre un raccourci infernal, sur une route minuscule
et défoncée, en bord de ravin, dans une forêt en flamme. A la fin du raccourci,
je "rends mes tripes". Un indien me suggère un citron saupoudré de
sel et de poivre, contre le mal au cœur. Remède de grand-mère … finalement efficace.
Dans le bus, ma voisine, une sud-coréenne, vivant à Soho,
au look "punky" (percing et fausses tresses rastas immenses, à la Bob
Marley), prétend constamment que tous les indiens (sans exception) sont
"crazys" (cinglés).
Le bus arrive à Delhi au petit matin. En ce qui me
concerne, je m'offre un dernier repos, dans un hôtel du quartier tibétain. Le
soir, après la rédaction des dernières cartes postales et les derniers achats,
je rencontrerais quelques routards français et israéliens.
Un
des français, vivant à la Réunion, est en train de faire la traversée
solitaire, de tous l'Himalaya en 18 mois à pied. Il a tout vendu pour financer
son projet. Il a emporté 50000 F au départ et en 3 mois, n'a dépensé que 5000
F. Il randonne toujours seul.
Quand aux israéliens, ils sont eux venus chercher du
hachisch, dans le quartier des routards de Delhi, Pahar Ganj. La police, ne
pouvant lutter contre les trafiquants, tolère 3 grammes de cannabis sur soi.
Gare toutefois, aux prisons indiens et aux longues attentes de jugement (2 à 3
ans), pour les contrevenants.
Je m'amuse à observer un moine tibétain, subjugué par le
jeu, suivant deux joueurs luttant sur une table de "carom board",
installé en pleine rue. Il se cache quand je prend une photo des joueurs (sa discrétion
s'expliquant, peut-être, les moines bouddhistes étant tenus à ne pas boire, ne
pas jouer, ne pas voir les femmes … voire d'être vue à boire ou jouer … ).
Un français au look de Barabas du Cirque Gruss, venu
photographier, pendant 6 mois, toutes les principales grandes fêtes indiennes
dans le Sud et l'Est de l'Inde. Il vivra sûrement une aventure extraordinaire
et ses souvenirs seront sûrement inoubliables. Un sujet peut-être pour un
prochain voyage.
Le lendemain, mon voisin d'avion, Lionel, une autre sorte
de routard, passionné de photographie et du pays, membre, de l'association
"Aventure aux bout du monde", association de passionnés de voyages
extrêmes, me parle de l'Inde, où il revient régulièrement depuis plus de 6 ans.
Il a fait plus de 1000 photos de l’Inde (nous nous reverrons).
Fatigue,
poussière, chaleur, froid, beauté, laideur, richesses, mendiants, les
paillettes du kaléidoscope indien, resteront à jamais incrustés, dans mon
esprit. Pays fascinant et contrasté, qu'on ne peut oublier.
Benjamin LISAN
Paris le 8/8/01